IL NOUS FAUT UN RÉCIT CULTUREL NOIR QUI SOIT LE REFLET DE NOTRE HISTOIRE
Amadou Elimane Kane, écrivain, fondateur de l’Institut culturel panafricain et de recherche de Yène
Dans son dernier ouvrage Un océan perlé d’espoir, Amadou Elimane Kane livre «un récit d’une longue épopée de l’histoire africaine flamboyante malgré le démantèlement et les douleurs irréparables». L’histoire de Angela Yacine Boubou Morrison, une New yorkaise dont la trajectoire de sa famille s’inscrit dans la lutte de la communauté africaine-américaine, et celle de Anta Nkrumah Diallo qui vit à Dakar et habite un idéal panafricain de renaissance. Le deux jeunes gens, renseigne la page de couverture, vont dessiner un pont symbolique de lumière et d’histoire entre l’Amérique et l’Afrique. «Ensemble, ils vont bâtir la réconciliation à travers l’amour et une réalité commune. En racontant leur histoire, fondatrice de la civilisation, ils vont construire un nouveau monde, celui de l’Afrique du 21e siècle.» L’auteur en parle à bâtons rompus.
Vous venez de publier Les fondements historiques du panafricanisme expliqués à la jeunesse et aussi Un océan perlé d’espoir. Les deux ouvrages sont-ils complémentaires ?
Je ne pouvais pas rêver d’une meilleure transition sur Un océan perlé d’espoir. C’est un essai historique que j’ai posé avec Les fondements historiques du panafricanisme expliqués à la jeunesse. Un océan perlé d’espoir, je l’ai écrit avec les deux mains. Pendant que j’écrivais ce récit historique, je me suis dit qu’il faudrait aussi que j’écrive un récit romanesque.
Et j’ai construit un récit romanesque qui est un peu à part dans la construction de cette série romanesque que j’écris. Un océan perlé d’espoir est pour moi le plus proche de ce que je voulais faire. Quand je parle de notre roman continental, les thèmes que j’aborde sont toujours ceux que je défends à travers mes livres : la liberté, la justice, l’éducation, le patrimoine culturel et la dénonciation d’un monde politique qui, selon moi, se trompe lourdement sur les enjeux à conduire pour les années à venir.
Je dénonce aussi une certaine élite, les responsables, la société civile aussi parfois qui continuent tous à croire à l’irréel et qui d’une certaine façon produisent le chaos, la misère et la violence.
Mais ce qui m’intéressait à travers ce récit, c’était de partager notre patrimoine historique. Celui de l’Afrique noire, mais plus largement celui du monde noir qui s’est forgé aux EtatsUnis. Je voulais mettre à jour les liens puissants qui existent entre les deux continents. J’avais envie de dire et surtout d’écrire pour laisser des empreintes fortes. Combien la culture négro africaine a contribué à l’humanité et à la société contemporaine. Je revendique l’idée que les êtres humains sont la force du monde et que chacun possède les mêmes potentiels pour ouvrir l’horizon.
Mais ce sont toujours les puissances, qu’elles soient politiques, économiques ou idéologiques qui ravagent les esprits en construisant des images non seulement mensongères, mais également assassines et destructrices des civilisations.
La situation du monde négro-africain est celle-ci. Il faut rétablir la justice, la vérité à travers l’élaboration d’un récit culturel noir qui soit le reflet de notre histoire, le reflet de notre créativité, le reflet de notre singularité qui peut mener le 21e siècle à une prise de conscience qui rétablit les droits humains pour tous. Dans Un océan perlé d’espoir, le récit que je propose est le reflet de notre singularité et celui de notre créativité.
Le texte, avez-vous signalé en couverture, propose «une vision, une représentation, un possible»...
Oui, j’en suis certain. Dans ce 21e siècle, ce que Léopold Sédar Senghor appelait rendez-vous du donné et du recevoir, ce sera là, nous, notre singularité face au discours intimidant. Ce discours intimidant qui consiste à faire valoir la pensée unique. Nous autres dénonçons et combattons la pensée unique. Nous pensons que le monde est pluriel, que le monde abrite une forte diversité lorsque l’on parle de tolérance.
C’est là où commencent la tolérance, le respect des différences, de cette singularité des uns et des autres. C’est ce que nous proposons dans ce récit romanesque : Un océan perlé d’espoir. C’est un récit que j’ai puisé des plus profonds de mes trippes, du plus profond de mon regard, du plus profond des paroles de nos aînés.
Lorsque Cheikh Anta Diop nous dit que Afrique c’est comme un homme qui a perdu une jambe et que cette jambe se trouve quelque part ailleurs.
Il y a un des personnages que j’ai baptisé Angela Yacine Boubou et l’autre personnage, Anta Nkrumah Diallo. Là, je convoque l’anthroponymie pour montrer aux uns et aux autres qu’il est grand temps que nous soyons nous-mêmes des producteurs de sens. C’est lorsque nous produisons du sens que l’on va pouvoir faire partager des valeurs communes. Le potentiel historique est là, c’est à nous de cheminer vers. Je le fais dans ce récit. Je ne vais pas rentrer dans les détails. Il faudra lire l’œuvre et faire lire...
Vous aimez bien bousculer les préjugés...
... J’ai posé aujourd’hui une œuvre avec tout ce que cela implique. Depuis, L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë, Les soleils de nos libertés jusqu’à Une si longue parole, et aujourd’hui ce récit qui est un récit romanesque qui s’intitule Un océan perlé d’espoir, je bouscule les préjugés et l’image irréelle et je pose notre image réelle.
Ce qu’on est, ce que l’Afrique doit assumer et ce que l’humanité entière par-delà l’Afrique doit assumer. Comme j’aimeàledirequandilyaun être humain qui souffre, quelque part sur cette terre, je ne peux en aucune manière me sentir bien. C’est une vieille vision que je porte dans ce récit....
Revenons un peu sur votre livre Les fondements historiques du panafricanisme expliqués à la jeunesse. Vous parlez de quelle jeunesse ?
On dit souvent avant de balayer dans la case du voisin, il faut d’abord balayer devant sa propre case. Alors, quand je parle dans ce livre de jeunesse, je parle effectivement de la jeunesse africaine et de la jeunesse mondiale. J’aime bien citer Térence qui dit : «Je suis homme, rien de ce qui est humain ne m’est étranger.»
J’aime bien aussi faire émerger cette vision africaine qui se résume en un mot : Ubuntu (Je suis grâce à ce que nous sommes). C’est dire que lorsqu’il y a un humain affaibli de l’autre côté, je me sens affaibli. Alors, on peut retenir tout simplement dans ma démarche que cela concerne la jeunesse, qu’elle soit jaune, chocolat, noire. Parce que tout simplement cela relève de l’histoire et cette histoire nous appartient à tous. Elle appartient à l’espèce humaine. Retenez donc que je m’adresse à l’espèce humaine.
Qu’est-ce qui, selon vous, explique que la jeunesse africaine ne s’approprie pas son histoire ?
Il y a plusieurs facteurs. Au niveau de la volonté politique avec tout ce que cela implique. Il y a aussi au niveau de la volonté civile avec tout ce que cela implique. C’est parce que jusqu’ici, cette histoire est enfouie dans des tiroirs. C’est parce que jusqu’ici, cette histoire est une affaire de spécialistes. Nous n’avons pas de relais, tant au niveau des médias qu’au niveau des écoles. Cette histoire, je suis désolé, n’est pas enseignée dans nos écoles.
Et pourtant, Dieu seul sait, cette histoire devrait l’être depuis la maternelle. Parce qu’il y a ce qu’on appelle au niveau récit l’adaptation des récits. On peut adapter les récits en fonction des besoins des uns et des autres. On peut adapter les récits en fonction des élèves de la maternelle, comme on peut les adapter en fonction des besoins des élèves de primaire, collège, lycée et université ainsi qu’à l’ensemble de la société.
C’est à partir de ce moment qu’on va pouvoir faire émerger cette fameuse narration collective, partager des valeurs communes. Aujourd’hui, si nous sommes dans cette situation où les uns les autres tournent en rond. C’est parce que nous n’avons pas de valeurs communes. Nous ne savons plus qui est qui, qui fait quoi. Ça part de partout. Il est grand temps qu’au niveau de la volonté politique, dans la société civile etc. tout le monde s’y met.
Certains pensent que les politiques ont échoué dans la concrétisation du panafricanisme tel que rêvé par les pères. Est-ce que vous pensez que ce n’est que par la culture que cela peut se faire aujourd’hui ?
Je ne saucissonne pas. Je pense que c’est un tout qui s’articule. Le culturel a besoin de l’économique, tout comme l’économique a besoin du culturel et du politique. C’est un tout qui s’articule et qu’il faut porter et partager au niveau de la recherche, c’est entre des spécialistes.
Il est grand temps qu’au niveau des politiques et de la société civile, que les uns les autres s’emparent de cette histoire pour que la jeunesse puisse porter et incarner ces valeurs panafricaines qui sont nos valeurs historiques. C’est cela notre histoire. C’est ce qu’on est.
Aujourd’hui, nous disons que nous sommes dans l’aliénation, c’est dans ce sens-là. C’est parce que notre histoire n’est pas portée. Il est grand temps que les uns et les autres s’approprient ce discours qui est le nôtre.