L'AGONIE DE LA CULTURE EN AFRIQUE
Comme l’École des Sables, au Sénégal, des institutions artistiques majeures du continent meurent dans l'indifférence des milieux politiques
Il y a quelques jours nous recevions un mail à la fois encourageant et navrant à la rédaction de Jeune Afrique. Germaine Acogny et Helmut Vogt, les fondateurs de l’École des Sables s’enthousiasmaient : leur établissement en grave difficulté financière se voyait offrir un sursis pour quelques mois grâce à des dons et des subventions inattendus.
Pour prendre la mesure de la nouvelle, il faut la replacer dans son contexte. L’école de danse sénégalaise située à Toubab Dialo et qui emploie une dizaine de personnes est peut-être la plus influente d’Afrique francophone. Elle a déjà formé en 19 ans des centaines d’artistes sur le continent, souvent gratuitement, ceux-ci ayant rarement les moyens de payer quoi que ce soit.
Des académies du monde entier y envoient leurs meilleures recrues pour les sensibiliser à de nouvelles techniques et une autre approche de la danse. Germaine Acogny, sa fondatrice, figure incontestée de la chorégraphie, est considérée comme « la mère de la danse africaine contemporaine. » C’est donc un monument qui tente actuellement d’échapper à la fermeture en faisant la quête.
Danseurs expulsés Le gouvernement sénégalais, depuis la création de l’école, ne lui a jamais fourni de soutien. Sauf une enveloppe maigrelette de 3 millions de francs CFA (4 500 euros environ) attribuée il y a un an… sans garantir d’aide sur le long terme. Ce sont des institutions et sponsors étrangers qui la maintenaient à flot, tels la Fondation hollandaise DOEN qui a pendant 9 ans payé la moitié de ses frais de fonctionnement (180 000 euros par an au total chaque année).
C’est un exemple parmi tant d’autres : EDIT, l’école de danse de Ouagadougou, lançait un appel à l’aide similaire en avril dernier, ses danseurs ont été expulsés et tentent tant bien que mal de continuer à travailler dans une salle exiguë et carrelée ; le Cirque mandingue, qui réclame depuis des années un chapiteau en Guinée, est contraint de tourner exclusivement en Europe ; le festival de jazz de Saint-Louis, au Sénégal, a vu la participation de l’État déjà microscopique encore réduite et peine toujours plus, chaque année, à boucler son budget…
La faute est d’autant plus lourde que ce désengagement laisse le champ libre à d’autres. Aujourd’hui, dans de nombreux pays africains, c’est l’ancien colonisateur via l’Institut français qui pilote, de fait, la politique culturelle en offrant des résidences aux artistes, en leur permettant de voyager, en leur offrant des scènes, souvent les seules aux normes, pour diffuser leurs spectacles.
Mais cette externalisation a ses limites. L’État français promeut par exemple naturellement la francophonie, non les langues locales qui pourraient s’épanouir autrement.