«LES ARTISTES DOIVENT SE PRENDRE EN MAIN»
Pr HAMIDOU DIA, PHILOSOPHE, ESSAYISTE ET CONSEILLER SPECIAL DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE POUR LA CULTURE
Philosophe et essayiste, le professeur Hamidou Dia revient sur la politique culturelle qui prévaut au Sénégal depuis les indépendances. Dans un entretien accordé à «L’As», l’écrivain pense qu’il appartient aux artistes de prendre en main leur destin, car ils ne peuvent pas tout attendre de l’Etat. Malgré les efforts de l’Etat, dit-il, seule une prise en main des artistes permettra de redynamiser le secteur de l’artisanat au Sénégal. Il demande par ailleurs à ses collègues de se défaire de cette mentalité d’assisté qui plombe tout esprit d’initiative. Entretien.
Quelle analyse faites-vous de la politique culturelle au Sénégal depuis les indépendances ?
Chacun des quatre Présidents sénégalais qui se sont succédé à la tête du pays a tenté de mettre en place une politique culturelle. Léopold Sedar Senghor est un homme de lettres et de culture. On lui doit le Festival mondial des arts négres (Fesman) en avril 1966. Il a été aidé dans sa tache par de grands ministres de la Culture comme Alioune Sène. Le Président-poète était tres soucieux de l’art théâtral, raison pour laquelle Il a construit le Théâtre national Daniel Sorano où se jouaient de grandes pièces nationales ou internationales comme l’Exil d’Alboury. Il a été le promoteur de l’Ecole nationale des Arts. Il a aussi créé les centres culturels, le centre Moudra Afrique, l’école de Dakar de peinture et la Maison d’éditions Enea. Sous son magistère, Dakar était un phare culturel par rapport au reste de l’Afrique. Et les romanciers et les poètes étaient de véritables privilégiés. Son bilan est plus que positif. Son successeur Abdou Diouf a hérité d’une conjoncture difficile avec les Plans d’ajustements structurels (Pas) où la culture n’était pas la priorité, bien que l’homme était attaché à la culture. Il a créé le grand prix du chef de l’Etat pour les arts et les lettres et la Biennale des arts doté d’un prix de 2 millions Fcfa. Il ne pouvait pas en faire plus. Son bilan est assez mitigé et il a des circonstances atténuantes. Les gens lui ont toujours reproché d’avoir transformé Moudra Afrique, école de danse de Soumbedioune sur la Corniche, en Cour Suprême. Puis Abdoulaye Wade était aussi un homme de culture et de vision. Il a lancé les grands travaux culturels avec la Place du Souvenir, le Monument de la Renaissance africaine, le Grand Théâtre et enfin l’organisation du troisième Festival mondial des arts négres. Il a apporté sa pierre à l’édifice culturel sénégalais et mener une politique culturelle très dynamique. Et enfin Macky Sall, qui est un ingénieur, sera peut être l’héritier de Senghor. Son souhait est que la culture marche sur deux jambes. La culture comme représentation avec la danse, la musique et le folklore, et la culture comme attitude fondamentale d’un peuple pour promouvoir la citoyenneté avec la levée des couleurs. Macky Sall a aussi remis à l’ordre du jour le grand prix du chef de l’Etat qui démarre cette année avec la somme de 10 millions Fcfa. Le Musée de la Civilisation noire, le Cciad font aussi partie de ses réalisations.
Pourtant quand on parle du Pse, le volet culturel est très peu abordé ?
C’est ce que je leur reproche. La culture est au début de tout. Le Pse va s’appuyer forcément sur la culture, sinon il n’ira nulle part. La colonne vertébrale du Pse est la culture. On aurait pu faire un chapitre dénommé culture.
Quel regard portez-vous sur la culture au Sénégal ?
La culture ne se réduit pas à la musique, à la danse ou au folklore. Il est une manière de se représenter et de représenter le monde. La culture concerne la société dans son ensemble, c’est l’attitude fondamentale d’un peuple. Des pays se sont développés en s’appuyant sur la culture. La culture produit aussi de l’économie pour le bien du peuple.
Les artistes se plaignent de ne pas bénéficier de subventions et d’aide de la part de l’Etat. Que pensez-vous de cette situation ?
Tout ne peut pas venir de l’Etat. Nous ne sommes dans un Etat providence. La question que l’on doit se poser, c’est ce que nous proposons pour développer notre art. Le fonds à l’édition qui est autour de 600 millions va passer à près d’un milliard Fcfa et l’aide au cinéma pour 1 milliard Fcfa. On ne peut tout attendre de l’Etat. Je ne peux pas créer une Maison d’édition et demander à l’Etat de me financer. L’Etat peut venir en appoint, parce que la culture est aussi une vision. Quand tu as un projet, il faut que tu mettes quelque chose sur la table. Si l’Etat se mettait à financer tous les projets culturels, on donnera tout aux artistes, ce qui fait qu’il ne restera rien pour la construction des écoles et des hôpitaux. Ce n’est pas une conception saine de la culture.
La culture apparait comme une chose dédiée à une élite. Comment faire pour plus la vulgariser auprès des masses populaires ?
Il revient aux artistes de vulgariser leur oeuvre. Macky Sall a beaucoup aidé les artistes depuis son élection. Mais, c’est très sénégalais de vouloir tout attendre de l’Etat. Il faut dénoncer cette mentalité d’assisté. Quand je crée un projet, il faut que j’aie un financement, puis après je demande à l’Etat de me venir en aide.
Qu’est-ce qui empêche l’Etat de renforcer les centres d’expositions et de galeries pour favoriser la promotion culturelle au Sénégal ?
Macky Sall a une politique muséale. On ne dispose seulement que du musée de l’Ifan, le Bourri Bâna un musée d’art contemporain offert à l’Etat du Sénégal par son défunt propriétaire Boubacar Koné et la maison de Senghor transformée en musée, en plus de celui des civilisations noires. Il faut faire en sorte que les gens aient l’habitude d’aller visiter des musées et des tableaux. Les artistes doivent aussi se prendre en main. Les éditeurs et les peintres peuvent s’unir et mutualiser leurs forces. Il faut dépasser cette rivalité interminable.
La culture fait-il vivre son homme ?
La culture ne fait pas vivre son homme dans nos contrées. Quand on le choix entre un sac de riz et un livre, le choix est vite fait. On n’a pas donné toute la considération qui sied à la culture. La culture a un aspect économique. La maison des artistes Soda va être créée pour permettre aux artistes de gérer leur propre production. Ce n’est plus le Bsda qui va être remplacé par la Soda. Ce fut un voeu des artistes. Il faut encourager le mécénat pour inciter l’entreprise à investir dans la culture. On peut aussi mettre en place une politique de subvention des livres pour aider l’industrie du livre.
Que pensez-vous de la prolifération des téléfilms et autres sketchs diffusés sur nos télés ?
Le théâtre a connu ses heures de gloire sous Senghor. Le théâtre africain est né au Sénégal. On avait de grands ballets comme celui de la Linguère. Il y a eu la télévision et le théâtre est entré en crise. La nature a horreur du vide. On nous gavait de sketchs totalement inexportables. Des oeuvres très bavardes et très moralisatrices. Il y a eu des efforts pour les mettre au niveau des films maliens ou nigérians. Il y a eu de grandes troupes comme Daaray Kocc, mais ils ne peuvent pas remplacer le théâtre originel avec son scenario, sa dramaturgie et la création. Les gens disent que ces oeuvres sont appréciées de la population, mais ils doivent savoir que les gens ont tendance à aimer ce qu’on leur offre.
Pourtant, des séries comme «Café avec…» ont connu un succès dans la sous-région et on était diffusé par Canal Plus ?
Il faut travailler la mise en scène. Il faut aussi travailler davantage à créer des passerelles d’échanges avec les gens qui font du vrai théâtre et ceux qui font des téléfilms. Une démarche qui nous permettra de pouvoir les exporter avec une véritable mise en scène. Ce qui nous permettra aussi d’avoir le succès de ceux de Nollywood.