NOS COUTUMES ET NOUS…
«L’IMPORTANCE D’ÊTRE D’ACCORD» : NOUVEAU SPECTACLE DE BERENGERE BROOKS
Le tout nouveau spectacle de Berengere Brooks, à qui l’on doit la mise en scène de cette pièce inspirée du dramaturge allemand Bertol Brecht, questionne nos certitudes, nos rassurants conformismes, nos vieilles habitudes… Sans parler de toutes ces choses que l’on fait sans savoir pourquoi finalement, et avec l’air d’y trouver une sorte de logique. Intitulé «L’importance d’être d’accord», le spectacle a eu lieu il y a une dizaine de jours au Centre Culturel Blaise Senghor. Sud Quotidien a eu le privilège d’assister à la répétition générale…
Quelques réglages…Avant la petite répétition générale, dans les conditions, ou presque, du très attendu spectacle du lendemain. Il faut dire qu’à cette heure de la nuit, 21h et quelques petites minutes, il n’y a pas grand-monde au Centre culturel Blaise Senghor : les comédiens, les techniciens, Berengere Brooks, à qui l’on doit la mise en scène de cette pièce, et l’un des préposés à la sécurité, qui va et vient, du portail à l’arrière-cour du Centre, et qui nous dira plus tard à quel point les petites scènes entraperçues lui avaient donné faim…«Ça promet».
Répéter aussi, ça creuse : galette de riz pour Berengere, barre de chocolat pour l’autre dame de l’équipe, la comédienne Leya Kane, histoire de reprendre quelques forces. Sur le plateau, chaque détail compte : la lumière, «pas trop claire», pour ne pas dénaturer «l’atmosphère»…Car le spectacle est entre la pénombre et la nuit.
Sur cette scène improvisée : deux penderies mobiles, d’un côté comme de l’autre, en plus de ce petit vaisselier qui traîne dans l’arrière-cour, juste à côté de ces gros sacs à dos, ou de couchage, qui ont l’air de peser une tonne.
L’histoire, une mise en scène de Berengere Brooks, s’inspire de ce texte du dramaturge allemand Bertol Brecht, «Celui qui dit oui, celui qui dit non». Sur scène, une ville sans nom, cette mystérieuse maladie pour ne pas parler d’épidémie, qui vous cloue au lit, cette chambrette parmi tant d’autres où la lumière joue un drôle de jeu, ce jeune garçon au chevet de sa mère, et ce drap blanc que l’on prendrait quasiment pour un linceul.
Quant à l’antidote, il se trouverait, dit-on, dans cette autre ville, où l’on trouverait à la fois «remèdes et conseils». Cette mystérieuse «autre ville», là-bas «au-dessus des montagnes», dont on parle presqu’en chuchotant, avec mystère, poésie, et de façon toujours très imagée. Commence alors un «dangereux voyage» aux allures de récit initiatique, sur les pas de nos personnages aventuriers.
Derrière l’histoire, le spectacle questionne surtout notre rapport à la coutume, ou à nos petites habitudes et autres manies, ces choses que l’on fait ou que l’on accepte, sans savoir pourquoi finalement, avec l’air d’y trouver une forme de logique… Car dans cette société pas comme les autres, voilà donc ce que dit la grande coutume : «De temps immémorial il existe une loi : celui qui tombe malade dans une pareille expédition doit être jeté dans le ravin. La mort est immédiate.»
«Ce n’est pas ce que dit l’Histoire…»
Puis le texte...dans le texte, avec cette petite tentative, qui n’ira pas bien loin d’ailleurs, de réécrire l’histoire ou de lui trouver une autre fin, d’adoucir quelque peu la grande coutume, ou de suggérer que celle-ci serait modelable, au cas par cas. Mais non, dit l’un des personnages, incarné sur scène par le comédien Renaud Farah : «Ce n’est pas ce que dit l’Histoire ». A la fin, on verra surtout un jeune garçon (Ass Niang à la ville, avec une voix à la Fou Malade) assez résigné pour refuser de s’incliner devant la grande coutume, et qui ne reculera absolument pas devant l’ultime sacrifice : le don de soi.
«L’importance d’être d’accord», intitulé de ce spectacle de Berengere Brooks, questionne ainsi nos très rassurants conformismes, la peur de ne pas faire comme les autres, d’aller dans l’autre sens ou de bousculer l’une ou l’autre de nos vieilles habitudes.
Berengere Brooks s’amuse aussi à reconstituer certains de nos quiproquos sociaux. Certaines scènes sont entre le ridicule et le cocasse : l’ami très intime du nouveau marié, qui tient la chandelle pendant sa nuit de noces, ce drôle de conflit autour de cette petite table qui a toujours été là, pour on ne sait quelle raison d’ailleurs, et qu’il va peut-être falloir déplacer. Mais voilà que quelqu’un s’y oppose, le très conformiste personnage interprété par l’excellent Sadibou Manga au rire très contagieux, à qui l’on proposera finalement de la déplacer, mais en douceur. Et quand on y pense, certaines de nos interactions sociales ressemblent un peu à tout cela : entre les conformistes, les audacieux, les incendiaires, les malentendus, les masques, les sens interdits, les compromis, etc.
Toujours dans cette société pas comme les autres, l’ami très particulier de votre époux a le droit de vous répudier, même en son absence, et pour n’importe quel motif de surcroît, même le plus farfelu. On verra justement, dans ce spectacle, à quel point certaines de nos femmes sont traitées avec mépris, lorsqu’elles ont l’audace d’avoir certaines prétentions : un poste de chauffeur ou de «chauffeuse», (le mot sera prononcé avec beaucoup d’ironie pendant le spectacle) mais quelle drôle d’idée voyons ! Quant aux prétextes pour ne pas la recruter, on est entre la mauvaise foi et le sexisme primaire. La voix ? Pas assez «virile» ? Un pantalon ? «Trop masculin» ! Une jupe ? «Cela troublerait la paix intérieure du véhicule !» Les talons ? «Question de sécurité ! »
Certains passages sont absolument ridicules, mais toujours à dessein, interrogeant nos certitudes et autres questions existentielles ou philosophiques : et si nous devions marcher à reculons, manger en plongeant la main dans l’assiette derrière nous et pas devant ? Et si…et si ?
Et comment oublier finalement ces quelques petits passages, qui nous ramèneront aux vertes années de la maman de l’histoire, l’incessant ballet de ses prétendants à l’époque, ses réponses laconiques, ses non très tranchés et ses oui presque timides. Sans parler des fleurs et des présents, les promesses et les chansons, avec quelques emprunts à Disney (Ce rêve bleu), les jolis poèmes, dont le «Femme noire» de Senghor, etc.
On se souviendra surtout de ce drôle de soupirant venu avec un discours aussi lourd qu’un très technique commentaire de texte : «Des lèvres saveur de mangue…le rythme chaleureux de la hanche…La hanche ce n’est pas un os comme les autres»...