PROBLEMES DE TRANSITION
DE LA SCENE A LA SERIE TELE
«La télé a tué les planches». Ce sont les mots du comédien Ibrahima Mbaye Sopé, qui s’exprimait lors de la traditionnelle table-ronde du Centre culturel Blaise Senghor, avant la Journée mondiale du Théâtre de ce lundi 27 mars. Thème de la journée d’hier, vendredi 24 mars : «Des planches aux séries télévisées : parcours atypique du théâtre sénégalais».
Pour introduire son sujet, le comédien Ibrahima Mbaye Sopé commencera par un exemple à la fois très simple et très concret. Celui du comédien Moustapha Mboup, malheureusement pas aussi connu qu’il le mériterait. Pas aussi connu qu’un Sanekh, ou qu’un Cheikh Ndiaye, par exemple, qui incarne «Jojo» à l’écran, le poetic lover de Wiri Wiri, feuilleton à succès de la troupe Soleil Levant…Tout simplement parce que lui, Moustapha Mboup, n’a pas eu la chance de «passer à la télévision»…N’allez tout de même pas croire que Ibrahima Mbaye Sopé a quelque chose contre son partenaire de jeu…Non, puisqu’il dit de Cheikh Ndiaye qu’il est même assez «humble» pour admettre qu’il n’a pas étudié le théâtre à l’école. Si Ibrahima Mbaye Sopé a quelques problèmes, c’est avec la télévision, à laquelle il reproche d’avoir «tué les planches». Il faut dire que le comédien, qui collabore aussi avec le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra), a eu le temps d’étudier quelques-unes des séries télévisées qui passent sur nos écrans, entre Mbettel, Pod et Marichou, Wiri Wiri, et les autres, sans parler des 18 sketches de Ramadan.
Première remarque, on ne trouve que très peu de vrais comédiens sur ces productions, des gens qui ont fait les «planches», comme on dit dans le jargon, alors qu’il y en a, avec même quelques noms incontournables, ne serait-ce que pour leurs «qualités techniques» : Ibrahima Mbaye (Sorano), Adjara Fall, Momar Diarra Thioune, etc. Hier, vendredi 24 mars, lors de la traditionnelle table-ronde d’avant le 27 mars, qui est la Journée mondiale du théâtre, le public du Centre culturel Blaise Senghor l’entendra aussi faire cette petite comparaison : au très connu festival d’Avignon, vous verrez un spectacle programmé une «vingtaine de fois», pendant que les productions théâtrales de Sorano ne seront vues qu’une fois, le temps qu’on en parle, ou à peine, et c’est «un problème».
Idem pour ces «comédiens» très vite oubliés d’ailleurs, contrairement à ceux qui passent à la télévision, quand on sait qu’il suffit parfois d’un téléfilm pour être une star.
UN «NOUVEAU TYPE DE COMEDIEN»
Mais comme dirait Ibrahima Mbaye Sopé lui-même, la télévision passerait presque pour un de ces passages obligés, «un pied ici, un pied là-bas», parce qu’il faut bien que le comédien puisse vivre. En termes d’opportunités, vous êtes «payés par jour sur un tournage, vous avez un certain nombre de vues sur Youtube, ce qui équivaut à des rentrées d’argent, sans parler des sponsors» qui tournent autour des séries télé.
Quand on pense aux épisodiques «six mois» sur les planches, où le comédien est payé une fois, et une seule, la tentation d’aller vers une «production audiovisuelle» n’est jamais très loin. Sans oublier, dira le comédien, que le 4ème art est très exigeant, et que ce n’est pas pour les «médiocres : on vous demandera certaines dispositions techniques, une intelligence de jeu »…
Dans le métier, vous en trouverez justement pour vous dire, comme Ibrahima Mbaye Sopé, qu’ils ont été formés à l’Ecole nationale des Arts (Ena). A côté, il y a des gens comme Leyti Fall, formé dans ce qu’on en appellera les «écoles de quartier», et qui s’adresse «tous les lundis à plus de 500 personnes» ou aux 500 jeunes, au moins, de l’association des Artistes comédiens du Sénégal (Arcots), au niveau de son antenne de Pikine. Pour Leyti Fall, l’enjeu consiste aujourd’hui à façonner un «Nouveau Type de Comédien». De façon métaphorique, on l’entendra dire à ce sujet qu’entre le théâtre, et les séries télévisées, ce serait comme entre le «mbappat» et l’arène : il faut une certaine maîtrise de l’un, avant d’aller vers l’autre.
En termes de comparaison toujours, Leyti Fall laisse entendre que les séries télé sont accessibles, «même sans formation, même sans notions techniques». Quant à ceux qui retardent les choses sur les lieux de tournage, ce sont souvent des «gens qui viennent sans bagage», autrement dit sans avoir fait les «planches».
L’autre aspect, c’est qu’on se retrouve aujourd’hui avec beaucoup trop de troupes théâtrales, un peu comme avec les «écuries» de lutte, des troupes parfois sans âme…Quand elles ne se résument tout simplement pas à des «associations», pour reprendre les propos du Dr Massamba Guèye.
Idem pour le réalisateur Leuz, qui ira jusqu’à dire qu’ «il y a tellement de troupes qu’il faudrait y mettre de l’ordre».