UN ESPRIT SUBVERSIF
DJIBRIL DIOP MAMBETY
C’est le 23 juillet 1998 que disparaissait à Paris, à l’âge de 52 ans, le réalisateur Djibril Diop Mambety qui a marqué le cinéma africain et celui des autres continents avec des films cultes comme Touki-Bouki (présent en 1972 à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs) et Hyènes (sélection officielle au festival de Cannes 1992). Le 23 juillet 2016 a marqué les 18 ans de son absence.
A relire la note d’intention qui accompagne le scénario de « Hyène, Linguère Ramatou », on se dit que Djibril Diop Mambety aurait tout aussi bien trouvé son bonheur dans la poésie, le roman ou encore la dramaturgie, s’il avait emprunté ces différents chemins. Sa plume témoignait de ce raffinement qui fait naitre des images à chaque ponctuation. Le cinéma lui a tendu les bras après sa déconvenue au théâtre National Daniel Sorano, lui qui aurait tant aimé servir et servir encore le théâtre. Il aurait aimé être acteur dans des films qui n’étaient pas les siens. Il en avait tant rêvé. Ses apparitions aussi bien dans « Badou Boy » que dans « Hyène, lingère Ramatou » en attestent. Mais le cinéma classique, qui a nourri son adolescence, ne lui satisfaisait pas. Il entreprit de réinventer le cinéma, de lui trouver un langage nouveau plus conforme à sa vision et à son mode de narration, ponctué de dérision et ourlé de détournement. Il était libre de toute contrainte du fait qu’il n’avait, pas comme ses ainés, fréquenté une école de cinéma. Fort heureusement, il avait pour précieux bagage, son expérience au théâtre et sa profonde connaissance des grands auteurs.
Le cinéma de Djibril Diop Mambety est animé par un esprit subversif parce que cinéma d’avant-garde dont il est le chef de file et peut-être le coureur solitaire. Ce qui a surement fasciné le jeune réalisateur Moustapha Seck, qui dans son documentaire , « En attendant le troisième prophète », le place au panthéon des prophètes du cinéma. Djibril Diop Mambety a toujours clamé haut et fort que le cinéma était à réinventer. Il voulait redonner au cinéma une nouvelle dimension. Toute subversion induit la remise en cause de ce qui est établi comme norme, comme règle, comme façon de faire. Le cinéma de Djibril est un cinéma de révolte dans son refus de toute contrainte. Et mine de rien, il aura introduit l’autofiction dans le cinéma sénégalais, une « fictionnalisation » de l’expérience vécue. Un genre qui sera conceptualisé, quatre années plus tard en 1977, par l’écrivain Serge Doubrovsky, enrichi par d’autres penseurs. « Badou Boy » et « Touki bouki » enferment dans leurs images, des éléments vécus dans l’enfance de Djibril. « Touki Bouki » se raccrocherait davantage au genre autofiction en ce qu’il invente un nouveau genre, né d’une liberté d’écriture filmique, consécutive au refus d’un style convenu. Mory, c’est Mambety qui refuse d’aller faire école en occident.
Le cinéma de Djibril Diop Mambety est subversif. A cela, rien d’étonnant si on le replace dans le contexte sénégalais principalement dakarois de l’époque. Ne dit-on pas, que ce n’est pas un homme qui écrit mais une époque qui écrit. Quand Djibril Diop Mambety embrasse le cinéma, le mai 68 sénégalais montrait que rien ne serait plus comme avant. Un soulèvement engendré par la rage d’une jeunesse contre une décolonisation qui tarde à être effective quelque sept ans après l’indépendance du pays. L’historien Abdoulaye Bathily explique que « Sur le plan économique, ce sont les Français qui étaient aux commandes et idem du côté de l’appareil étatique où les Ministres étaient contrôlés par l’autorité française“.
La contestation s’orientait vers une dénonciation virulente de l’ex-puissance coloniale et le besoin d’émancipation. La jeunesse prenait du coup conscience qu’elle était une force politique, sociale et culturelle, aidée en cela par le contexte mondial. Un vent de révolution culturelle prenait corps après mai 68 dans le pays. Sur le plan musical, l’orchestre Wato Sita partait à la recherche de nouvelles sonorités tirées du patrimoine ancestral ainsi que l’intégration d’instruments traditionnels à côté d’instruments européens. Le théâtre d’intervention trouvait place dans l’arsenal du Front Culturel. Dans les cinéclubs, on célébrait Bunuel et le surréalisme, , la nouvelle vague , le néoréalisme italien et Satyajit Ray pour le cinéma indien ; le cinéma Novo brésilien. Globert Rocha était venu à Dakar. C’est dans cette période de mutation sociale qu’il faut placer les premiers films de Djibril Diop Mambety devenus par la suite des classiques.