"ON A UNE TECHNIQUE AUJOURD'HUI POUR REMPLACER LE SABLE MARIN…"
Professeur Papa Goumba Lo, DG CEREEQ
Dans cette interview découverte du centre expérimental de recherche et d'études pour l'équipement (Cereeq), laboratoire national des travaux et des bâtiments, le directeur général Goumba Lô revient sur les récentes découvertes de sa structure. D'après M. Lô, géologue environnementaliste, dans la lutte contre l'érosion côtière et l'avancée de la mer, le Cereeq a l'expertise qui permet de remplacer le sable marin avec une matière constituée de déchets de silexites (roches formées de silex) que l'on trouve sous forme de montagne au niveau de Mboro ou dans le Sud est du pays. Le Cereeq a aussi l'ambition de faciliter la construction avec des matériaux locaux, après avoir établi la cartographie générale des sols et des roches du pays. m. Lô indique d'ailleurs que le sol de Diamniadio n'est pas de très bonne qualité pour la construction, mais le Cereeq a permis de résoudre l'équation.
L'AS : Le Cereeq s'active dans le secteur de la construction, entre autres, quelle est concrètement votre contribution dans ce secteur depuis ?
Professeur Goumba Lo : Le Cereeq a été créé en 1949 par la France. On a conçu le Cereeq pour reconstruire l'Afrique occidentale française, après la deuxième guerre mondiale. Il s'appelait le Centre des travaux public et du bâtiment (Cetpb) qui allait du Sénégal au Tchad. Après les indépendances, ce centre est devenu un laboratoire pour le Sénégal pour réfléchir, faire la recherche et les études pour les sols, la construction des routes, des grands bâtiments et actuellement, on fait beaucoup de recherches sur les matériaux de construction. Concernant les matériaux importés, on teste la qualité des routes, des ponts, des bâtiments et on fait beaucoup de sondages avant que les gens ne construisent ces infrastructures. Le Cereeq est en train d'évaluer aujourd'hui pour être un laboratoire national du Sénégal pour superviser tout ce qui est construction de bâtiments, d'infrastructure routières. Aujourd'hui, on connait parfaitement la carte géotechnique sur l'ensemble du Sénégal ; le Cereeq a réussi à faire la cartographie générale de l'ensemble des sols et des roches au Sénégal, c'est-à-dire n'importe où au Sénégal où vous voulez construire, on peut savoir quel type de roches vous devez utiliser pour construire, quel type de bâtiment vous pouvez mettre en fonction de la nature du sol. On maitrise parfaitement la carte du sol, du sous-sol, les zones instables à travers le Sénégal et on a agi souvent au nom de l'État pour aider à trouver les carrières pour construire les routes et aider à vérifier si ces routes sont bien faites. Aujourd'hui, à Diamniadio, on est en train de superviser les fondations, dans la mesure où certains pensent que les sols ne sont pas aussi bons, mais comme je le dis toujours, il n'y a pas de mauvais sols, tous les sols sont bons. Il suffit de savoir développer une stratégie et d'être ingénieux pour y construire.
Avec le PSE, il s'agit de beaucoup de chantiers comme par exemple à Diamniadio, quelle est la place du Cereeq dans ce programme de développement ?
Dans ce PSE, en général, on travaille avec beaucoup de ministères. Il y a le ministère des Infrastructures pour la définition, la conception, le contrôle des routes, des matériaux. Nous travaillons aussi avec le ministère de l'Enseignement supérieur, aujourd'hui dans la phase de construction de l'université Amadou Mactar Mbow de Diamniadio. Nous supervisions les structures de fondations, nous essayons de voir avec la topographie, si le drainage sera bon. Tout ce qui est géotechnique, on le fait pour le ministère de l'Enseignement supérieur, on travaille avec le ministère de la Santé et avec tous ceux qui ont des programmes au niveau de Diamniadio. A l'aéroport Blaise Diagne aussi, on est présent dans les sols de fondation, dans les contrôles, dans la certification des matériaux. Beaucoup de privés, dans le cadre du Pse, avec les grands programmes de Diamniadio, viennent vers nous parce que nous contrôlons la mise en oeuvre des fondations, nous contrôlons les matériaux (fer, ciment) qui y sont utilisés. Même au niveau de toutes les cimenteries, on va faire de temps en temps des contrôles sur le ciment pour voir si les qualités respectent les normes.
D'une manière générale, quelle est la spécificité de la pédologie au Sénégal et comment on doit l'exploiter pour avoir des infrastructures de qualité dans le pays ?
Tout dépend des sols. Il n'y a pas un sol sénégalais, il y a des sols. Par exemple si vous allez en Casamance, il y a plus d'argile que de basalte, à Dakar, c'est pratiquement le basalte qui est là A Thiès vous avez le calcaire, à Kédougou, c'est des granites, au centre du Sénégal, c'est de la latérite. Partout, nous avons une carte très précise pour dire que vous êtes dans telle ou telle zone, et que si vous avez tel bâtiment, ce bâtiment doit répondre à telle norme. Une maison de 5 étages sur le sol latéritique n'aura pas les mêmes fondations que le même bâtiment sur le sol argileux ou basaltique. Aujourd'hui, nos ingénieurs et techniciens sont formés pour savoir le type de bâtiment qu'il faut pour n'importe quel type de sol, quels matériaux utiliser, quel type de fer. On a vraiment les compétences pour ça. Le laboratoire national du Cereeq est appelé à contrôler tout ce qui se fait dans le domaine du bâtiment, pour respecter les normes internationales de la construction. Quand on parle de Sénégal émergent, de Pse, c'est-à-dire qu'il faut construire, mais bien construire et construire des choses qui résistent, qui sortent de l'eau. Emergence, c'est sortir de l'eau, même dans les zones inondables, on peut construire, sur les zones côtières, on a l'expertise pour construire. Au lieu de lutter contre les inondations, apprenons à vivre avec l'eau, à construire dans l'eau, ça va nous permettre d'épargner des milliards. On a une technique aujourd'hui pour remplacer le sable marin. On a dit qu'il faut arrêter l'extraction du sable marin parce qu'il y a l'érosion côtière, mais nous, on a trouvé déjà un sable qui se substitue au sable marin. On l'a testé et il est bon ; on a fait des ouvrages confirmés.
Ce projet consistera en quoi ? Comment remplacer le sable marin et comment comptez-vous vous impliquer pour faire face à l'avancée de la mer qui menace plusieurs villes au Sénégal ?
Pour l'érosion côtière, en tant qu'expert en préventionniste naturel et construction dans les zones vulnérables, j'ai cherché depuis plus d'un quart de siècle et encadré des mémoires, des thèses sur ces problèmes côtiers. J'ai même été au Japon pour prouver mes compétences à mes collègues japonais lors du Tsunami en 2011, avec des stages. On sait qu'aujourd'hui, le problème de l'érosion côtière, c'est un problème de houle, c'est un problème de niveau de la mer qui monte et de tempêtes qui viennent s'abattre sur les plages Ces tempêtes- là, ce sont des masses d'eau qui arrivent à très grande vitesse et qui viennent balayer tout ce qui est sur la côte en amenant le sable. Notre défi, c'est de pouvoir briser ces forces qui arrivent régulièrement sur les plages, qui emportent le sable. Pour cela, on a conçu des brise-lames qu'on a commencé à tester à Saly et qui donnent des résultats positifs. On a un prototype de ces brise-lames qu'on a fabriqué avec des matériaux qui sont des déchets pratiquement de silexite que l'on trouve sous forme de montagne au niveau de Mboro et qui ne sont rien d'autre que les déchets d'exploitation du sous-sol que personne n'a jamais utilisés. Nous, on les a réduits en sable en fonction de la gravimétrie qu'on veut et on a utilisé ce même sable avec du ciment marin qui résistent à l'eau pendant 1500 ans et on en a fait des ouvrages qui aujourd'hui coûtent moins cher que tout ce qui a été fait jusqu'à présent dans le domaine de l'érosion côtière. Non seulement, techniquement, on va faire réaliser quelque chose de durable, mais au plan financier, ça va être moins cher que ce qui a été fait.
Et pour le remplacement du sable marin, comment allez-vous procéder ?
C'est la même chose, c'est avec les silexites (Ndlr : roches formées de silex) de Mboro. Les silexites, ce sont des matériaux qui, si on les laisse en l'état, il faudrait envisager 15 à 20 millions d'années pour que, sous la pluie, le vent et la chaleur, ils puissent être attaqués, se décomposer et être transportés sur 80 kilomètres pour aller faire le sable marin. Mais nous, en tant que géologue, on va utiliser ces mêmes silexites qui sont à Mboro, les transformer en sable pour renforcer les plages en accélérant le processus. Ce sont ces mêmes silexites qui sont à Bakel et Kédougou et qui, attaqués par la nature, se décomposent et sont transportés par le fleuve Sénégal pour venir se déposer à Saint-Louis sous forme de sable marin. Et depuis que le barrage de Diama a été construit, cet ouvrage bloque ce transit du sable de Bakel et de Kédougou qui n'arrive plus à Saint-Louis, que cette ville a commencé à subir l'érosion parce qu'il y a prélèvement de sable sans qu'il ait apport de sable par le fleuve.
L'accès des citoyens au logement est devenu un grand défi pour tous les gouvernants. Qu'est-ce que vous comptez faire pour l'améliorer ?
L'accès au logement, c'est le problème le plus aigu auquel on s'est attaqué ces dernières années. On se dit qu'avec n'importe quel matériau, on peut construire des briques, même avec les fameuses argiles de très mauvaise qualité qui sont à Diamniadio, on a réussi à faire des briques et des briques qui tiennent. Avec l'argile du Ferlo, on peut faire des briques, de même qu'avec l'argile de Goudomp, le silexite de Bakel, avec n'importe quel sol, on peut faire des briques de bonne qualité. Au Cereeq, on a même conçu des briques qui résistent au feu et qui permettent de conserver la même chaleur à l'intérieur de la chambre en cas d'incendie. Le Cereeq, centre expérimental de recherche, est là pour traduire ces matériaux naturels là, en matériaux de construction, et ces matériaux naturels qui coûtent moins cher, qui coûtent presque rien dans la nature, si on réussit à former des jeunes et à leur apprendre à faire des briques, des constructions, on peut construire dans n'importe quelle région du Sénégal, dans n'importe quel village du Sénégal 3 à 4 fois moins cher que ce que les gens font actuellement. Notre optique, c'est de continuer un peu la politique du Pse, qui a réussi quand même à faire baisser le coût de la location. Mais, pour nous, il faut aller plus loin, en faisant baisser les coûts de production pour que tous les Sénégalais puissent avoir à moindre coût des logements. Rappelez-vous qu'en Egypte, avec les pyramides, il n'y avait pas de fer, de même que dans certains gros châteaux à Rome, depuis les 18ème et 19ème siècles, qui ont résisté au temps, parce qu'on a utilisé les matériaux naturels. La pierre naturelle, elle est éternelle quand elle bien traitée.
Est-ce que dans ce Pse vous sentez qu'il y a une volonté de l'État d'impliquer le Cereeq ?
La première volonté de l'État de nous impliquer, c'est dire qu'on va ériger le Cereeq en laboratoire national. Le Cereeq a été sur le point d'être vendu par l'ancien régime. Il y a une dizaine d'années, le Cereeq était vraiment sur la liste des entreprises à vendre, comme les Ics, la Senelec, entre autres. J'avais convaincu les autorités d'alors qu'il ne fallait pas le faire, parce que le Cereeq devait être un laboratoire national qui devait aider à construire. Au moment où l'on veut avoir des infrastructures de qualité, au moment où l'on menait des activités pour l'accès au logement décent, éradiquer les abris provisoires qu'il y a dans les régions, c'est le moment pour qu'on valorise tous ces matériaux, former les jeunes et créer des emplois pour que le Sénégal puisse se construire avec ces jeunes. Heureusement que le président de la République a partagé ce rêve avec nous en disant qu'il faut qu'on fasse du Cereeq un laboratoire national. Et le Cereeq pourra réaliser ça dans un délai très bref pour que tous les Sénégalais puissent avoir un accès moins cher au logement, régler le problème de l'érosion côtière. On a même un programme pour gagner sur la mer. Au lieu de reculer, on va avancer sur la mer, valoriser les plages et les zones côtières avec le silexite.