DURS A LA TACHE MALGRE LES DIFFICULTES
Sénégalais du Gabon
La dernière Can de football a été l’occasion pour nos envoyés spéciaux d’aller à la rencontre de certains Sénégalais du Gabon. Ce petit pays d’Afrique centrale, destination privilégiée des ouvriers sénégalais (du bâtiment notamment) dans les années 1970, vit intensément les durs effets de la chute des prix du pétrole dont il est un grand producteur. Mais malgré la conjoncture difficile, les Sénégalais y sont encore nombreux et s’évertuent à s’en sortir sans emprunter de raccourcis douteux.
Franceville : A l’ombrette d’un mur en construction, deux ouvriers tentent de se protéger du chaud soleil qu’il fait sur Franceville, dans le Haut-Ogooué, au Gabon. Comme entre Sahéliens et Sénégalais en particulier, on se reconnait assez facilement dans ce pays d’Afrique centrale.
Une brève conversation est vite engagée avec les journalistes qui pressent le pas vers le restaurant d’une de leurs compatriotes établie au rond-point de Potos, le point chaud de la ville. « Que voulez-vous ?
La vie est dure ici. On n’a pas d’autre choix que de trimer pour nous nourrir et économiser quelque chose à envoyer au pays », témoigne l’un des deux maçons. Le billet de 2.000 francs que leur laisse l’un de leurs interlocuteurs « pour (se) payer de quoi (se) rafraîchir », c’est comme du pain béni. Le duo formule une litanie de prières avant de rejoindre leur chantier.
Comme ce duo d’ouvriers du bâtiment, les Sénégalais du Gabon essaient, pour l’essentiel, de gagner leur vie honnêtement, à la sueur de leur front, sans prendre de chemins de traverse ou des raccourcis peu recommandables.
« Nous avons tous à cœur de sauvegarder la bonne image de notre pays », témoigne Thierno Aw, le président de l’Association des jeunes sénégalais du Gabon. Et chacun dans son corps de métier s’y emploie autant que possible. Comme justement cette restauratrice installée à Franceville depuis plus de deux décennies. En ambassadrice de la cuisine sénégalaise, elle « nourrit » autant ses compatriotes de passage que les Altogoovéens (habitants du haut Ogooué) de souche.
Son « Tiébou dieune » n’est certainement pas de la meilleure qualité pour les palais habitués au bon riz au poisson de chez nous, mais fait totalement le bonheur de ses nombreux clients gabonais. Et c’est le principal ; elle n’arnaque personne. D’ailleurs, son business marche si bien que Mère Penda s’est fait construire une maison au pays et envisage d’y retourner bientôt et définitivement.
« Petit Paris »
Non loin de là, Sall, un commerçant originaire du Fouta, écoule tant bien que mal sa marchandise. « En cette période de Can, ce sont surtout les maillots des équipes qualifiées qui se vendent le mieux », témoigne-t-il.
Son seul regret : qu’il n’y ait pratiquement pas de maillots du Sénégal à proposer à ses compatriotes. Etabli depuis plus de 10 ans à Franceville, après avoir transité par d’autres latitudes au cours d’un long périple, il a parfois le mal du pays et « vit la dure conjoncture comme tout le monde », mais remercie le bon Dieu de lui avoir donné la santé pour tenir le coup.
A plusieurs centaines de kilomètres de là, à Libreville, la capitale du Gabon, au marché dit « Petit Paris », son compatriote A. Sy, également originaire du Nord du Sénégal, confirme la dureté de la vie. Il regrette même de ne pas pouvoir consentir de baisse sur les tissus qu’il propose à ses compatriotes venus faire des emplettes.
« Vous savez, rien que pour ce magasin, je paie 400.000 francs de location par mois, sans compter la maison où je loge. En plus, il faut faire bouillir la marmite et épargner quelque chose à envoyer à la famille restée au pays », témoigne-t-il.
Ce n’est cependant pas, selon ce quinquagénaire rondouillard, une raison pour tout remballer ou laisser sur place pour rentrer au pays. « C’est dur partout. Et d’après les échos qui me parviennent régulièrement, chez nous aussi, la vie n’est pas facile », ajoute-t-il. « Et puis, là où l’homme trouve la paix et son bonheur, c’est chez lui », philosophe-t-il.
Abdoul Ciré Dia, ambassadeur du Sénégal : « Nos compatriotes travaillent dans le respect des lois et règlements de leur pays d’accueil »
Libreville : « La vie est devenue difficile au Gabon et, de manière générale, en Afrique centrale depuis la chute des prix du pétrole. Beaucoup d’entreprises ont fermé. Et c’est compliqué, même pour certains Gabonais ». Ces mots sont de S.E.M. Abdoul Ciré Dia, l’ambassadeur du Sénégal au Gabon. Pourtant, quelque 40.000 Sénégalais sont officiellement recensés dans ce pays, c’est-à-dire immatriculés auprès de la représentation diplomatique.
Une banque de données cependant « pas fiable », de l’avis même de M. Dia, car « beaucoup de clandestins ne peuvent pas venir se faire enregistrer ». En effet, dans ce petit pays d’Afrique centrale, il est impossible, pour un étranger, de trouver du travail si l’on ne dispose pas d’une carte de séjour. Or ce document coûte la première fois 800.000 francs sur 2 ans et doit être renouvelé contre 150.000 francs. « Cependant, au marché noir, il peut aller jusqu’à 2 millions de francs », selon le diplomate.
En plus, tout étranger ne disposant pas de cette carte de séjour, en plus de ne pas pouvoir travailler, s’il est alpagué, risque d’être envoyé en prison pendant 3 mois avant d’être expulsé vers son pays. C’est justement ce qui pend à la barbe de pas mal de Sénégalais arrivés au Gabon en provenance du Cameroun ou de la Côte d’Ivoire, officiellement pour supporter les « Lions » du football lors de la récente Can.
Mais, en réalité, pour y émigrer. « Nous avons, en effet, appris que des compatriotes entrés dans ce pays avec le Visa Can ont décidé de rester. Et je n’en vois pas l’intérêt puisque ce n’est plus le Gabon d’antan », a confirmé M. Abdoul Ciré Dia. « Ils vont au devant de problèmes puisqu’ils ont tous été fichés. Et dès les jours qui suivront la fin de cette compétition, il y aura des contrôles stricts », a-t-il ajouté.
En fait, les autorités compétentes gabonaises ne délivrent même plus de cartes de séjour depuis quelques temps. D’ailleurs, le groupe des ambassadeurs africains en poste à Libreville a décidé de se rapprocher tout prochainement des autorités compétentes locales afin de débloquer la situation pour que les documents administratifs soient de nouveau délivrés à leurs ressortissants. En attendant, c’est le statu quo « et ceux qui ne sont pas en règle s’exposeront aux rigueurs de la loi en vigueur ».
Ce qui serait forcément une mauvaise publicité pour le Sénégal dont les ressortissants au Gabon sont généralement très bien vus et appréciés par les populations locales. « Ils s’activent essentiellement dans le commerce, l’enseignement ou le bâtiment. Ils travaillent bien et dans le respect des lois et règlements de leur pays d’accueil », selon le diplomate. Ils sont plus nombreux à Libreville, la capitale, mais sont également présents dans d’autres villes comme Lambéréné, Franceville et surtout Port-Gentil, la capitale économique. De manière générale, ces Sénégalais du Gabon ne font pas l’objet de xénophobie, même si deux d’entre eux ont été assassinés dernièrement.
« C’étaient des évènements déplorables, mais c’étaient plutôt des actes de banditisme comme l’on en trouve dans les pays du monde. Et ce n’était pas spécialement dirigé contre nos compatriotes qui, encore une fois, sont très bien intégrés dans leur pays d’accueil », a tenu à préciser S.E.M. Abdoul Ciré Dia.
Dans tous les cas, la représentation diplomatique sénégalaise à Libreville « suit la question avec l’attaché militaire en collaboration avec les forces gabonaises de sécurité et de défense pour élucider l’affaire », a promis M. Dia.
Association des jeunes sénégalais du Gabon : « Que l’Etat nous aide à soigner l’image de notre pays »
Libreville : Depuis qu’un certain Kébé, taximan sénégalais, a été assassiné à Libreville par un gendarme, il y a un peu plus d’un an, ses jeunes compatriotes ont décidé de se réunir en association pour « défendre leurs intérêts et œuvrer dans le social ».
Thierno Aw qui en est le président soutient que sa structure compte « à peu près 300 membres », lesquels cotisent chacun 2.000 francs par mois. Il arrive même que, ponctuellement, ces Sénégalais se cotisent pour faire face à une urgence afin de prendre en charge le cas de ce supporter du « 12ème Gaïndé » qui s’est fracturé le bras lors d’un accident de la route pendant la Can. Avec cette Association des jeunes sénégalais du Gabon, les autorités consulaires ont un interlocuteur puisqu’ « il était parfois difficile pour nos compatriotes individuellement pris de trouver à qui parler à l’ambassade ».
Désormais, ils ont une interface. Cependant, l’association, selon son président, n’a pas les moyens de ses ambitions. « Il faut que l’Etat nous aide. Nous aussi sommes des ambassadeurs du Sénégal. Nous nous employons, dans tous nos actes, à soigner l’image de notre pays ».
C’est ainsi que, d’après Ibrahima Mbaye, le secrétaire général, les membres de l’association s’emploient à résoudre à l’amiable les conflits entre Sénégalais ou impliquant des Sénégalais avant que cela n’atterrisse au commissariat. Elle prend également en charge, dans la mesure du possible, les malades n’ayant pas les moyens de se soigner. Commerçants, ouvriers ou s’activant dans les assurances, les banques ou le transport, les Sénégalais, de manière générale, « évitent d’avoir des problèmes avec les citoyens gabonais ou la justice locale »,
selon Thierno Aw. Ce dernier s’active « dans les affaires, notamment le commerce de véhicules », depuis 23 ans qu’il est établi au Gabon. Il est donc bien placé pour mesurer à sa juste valeur les effets de la chute du prix du pétrole sur le quotidien des populations vivant dans ce pays, autochtones comme simples résidents.
C’est peut-être conscients de ces difficultés que les Sénégalais de Libreville se réunissent au sein de nombreuses autres association en fonction de leur lieu d’origine (Fouta, Banlieue dakaroise, Casamance) ou de leur « tarikha ». Mais, « dans l’ensemble, tous vivent dans une parfaite harmonie », soutient M. Awe.
Une association à 300 membres, le président sait que c’est bien loin de regrouper l’essentiel des Sénégalais de Libreville, à plus forte raison du Gabon. Mais, pour une structure vieille d’à peine un an, c’est un chiffre encourageant. A l’en croire, le nombre pourrait nettement être revu à la hausse si les autorités centrales aidaient les clandestins et sans-papiers à régulariser leur situation.
En même temps, ce serait bien, avance Thierno Aw, que l’Etat sénégalais « aide les jeunes investisseurs à développer leurs activités » et à « rapatrier ceux qui veulent revenir au pays mais n’en ont pas les moyens, et de favoriser leur réinsertion ».
Leur appréciation sur la Can et la prestation des « Lions » : Organisation parfaite et … déception
Libreville : La communauté sénégalaise au Gabon s’est mobilisée comme jamais avant, pendant et après la Can de football (14 janvier – 5 février 2017) pour accueillir et mettre ses « Lions » dans les meilleures conditions de séjour. En fait, la mobilisation a commencé cinq mois avant le début de la compétition et les premières missions envoyées sur place, selon l’ambassadeur du Sénégal au Gabon, S.E.M. Abdoul Ciré Dia.
La quarantaine de millions de FCfa (20 du chef de l’Etat, 15 du ministère des Sports et 5 de la Fst) mise à disposition pour l’occasion a permis, selon le diplomate, de prendre en charge tous les aspects liés à l’accueil, à l’hébergement, à la nourriture et au transport des supporters venus autant du Sénégal que d’autres pays comme le Cameroun ou la Côte d’Ivoire.
A l’arrivée, M. Dia a tiré un chapeau à tout le monde. « La fête a été bien organisée. Et à Franceville, où était basée l’équipe, les gens ont fait un bon travail », a-t-il témoigné. Pour lui, le mérite est partagé entre l’ambassade, le « 12ème Gaïndé » et les populations sénégalaises trouvées sur place.
Si tout a été au point sur le plan organisationnel, selon l’analyse du diplomate, ce n’est que pour ajouter à « la déception » des supporters ordinaires. A l’image d’Ibrahima Mbaye, le secrétaire général de l’Association des jeunes sénégalais du Gabon, informaticien et chauffeur de taxi à ses heures perdues. « On attendait plus de l’équipe, car elle avait tout pour aller plus loin que les quarts de finale, et pourquoi pas remporter le trophée ».
Ce Sénégalais qui dit avoir roulé sa bosse dans 19 pays et songe sérieusement à rentrer définitivement au bercail, indexe surtout « l’inefficacité offensive » qui a accompagné la prestation de l’équipe sénégalaise tout au long du tournoi.
Mais, hors champ aussi, Ibrahima Mbaye a beaucoup trouvé à redire sur cette participation sénégalaise à la Can « Gabon 2017 ». Surtout concernant « les officiels qui accompagnaient l’équipe ». Selon lui, ceux-ci étaient « en mission et avaient pour devoir d’honorer le drapeau national tout comme les joueurs sur le terrain ». Or, d’après lui, « par leur comportement, certains ont terni l’image de notre pays ».
Un avis qui rejoint celui d’autres compatriotes de Franceville qui témoignent avoir rencontré des membres de la délégation au sens large du terme qui n’avaient rien à faire là-bas et qui n’étaient, en fait, pas venus pour supporter l’équipe ou même pour la Can. « Il faudra, à l’avenir, revoir la composition des délégations. Il y avait des malades, des diabétiques qui ont eu des soucis de santé et ont causé des problèmes à tout le monde ».
Pour Mbaye, tout le monde devait tirer dans le même sens. « Mais, ce ne fut pas le cas ». Pendant que certains œuvraient pour un bon résultat des « Lions », d’autres se comportaient comme en vacances avec tout ce que cela comporte.