ON AVAIT COMMENCÉ EN 2007 AVEC 250 MILLIONS ET EN 2014, ON ÉTAIT À PLUS OU MOINS 2,5 MILLIARDS FCFA…
Bagore Bathily, Laiterie du Berger (LDB)
Si on parle d'entrepreneur qui a réussi dans le lait au Sénégal, difficile de ne pas penser à Bagoré Bathily. Son abord facile, son sourire permanent et sa faculté à parler de son expérience ont fait de lui un des chefs d'entreprise les plus appréciés du pays. Pourtant, tout n'a pas été rose pour celui qui est devenu le symbole du retour vers le pays et la terre avec la Laiterie du Berger ! Entretien…
La Laiterie du Berger, une belle réussite et un exemple pour les jeunes entrepreneurs sénégalais à la recherche d'un modèle. Vous le voyez comme ça. Racontez-nous votre histoire ?
(Rires…) Ici, on est à la Laiterie du Berger. Une société montée par un groupe de jeunes sénégalais qui ont des compétences sur toute la chaîne de valeur agroalimentaire, la collecte de lait, l'industrie de transformation et puis la commercialisation et le marketing. Nous collectons du lait dans la zone de Richard-Toll. La société est née en 2007 et s'est beaucoup développée. Elle a dû, pour cela, faire appel à des financements. Dans notre cas, nous avons beaucoup fait appel aux sociétés de capital-risque qui ont crû à notre potentiel de développement. Ils nous ont apporté des fonds propres qui manquent en général dans les PME. En plus, elles nous ont apporté de l'accompagnement stratégique pour les dirigeants, l'établissement de plans à moyen terme, le bon diagnostic des points à renforcer… Ce 2ème apport manque souvent aux jeunes entreprises. Aujourd'hui, nous avons plus de 800 éleveurs comme fournisseurs dans la zone. Donc, un impact très fort dans la localité. Ces personnes-là touchent quasiment un salaire en nous vendant leur lait. Avant, elles n'arrivaient même pas à écouler le lait qui se gâtait…
Vous parlez de salaire, expliquez-nous un peu plus cela ?
Ce n'est pas vraiment un salaire. On avait fait le calcul. En 2013, on était arrivé à un cumul de 1 milliard FCFA de lait acheté. En gros, on achète un million de litres par an. En 2014, on a acheté 5 millions de litres, soit près 350 millions FCFA reversés dans la collecte entre l'achat du lait aux éleveurs et le ramassage. Si cette expérience était généralisée, au lieu d'importer 50 à 70 milliards pour du lait au Sénégal, on en importerait que la moitié et l'autre moitié serait reversée dans nos campagnes. Le budget du ministère de l'Elevage, c'est de l'ordre de 20 milliards alors que là, on parle de choses significatives et c'est notre première activité. En plus, il y a l'accompagnement des éleveurs avec une fourniture en aliments de bétail, des services de mise en place de l'écosystème… On a incité des ONG et des entreprises à s'installer dans la zone de Richard-Toll, à avoir des programmes pour que les éleveurs aient tout ce qu'il faut pour produire plus.
Une chaîne de production et de valeur locale, avec des acteurs locaux, on est en passe de créer une filière autour de La laiterie du Berger ?
Nous voulons jouer le rôle de catalyseur avec notre activité propre. Il faut vraiment un écoulement du lait. Si c'est sécurisé, on peut se demander comment faire pour produire plus. Notre 2ème métier, c'est la transformation de lait pour faire la gamme nie Dolima. Aujourd'hui, la plupart des Sénégalais connaissent Dolima et c'est grâce au bilan de nos industriels et au 3ème point de notre métier, la distribution et le marketing. À nous, industriels, de comprendre pourquoi le consommateur achète notre produit. Si on veut toucher le grand public, il faut des prix compétitifs. Pour une consommation de masse, il faut avoir le goût, s'adapter aux habitudes locales. C'est pareil pour le riz. Pour cela, il faut dépasser les croyances, avoir un positionnement et c'est ça qui tire toute la filière en amont. En termes de chiffres, c'est une forme de croissance. On avait commencé en 2007 avec 250 millions et 2014, on était à plus ou moins 2,5 milliards FCFA.
Quelles sont les mesures qui doivent être prises par l'État pour permettre à la filière de bien grandir sans trop d'écueils ?
A ce sujet, on ne peut plus faire de protectionnisme. On est dans des économies ouvertes. Il faut que le produit soit accessible au maximum de Sénégalais. Il ne faut pas le renchérir, même s'il est importé. Néanmoins, il ne faut pas, non plus, que les lières locales qui sont en train d'émerger, soient trop pénalisées par des dispositifs fiscaux qui font qu'on paie plus de taxes en produisant localement plutôt qu'en important.
C'est le cas pour le lait. Vous savez, la fiscalité est trop compliquée. On ne peut pas entrer dans ce débat. Par exemple, 1kg de lait acheté à l'étranger est taxé entre 5 et 7% alors qu'un kg du lait local en subit 22%, toutes charges comprises. C'est complètement aberrant… Tant qu'il n'y a pas de réglementation, ces genres de barrières ralentiront notre filière. Il faudra un dispositif qui allège au maximum les taxes relatives à la remontée de la filière.
Malgré ces difficultés, vous avez pu faire votre trou et grandir un peu, cela veut-il dire que le modèle est viable et qu'il peut être reproduit à une échelle nationale ?
Le modèle existe maintenant avec 8 années d'expérience. On sait comment aller collecter du lait. Cette année, on a un centre de collecte. On va collecter environ un million de litres avec une capacité de stockage de 50 millions de litres. Avec 10 centres de collecte, nous pourrions collecter jusqu'à 500 millions de litres. C'est là qu'on voit que, pour avoir une échelle, il faut un vrai dialogue avec le gouvernement, avec des actions concrètes. Le modèle existe, il faut le rectifier et le dupliquer.
En reproduisant le modèle, ça signifierait-il l'atteinte de l'autosuffisance en lait ?
A priori oui ! Prenons un schéma, au Sénégal, on est 13 millions d'habitants pour à peu près 3 millions de bovins, soit 25% de la population. En France, par exemple, c'est un ratio de 10 millions de bovins pour 60 millions de population. Pourtant, la France est un grand pays exportateur de produits laitiers et de viande. Il n'y a pas de raison pour que cela ne soit pas possible au Sénégal car c'est presque le même ratio.
On a des bovins, il faut les faire produire et ça, c'est de l'agronomie, la culture fourragère, l'accès à l'eau, la formation des éleveurs, la santé… Les éleveurs pourront payer s'ils ont des revenus.
On ne vous sent pas enthousiaste là, doutez-vous que la filière puisse s'organiser très rapidement et devenir un moteur de l'économie nationale ?
Justement, ça doit l'être ! On a une population qui y croit. On sait que la population rurale pourvoie, chaque année, des jeunes dans les campagnes, comme dans les villes, et ce sont ces jeunes qui sont les plus vulnérables. C'est une urgence et je crois qu'il faut passer à la vitesse supérieure.
Avez-vous fait du bench mark dans les pays de la sous-région pour savoir si des opportunités existaient là-bas ?
Dans la zone du Sahel, il y a une grande réussite en termes de laiterie. Je citerai des pays comme la Mauritanie, le Niger. Au Sénégal, c'est la question de la réglementation de la filière qui pose problème.
Cela voudrait-il dire que le modèle sénégalais n'est pas aussi attractif, financièrement ?
Je pense que le financement est fait pour un type de projet avec ses spécificités. Dans l'agriculture, on est sur du moyen terme. Ensuite, les rendements ne sont pas ceux des TIC. Il faut tenir compte de tout ça pour avoir un financement.
Remontée de la filière, croissance inclusive, entrepreneuriat responsable, tout cela explique- t-il votre nomination à la tête d'Enablis Sénégal qui a vu son patron débarquer à Dakar ? Parlez-nous d'Enablis Sénégal ?
Aujourd'hui, Enablis Sénégal a un staff très professionnel de 4 personnes qui dédient 60% de leur temps à bâtir un réseau d'entrepreneurs au Sénégal. Pour le moment, on en a 35 et on en aura 400, d'ici quelques années. La volonté et l'engagement d'Enablis, c'est d'apporter à ces jeunes entrepreneurs tout l'accompagnement dont ils ont besoin. Le coaching, la mise en réseau, etc. Deux ans après le lancement d'Enablis Sénégal, Charles est venu voir où on en était, pour apporter son soutien et revitaliser nos énergies. Et je crois que Charles était satisfait du travail au Sénégal. Je suis très con ant quant à notre objectif qui est d'atteindre 400 entrepreneurs physiques dans notre réseau Sénégal d'ici à 3 ans.
Comment faites-vous pour dénicher des perles rares susceptibles de satisfaire aux nombreux critères d'Enablis ?
Notre équipe sert un tunnel. La 1ère chose consiste à identifier des entreprenants. Pour cela, ils ont une méthodologie pour accepter ou pas un membre dans le réseau. Comme le dit Ibrahima Ba, le directeur, il faut insister sur les valeurs. Il faut des gens qui sont ouverts d'esprit. Il parle souvent d'humilité. Pour lui, sans elle, on ne peut pas s'ouvrir. On cherche des entrepreneurs qui soient talentueux mais aussi bons citoyens. Il y a beaucoup de critères sur la personne même de l'entrepreneur avant toute idée d'intégration dans le réseau Enablis Sénégal.