LA DISETTE S’INSTALLE SUR LE QUAI DE PECHE DE RUFISQUE
RARETE DU POISSON
A Rufisque, les ménagères peinent à trouver le poisson du fait d’un manque noté, depuis une semaine, sur le marché local. Au quai de pêche, cette disette qui intervient en plein Ramadan, de surcroît à une période estivale pourtant propice à une bonne pêche, laisse perplexes les acteurs du secteur. Les caprices du climat sont mis à l’index. Il faut dire que le poisson qui fournit jusqu’à 70% du besoin en protéines animales est essentiel pour la préparation du ceebu jën (riz au poisson) tant prisé par les Sénégalais. Devenu rare, son prix a connu une double hausse.
Rufisque, qui fait partie des huit sites de débarquement avec Hann, Ouakam, Rufisque, Thiaroye, Mbour, Joal, Kayar et Kafountine, sur les 718 km de côtes sénégalaises, participe à approvisionner le marché local et international en produits halieutiques. Avec l’écho d’un abattage clandestin d’âne orchestré par des personnes malintentionnées amplifié par sa mise en circulation, certains ménages sénégalais, toujours sous la psychose de ce dernier épisode, se sont rabattus sur la consommation du poisson et du poulet. Car présentant, selon certains, plus de garantie quant au caractère licite du produit. Un «regrettable» épisode intervenu peu avant le début de ce mois béni de Ramadan.
A Rufisque, le quai de pêche est la nouvelle destination pour acheter le poisson frais à bon prix. La clientèle hétéroclite vient se procurer le poisson, d’aucuns pour la commercialisation, d’autres à la recherche d’un produit frais de qualité. C’est le cas de d’Alioune Ngoudiane, fonctionnaire à la retraite. Profitant du week end, les yeux sous des lunettes de soleil, lui et son ami ont choisi de s’approvisionner au quai de pêche de Rufisque. «Le quai n’a pas grand-chose. Quand même, j’ai acheté du poisson frais», fait savoir Alioune.
A quelques mètres de là, une dizaine de femmes assises côte à côte devisent dans une atmosphère indescriptible. Sur leurs étals sont amoncelées, à part égal, diverses variétés de poissons. Des rougets, en passant par les thons blancs, sont disposés sur les différents étals. Interpellé sur le prix de sa marchandise, fruit d’une capture de la nuit d’avant, l’une des bana-bana, le foulard négligemment posé sur la tête affirme : «Le thon blanc est vendu 2000 francs Cfa l’unité, alors que les rougets valent 2000 francs Cfa le tas». Une réponse lancée tout de go à ce client dubitatif face à la surenchère de ce produit en manque sur le marché.
Le poisson rare et inaccessible
A quelques encablures du quai sont stationnés des camions frigorifiques prêts à desservir les régions à l’intérieur du pays en produits halieutiques. Le grand bleu ouvre grâcieusement ses bras généreux à quelques mètres répandant partout la brise maritime qui contraste avec l’odeur nauséabonde du lieu de débarquement.
Sur place, les calèches en rangs sur le bas-côté droit de la ruelle attendent une course. Les camions frigorifiques stationnés ça et là laissent place à une petite haie aux visiteurs. Une atmosphère qui fait bomber le torse aux quelques pêcheurs ragaillardis par de pêche de nuit en mer.
Astou Diop est venue de Fass. Seau à la main, elle espère rentrer avec un récipient bien rempli de poissons. Emmitouflée dans un boubou traditionnel multicolore, elle renseigne : «Aujourd’hui, le poisson est en manque». «S’il y en avait en quantité, le prix serait revu à la baisse et le quai serait inondé de poissons», a-t-elle lancé en direction d’un profane visiblement affligé par un tel constat.
Pour autant, cela ne semble pas décourager outre mesure sa collègue qui s’adonne à l’écaillage des poissons acheté par les clients. Habituée des lieux, elle fait le travail moyennant 200 voire 300 francs Cfa (selon les clients). Marième Ségnane vient souvent au quai les week-end à la recherche de poisson frais. Malgré l’absence de poisson noté ce jour, elle a pu, au sortir d’un marchandage serré, mettre dans sa calebasse un thon blanc. «C’est pour la consommation familiale. Gardées au frais dans le frigo, ces tranches vont nous servir à préparer du bon ‘ceebu jën’», avoue-t-elle.
Assises sur leurs seaux scrutant l’horizon, ces détaillantes venues s’approvisionner au quai, espèrent elles aussi voir débarquer une embarcation avec du poisson à gogo dans les cales. Face à la rareté du produit, la sardinelle (Yaaboy en Wolof) fait la loi, mareyeuses, petites vendeuses de quartiers se rabattent sur ces petits pélagiques très prisés de populations.
Quand le poisson est troqué avec la mangue locale
A l’instar des autres femmes du département, Kadia Gaye, cette résidente du quartier Dangou, s’active aussi à l’échange de poisson contre la mangue. Un procédé qui lui permet de subvenir aux besoins de la famille. Ainsi, elle se rend, de temps à autre, à Sébikotane, Diamniadio, Dougar, Keur Ndiaye Lô et même à Pout (dans la région de Thiès) pour se procurer le fruit qu’elle dit revendre moyennant 500 francs Cfa le tas au quai de pêche de Rufisque.
«A la fin de la journée, je procède à un échange pour rentrer chez moi avec du poisson», dit-elle le sourire au coin. Poursuivant son explication, elle explique : «Il arrive parfois que des pêcheurs, après débarquement, viennent faire le troc, ainsi chacun repart satisfait».