LE PRÉSIDENT DES INGÉNIEURS LIVRE SON EXPERTISE
El hadj Mamadou Moussa Thiam, ancien directeur général de la Senelec parle de la découverte du pétrole et du gaz - ENTRETIEN
Les membres de l’amicale des Diplômés de l’école Polytechnique de Thiès (Adept) célèbrent ce samedi le quarantième anniversaire de leur association. Prétexte pour «L’As» d’aller à la rencontre de son président, El hadji Mamadou Moussa Thiam, afin de faire le bilan de l’amicale et de dégager des perspectives. Homme du sérail qui a blanchi sous le harnais de l’administration publique et ancien directeur général de Senelec, El hadj Mamadou Moussa Thiam a été secrétaire permanent à l’énergie et ancien membre du comité Stratégique du Pétrole et du Gaz (Cos Pétro gaz).
Ancien directeur général de Senelec, vous avez été de 2013 à 2017 le secrétaire permanent à l’énergie, quel rôle avez-vous joué pour la résolution de la crise énergétique ?
El Hadj Mamadou Moussa Thiam : Le Secrétariat Permanent à l’Energie a été créé au plus fort de la crise qui avait frappé le sous-secteur de l’électricité. Pour résoudre de façon durable les problèmes liés à la fourniture de l’énergie électrique, il a fallu mettre en place un plan pour la réalisation des investissements nécessaires, comprenant la réhabilitation des centrales existantes et la construction de nouvelles centrales, mais également sécuriser l’approvisionnement en combustibles des centrales. Il a été mis en place le Conseil National de l’Energie présidé par le chef de l’Etat, et le Secrétariat Permanent à l’Energie pour suivre et contrôler l’exécution des directives et recommandations de ce Conseil. Le rôle du Secrétaire Permanent à l’Energie était donc d’assurer le suivi et la supervision de tous les projets de l’énergie pour pouvoir résorber le gap énergétique dans la fourniture de l’électricité, mais également de réhabiliter et d’étendre les lignes de transport et de distribution pour acheminer l’énergie, mais aussi pouvoir développer l’électrification rurale, assurer la promotion des énergies renouvelable. C’est dans ce cadre que beaucoup de choses ont été réalisées. Durant mon mandat à ce poste, nous avons assuré le suivi de plusieurs projets. Sur le plan de la production, plusieurs centrales ont été réalisées : notamment la centrale de Tobène Power, la centrale de Contour Global, l’extension de la centrale de Bel-Air et de Kahone, la centrale de Ziguinchor qui a été la première centrale inaugurée de 10 mégas, etc. A cela, s’ajoutent toutes les centrales solaires et la centrale de Sendou qui va bientôt être terminée. C’est vous dire qu’il y a des investissements de centrales pour plus de 500 mégawatts, mais aussi les réalisations dans l’électrification rurale qui ont porté le taux d’électrification de 25 à près de 40%. Sans compter la sécurisation de l’approvisionnement en combustibles des centrales de Senelec et tous les autres volets du secteur de l’énergie.
Mais les délestages persistent toujours !
Non ! On ne peut pas parler de délestage. Il faut faire la différence entre les délestages et les coupures d’électricité, même si certains ne veulent pas l’entendre, disant que ce qui nous intéresse c’est d’avoir du courant, c’est totalement différent. Le terme délestage correspond à un manque de production ; c’est lorsque la capacité de production ne permet pas de couvrir la demande en électricité. Dans ce cas, on est obligé de fournir de l’électricité à une partie des consommateurs et à laisser d’autres consommateurs en attente. Il faut dire qu’aujourd’hui la Senelec a une capacité de production suffisante pour couvrir les besoins de la demande en électricité. Les coupures notées, à un niveau très raisonnable, sont liées à des problèmes de réseaux, pour diverses raisons.
On vient de découvrir du pétrole et du gaz au Sénégal. en tant qu’homme du sérail, quels conseils donnez-vous pour éviter la malédiction du pétrole ?
D’abord, il faut se féliciter qu’il y ait eu ces trois découvertes. Parce que pendant très longtemps, on a exploré sans rien trouver. Mais nous devons surtout garder la sérénité. Il y a encore des étapes importantes avant d’arriver à la production de la première goutte de pétrole. Nous avons encore le temps et la possibilité de nous asseoir ensemble, de discuter et de beaucoup échanger. Le secteur du pétrole est un secteur extrêmement complexe. Les contrats pétroliers obéissent à des paramètres et des mécanismes très différents des autres contrats. Actuellement, on est encore à la phase d’évaluation et de confirmation des premières estimations. L’Etat du Sénégal doit se doter d’une véritable expertise et mettre en place les compétences nécessaires, car au moment de l’exploitation pétrolière, il faudra disposer des compétences pour pouvoir bien évaluer et contrôler les quantités de produits pétroliers et gaziers, qui seront à la base du partage entre le promoteur et nous. Notre pays a été jusqu’à présent à l’abri de beaucoup de malédictions. Si nous mettons en avant les valeurs qui nous ont permis d’échapper à beaucoup de difficultés notées dans plusieurs autres pays, le pétrole et le gaz seront une véritable benediction.
L’amicale des Diplômés de l’école Polytechnique de Thiès fête ses 40 ans. Pourquoi avez vous jugé nécessaire de les célébrer ?
Apres 40 ans d’exercices professionnels, nous nous sommes dits qu’il est nécessaire de faire le bilan de la réalisation des ingénieurs dans les différents domaines relevant de leur compétence. C’est un moment important pour échanger non seulement sur ces 40 ans d’exercice, mais également pour réfléchir sur le rôle de l’ingénieur dans le développement du futur africain. Le comportement d’un ingénieur au niveau africain peut ne pas être le même que celui dans d’autres pays parce que nous avons des exigences, mais aussi des obligations, des limites et des contraintes dans certains domaines. Donc, il faut d’abord agréger l’ensemble de ces facteurs pour pouvoir bien déterminer la position de l’ingénieur africain. Au-delà de cela aussi, l’EPT ayant 45 ans d’existence, c’est une occasion de réfléchir sur avenir et son développement, pour maintenir le cap de l’excellence et assurer sa montée en puissance ; elle a été créée en 1973. Nous rendons hommage au Président Léopold Sedar Senghor qui a eu cette vision non seulement de la nécessité de mettre sur pied une grande école d’ingénieurs de même niveau que celle des grandes écoles d’ingénieurs du monde, mais aussi de se dire que l’Amérique du Nord étant en pointe au niveau technologique, nous allons créer une école d’ingénieur de type nord-américain. C’est pour cela que l’Ecole Polytechnique de Montréal avait parrainé l’Ecole Polytechnique de Thiès. Et le financement était assuré par l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI).
Ou en etes-vous avec le projet de l’ordre des ingenieurs ?
Autant, il est nécessaire d’avoir des ingénieurs bien formés, de qualité pour pouvoir développer un pays surtout des pays comme les nôtres où il reste encore beaucoup de choses à faire, autant il est nécessaire de pouvoir organiser la profession. Nous déplorons qu’aujourd’hui, il n’y ait aucun texte législatif ou règlementaire régit les ingénieurs. La recrudescence des catastrophes de tous ordres interpelle les consciences. Dans un passé récent, on a enregistré plusieurs effondrements de bâtiments, des explosions d’usines, conséquences de malversations qui sont dues essentiellement à un manque de maitrise de la conception ou de la réalisation de certains ouvrages ou objets. Ceux qui ont réalisé ces ouvrages n’étaient pas les personnes habilitées à le faire. Ils n’avaient pas les compétences nécessaires. Et les règles de construction n’avaient pas été respectées. Il n’y avait pas non plus d’organes de contrôle. Donc, il est important de mettre en place des organes qui assurent le bon exercice de la profession d’ingénieur. Dans ce cadre, depuis 7 ou 8 ans, nous avons entrepris des actions pour la création de l’Ordre des ingénieurs. La première action a consisté à recenser les associations des ingénieurs. Ce recensement avaient permis d’identifier une douzaine d’associations qui avaient répondu à notre appel, et de mettre en place une commission de l’Ordre des ingénieurs qui a produit 3 textes : un projet de loi portant création de l’Ordre des ingénieurs, un projet de décret d’application et un code de déontologie. Ces différents textes ont été envoyés aux autorités pour pouvoir faire le circuit nécessaire afin de créer l’Ordre. Nous allons certainement profiter de cette célébration pour relancer les autorités sur la mise sur pied de l’Ordre des ingénieurs
Quelles sont les actions entreprises par l’amicale au cours de votre mandat ?
L’Adept a organisé plusieurs tables rondes, des conférences portant sur des thèmes d’ordre technique. Les dernières manifestations sur le plan de la réflexion, ce sont deux colloques scientifiques importants qui avaient rassemblé des experts nationaux et internationaux. Le premier colloque portait sur les inondations et le second sur l’énergie parce que nous nous étions dits en un moment donné que l’Adept doit pouvoir donner sa contribution sur tous les domaines d’ingénierie où les populations rencontrent des difficultés. Si vous vous rappelez bien, les inondations ont eu à causer de nombreux dégâts à un moment donné. C’était devenu un phénomène récurrent pendant presque 5 à 6 années successives. Nous avions dit qu’au lieu de recourir toujours à des solutions d’urgence, il fallait organiser de grandes réflexions. D’abord connaitre les causes du phénomène, évaluer les conséquences et ensuite trouver des solutions durables à ce problème. Ce colloque s’est déroulé en deux jours. Et au terme de nos échanges, nous avions élaboré un document de 200 pages qui a été remis aux autorités du pays. Ces derniers l’ont exploité et un peu plus tard, le président de la République nous avait fait l’honneur d’inviter l’Amicale des Diplômés de l’Ecole Polytechnique Thiès au conseil présidentiel sur les inondations où nous avons pu apporter notre contribution. En 2012, il y a eu l’organisation du colloque sur l’énergie. Je crois que nous avons encore tous à l’esprit les grandes difficultés dans la fourniture de l’électricité du Sénégal, occasionnant dans les années 2011, des émeutes de l’électricité, qui ont beaucoup marqué les esprits des Sénégalais. Là aussi, nous nous sommes saisis du problème pour dire que la parole des ingénieurs est fortement sollicitée pour faire un diagnostic de la situation et trouver des solutions aux problèmes de l’accès à l’énergie. Nous avons organisé un colloque sur 3 jours qui avait réuni des experts nationaux et internationaux, des universitaires, des scientifiques, des décideurs et évidement des ingénieurs. A travers cette rencontre, nous avons échangé, fait des réflexions profondes et décliné des solutions sur tous les aspects du secteur de l’énergie, sur la production de l’électricité, sur le transport et la distribution, sur la régulation, sur le financement des infrastructures en matière d’énergie, sur l’électrification rurale, sur les énergies renouvelables, sur la maitrise de l’économie de l’énergie, bref, tous les thèmes ont été abordés, traités dans des ateliers, compilés dans un document de 400 pages et remis aux autorités.