«ZIGUINCHOR VA ETRE LE DEUXIEME PORT INTERNATIONAL, APRES DAKAR»
YERIM THIOUB, DIRECTEUR GENERAL DE L’AGENCE NATIONALE DES AFFAIRES MARITIMES (ANAM)
Faire de Ziguinchor le deuxième port international du Sénégal après Dakar. Telle est l’ambition de l’Agence nationale des affaires maritimes (Anam). Dans cet entretien, et en dépit de quelques polémiques, notamment avec la chambre de commerce de Ziguinchor, le Dg de l’Anam Yérim Thioub décline les grands axes de cette ambition. Il revient aussi sur le dragage du fleuve et du port de Ziguinchor.
Monsieur le Directeur général, un débat se pose autour du dragage du fleuve Casamance. Que pouvez-vous nous dire sur cette question ?
Il faut le dire, c’est la première fois que ce fleuve est dragué depuis des millénaires. Actuellement, le dragage physique est terminé. Il a été précédé d’abord par une campagne de sondage, avant et post dragage, mené par le Service Phares et Balises, principalement avec le bureau de contrôle. Ces opérations pré et post sondages avaient duré 3 mois, plus de 6 mois de dragage effectif physique, et l’ensemble du dragage était estimé à 9 mois, dont 6 mois de dragage effectif. Les travaux de sondages ont commencé le 23 juillet 2015 à Ziguinchor et le 4 septembre les travaux de dragage physique ont commencé à l’embouchure et se sont achevés les 20 janvier 2016. Soit près de 5 mois au lieu de 6 mois contractuels. Il a été réalisé en 5 mois grâce à la mise en service de deux dragues le Waterway et l’Argonaute qui ont joint leurs efforts.
Il y a beaucoup de rumeurs sur sa réalisation ou pas, sur les délais de réalisation. Que répondez-vous à la clameur populaire ?
J’ai répondu en donnant les délais réels qui sont vérifiables, qui ont été vérifiés et que tout le monde partage, notamment l’Anam, le Service des Phares et Balises, le bureau de contrôle et l’ambassade des Pays Bas. Car, nous ne sommes pas seuls, c’est un projet financé en partie par le gouvernement des Pays bas qui a son mot à dire et qui vérifie là où ses financements vont. Sur le dragage, toutes les rumeurs qui ont été développées autour de ces questions n’engagent que leurs auteurs.
Des doutes ont été émis par rapport à la profondeur du dragage de -6,5 m de tirant d’eau…
Ce dragage était saucissonné en 4 zones. La zone A de l’embouchure du fleuve au travers de Diogué. La zone B du chenal de Diogué jusqu’à la hauteur de Carabane. La zone C, c’est le port de Ziguinchor lui-même. Et la zone D, la jetée de l’île de Carabane. Les quantités réceptives sont de 1 500 000 m3 à l’embouchure. Ils ont été clapés, c’est-à-dire rejeter et immerger les dépôts de matériaux. Ils sont clapés dans des zones préablement déterminées lors d’une audience publique sur une étude d’impact environnemental tenu à Ziguinchor. Donc, les zones de clapages étaient bien connues, identifiées, approuvées et validées au départ à 11 kilomètres en pleine mer. La zone B, ce sont 120 000 m3 clapés également en mer dans des zones préablement identifiées. La zone C, c’est seulement 5000 m3 qui ont été clapés à une profondeur de moins 20 m dans le fleuve et la zone D, 30 000 m3 ont aussi été clapés. Donc, aujourd’hui, les profondeurs que nous avons, ce sont des profondeurs contractuelles avec une tolérance de 50 cm, c’est-à-dire -7m à 7,5 m.
C’est dire donc qu’il n’y a aucun problème à ce niveau-là ?
Le baliseur Samba Laobé Fall a constaté des profondeurs de 8 m, au lieu de 7,50 m contractuelles au niveau de l’embouchure. C’est-à-dire que vous avez l’avantage, avec les navires qui vont à Ziguinchor, d’emprunter cette passe qui a été draguée conformément au contrat et balisée correctement. Pour vous dire que ceux qui disent ces choses-là, cela n’engage qu’eux. Car, ce n’est pas ce qui a été vérifié par le Service des Phares et Balises. Les gens sont libres de donner des informations qu’ils veulent à la presse, mais les faits sont là et têtus.
Qu’en est-il du problème du balisage qui est aussi soulevé ?
Certes, le dragage a été fait, mais effectivement il ne s’agit pas seulement de draguer, il faut aussi baliser. Et pour la première fois dans cette zone, un important effort a été fait par l’Etat du Sénégal pour renforcer le nombre de bouées. Surtout que ces bouées présentent des caractéristiques techniques spéciales. Nous avons 120 bouées, dont 110 doivent être posées et ont commencé à l’être. Parmi ces 110, il y a 46 bouées d’embouchures faites spécialement pour résister aux fortes pressions. Elles ont une hauteur hors d’eau de 4,20 m. Donc, elles sont très visibles de loin. Il y a 74 bouées fluviales, dont les 46 sont déjà posées. Elles présentent toutes la particularité d’être lumineuses et autonomes, permettant la navigation de jour comme de nuit. Et parmi les bouées d’embouchures, il y a trois équipées d’Ais (Automatic identification of shipp) qui permettent à un navire, où qu’il soit, de pouvoir s’orienter directement sur le chenal navigable et l’embouchure. Ce qui est quand même une première au Sénégal. Tout ce travail prendra fin à la fin du mois de mai. Mais, d’ores et déjà, la passe médiane a été ouverte à la navigation, ce qui a permis au baliseur Samba Laobé Fall, la semaine dernière, ainsi que le navire Aguène, d’emprunter la passe.
Et par rapport aux études d’impact environnemental, que pouvez-vous nous dire ?
L’étude d’impact environnemental a duré de nombreux mois. Finalement, une audience publique a été convoquée à Ziguinchor le 15 mai 2015, présidée par le gouverneur de l’époque. Elle a vu la participation de toutes les autorités, de l’administration, des élus locaux, de la chambre de commerce, ainsi que d’autres élus locaux de la région. L’étude d’impact environnemental a été discutée de long en large et en travers. Et dans cette étude d’impact environnemental, vous avez les zones de clapages. Donc, tout a été discuté et validé. Car, sans cette audience publique de l’étude d’impact environnemental, nous n’aurions pas pu commercer le dragage. Et il n’y a eu aucune opposition, toutes les explications nécessaires ayant été données et validées.
Justement, vos propos au sujet de la concession du port de Ziguinchor, en Partenariat public-privé, au lieu de la confier à la seule chambre de commerce de Ziguinchor, ont été décriés ?
Quand l’Anam travaille sur un dossier, elle n’a aucune approche subjective. Son approche, c’est celle d’une administration qui est soumise à des considérations aussi bien techniques que financières et économiques. Et ce dossier a été configuré sur la base de ces seuls critères. Au moment où le projet était confectionné, c’est une proposition déjà au niveau de l’étude préliminaire faite par des consultants de renommée internationale qui ont tenu compte d’un certain nombre de considérations. La première, ce sont les questions de sûreté. Il faut des investissements importants et des moyens importants en ressources humaines, en réalisation d’infrastructures diverses pour être conforme aux normes Isps (en français : Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires). Demandez un peu au port de Dakar. Ça a coûté une fortune au port de Dakar qui s’est finalement mis aux normes, des normes validées par la garde côte des Etats-Unis. Donc, le premier critère, c’est la sûreté. Et la sûreté ce n’est pas, comme certains le pensent, des notions abstraites. Il y a une traduction concrète en matière de sûreté.
Donc, si on comprend bien, la chambre de commerce de Ziguinchor ne répond pas à ces normes ?
Seule, la chambre de commerce de Ziguinchor ne pourra pas. Il faut le dire objectivement, mobiliser ces ressources par elle-même pour gérer le port, elle ne pourra pas le faire seule. Même l’Anam ne peut pas. Cela demande des moyens importants que nous n’avons pas. Aussi, la chambre de commerce devrait régler les problèmes de sûreté. Parce que, dès que Ziguinchor sera ouvert, vous allez avoir des navires, du trafic international. Automatiquement, la communauté maritime internationale va demander à ce que le port soit mis en normes Isps, comme le port de Dakar.
Il faut aussi, outre les questions de sûreté, assurer la maintenance et l’exploitation du port. Il faut faire en sorte que les navires viennent, qu’il y ait une attraction du trafic, des armateurs pour en faire un véritable port international. Cela demande aussi des moyens. Il faudra une infrastructure en dehors du port et nous allons étendre le port sur deux hectares. Mais cela ne suffira pas, il faudra prévoir derrière, au fur et à mesure que le port se développe, passant d’un trafic de l’ordre de 250 000 à 300 000 tonnes en moyenne annuellement en trafic ciblé, dans les prochaines années à 3 millions de tonnes. Il faudra des infrastructures derrière, sur lesquelles nous sommes déjà en train de travailler en prévision. Ce qui confirme que le travail de l’Anam est un travail purement technique et économique. Et nous sommes obligés, une fois qu’un investissement est réalisé, d’avoir la durabilité. Prenez le cas de Foundiougne-Ndakhonga, ça a été réalisé dans le cadre d’un projet Miep (Projet d’infrastructures et d’équipements maritimes). Mais l’Anam ne l’exploite pas, pourtant il y a une chambre de commerce à Fatick. Mais ce port va être exploité par le Port autonome de Dakar qui connaît déjà la musique pour l’avoir suivi pendant deux ans, avant qu’il ne soit autorisé par les Usa. Le port de Dakar a les moyens d’investir dans la sûreté, dans la sécurité, dans l’exploitation portuaire.
Pourquoi est-ce si difficile ?
Parce qu’il y a des investissements lourds. Un port, ce n’est pas une petite chose. Et là, je voudrais vraiment atténuer et ne pas rentrer dans la polémique, quand nous avons émis un avis technique. Mon rôle, c’est de dire simplement que la chambre de commerce de Ziguinchor ne peut plus gérer le port seule. J’ai bien dit, seule. A la chambre de commerce et à l’Etat de trouver des formules qui permettent la rentabilité des exploitations, c’est ce que nous avons dit. Maintenant, d’autres ont pris ces déclarations, nous traitant d’incapables, des pentes glissantes sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Parce que là, nous serons interpellés un jour, si au terme des travaux, une bonne formule d’exploitation, qui a déjà été annoncée dans le rapport préliminaire fait par le
projet Orio, le projet qui finance ces travaux, n’est pas appliqué. Si je ne le dis pas aujourd’hui, qui va le dire. C’est dans tous les documents qui sont disponibles depuis le début du projet. Ce n’est pas une invention récente de l’Anam.
Au-delà de ce projet Orio, l’Anam est aussi connue pour le Miep. Qu’avez-vous fait avec ce projet ?
D’abord, pour le projet Orio de Ziguinchor, nous avons l’extension du port de Ziguinchor. Nous avons la construction du port de pêche de Boudody. Nous avons également la réalisation d’un terminal d’hydrocarbure de 16 000 tonnes pour rendre l’énergie disponible pour les entreprises, les opérateurs et les populations de la région naturelle de Casamance. Ce n’est pas rien ça. Parce que, sans énergie, vous ne pouvez pas développer des activités industrielles et ça, il en manque. On investit quand la source d’énergie est disponible, permanente et durable. Ça c’est le projet Orio, ce n’est pas seulement le dragage. Le limiter à ce niveau serait très réducteur. C’est un projet d’ensemble, un projet structurant qui va permettre de développer et d’attirer l’attention d’une bonne partie du développement économique et social de la région de Casamance. Et ça, la chambre de commerce en tire partie. Les opérateurs, investisseurs, en tirent profit, les populations en tirent profit. Parce que, dès qu’il y a investissement, il y a emploi.
Et le Miep…
Maintenant, pour le projet Miep, le Miep1 est terminé. Il a servi à réaliser les deux navires Aguène et Diambogne. Il a également servi à réaliser la gare maritime de Foundiougne, qui est une des plus belles gares au sud du Sahara. Le projet a également servi à réaliser un complexe frigorifique de plus de 2 000 tonnes à Ziguinchor. Et ça, c’est un ensemble pensé, organisé et bien étudié pour développer deux régions en même temps. Vous voyez que Ziguinchor revient à travers le complexe frigorifique du Miep1. Finalement, l’approche est purement technique et économique. C’est une preuve supplémentaire.
On parle récemment de la signature de la 2e phase du Miep ?
La convention de financement vient d’être signée le mois dernier et le Miep 2 va bientôt démarrer. Nous avons déjà commencé les études et il va comprendre une drague et ses accessoires, une drague justement pour la maintenance voir navigable du Sénégal. Deux remorqueurs, un remorqueur de route et un remorqueur de positionnement, ainsi que deux barges sont attendues. Le Miep 2 va également comprendre un terminal hydrocarbure, avec ses pipe-lines, ainsi que des cuivres à hydrocarbure qui ont une capacité totale de 12 000 tonnes. C’est un plan volontariste qui vise à doter les régions de capacité de stockage, parce que sans énergie, point d’industrialisation.
Parlez-nous un peu de vos perspectives ?
Actuellement, nous regrettons ce débat qui tourne autour de la chambre de commerce de Ziguinchor. Malheureusement, il y a des propos qui ont été formulés et qui ne correspondent pas à ce que l’Anam a dit. L’Anam ce qu’elle a dit, elle l’assume. Nous assumons entièrement nos propos sur la gestion du Port de Ziguinchor. Parce que nous sommes responsables des ports secondaires, nous Anam. Donc, nous avons notre mot à dire. Et ce mot, nous le dirons à n’importe quelle circonstance. Car c’est notre rôle de le dire.
Maintenant, les perspectives que nous avons, vous voyez que les infrastructures portuaires sont en train d’essaimer au niveau national. La plupart des infrastructures portuaires sont confinées au niveau de Dakar. Maintenant, il y a le bras de mer Saloum qui va avoir son chapelet d’infrastructures. Ça a commercé par Foundiougne-Ndakhonga, vous voyez que le fleuve Casamance fait l’objet actuellement d’une attention particulière de la part des autorités. Vous avez non seulement le port de Ziguinchor, mais aussi Carabane qui est un élément important du dispositif où une gare maritime, des infrastructures portuaires pour navires et pour pirogues ont été réalisées et inaugurées depuis. Carabane également va être un point de collecte, un pôle économique pour le trafic inter-îles. Les bases qui serviront à impulser ce que le président de la République a décidé lors de l’inauguration des navires Aguènes et Diambogne sont jetées. La Casamance est une zone d’intérêt touristique prioritaire et Ziguinchor va être le deuxième port international, après le port de Dakar.
Les perspectives sont actuellement très intéressantes. Beaucoup d’investisseurs sont intéressés par le Sénégal et la région Sud. Dakar ne pouvant plus contenir tous ces investisseurs, les investisseurs vont avoir un éventail de choix. Et lorsque je parle d’investisseurs, n’oublions pas les nationaux. C’est comme ça qu’on apprécie le développement économique et social.