JAUNE VS BLANC
Présidentielle en Guinée
En attendant dimanche, jour du scrutin, les affrontements ont été de couleur hier dans les rues de Conakry. Jaune pour les pro-Condé et blanc pour ceux de Cellou Dalein Diallo. Les partisans de ce dernier se sont mobilisés hier dans la capitale pour accueillir leur leader dans une ambiance de liesse. Le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) du président sortant y organise son meeting aujourd'hui.
"S'il y a quelque chose qu'on ne peut dénier à Cellou c'est sa capacité à mobiliser. Mais lui comme Sidya Touré ne contrôlent pas leurs partisans et sympathisants", disserte Bafodé, le taximan qui nous ramène du centre-ville vers Dixinn, le fief du leader de l'opposition guinéenne. Ruminant son amertume contre les casses des éléments de Sidya Touré, président de l'Union des forces républicaines (UFR) survenues le mercredi, le chauffeur se félicite de la présence du dispositif sécuritaire mis en place hier pour empêcher l'accès au centre des militants de Cellou.
L'engouement pour l'élection présidentielle est réel en Guinée, accompagné de quelques débordements. Des éléments de la gendarmerie sont postés au rond-point du Palais du peuple, fortement équipés. Ils dévient la circulation et interdisent systématiquement aux motocyclistes, venus assister au meeting de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), d'emprunter la route menant au cœur de la capitale.
Hier des milliers de gens favorables à la tête de file de l'opposition se sont réunis dans une manifestation qui avait des allures de démonstration de force électorale. La campagne pour la présidentielle touche à sa fin, et pour son entrée à Conakry, les partisans du principal challenger à Condé ont fait les choses en grand.
Des milliers de supporteurs ont pris d'assaut le vaste terrain jouxtant l'Assemblée nationale. Les bustes dépassant des portières, ils sifflaient et criaient à tue-tête, agitant des drapelets à l'effigie du leader de l'UFDG, Cellou Dalein Diallo. De longues files de motocyclettes, surchargées, déboulaient sur la grande route avant d'être rejointes par d'autres pour grossir ce rassemblement de l'opposition.
Les rambardes de la passerelle qui surplombe l'avenue Fidel Castro sont noires de monde. Ou plutôt blanc, à l'image des tee-shirts et casquettes des militants venus en masse. Vuvuzela, sifflets, Klaxons de mobylettes et de voitures, décibels assourdissants de musique en boucle magnifiant Dalein et provoquant une salve de jubilation à chaque redémarrage, comme quoi la mobilisation a été au rendez-vous.
Les consignes strictes des gendarmes sur-armés n'ont pas entamé l'enthousiasme de ces partisans qui rivalisent d'ardeur pour témoigner leur affection à Dalein. A l'image de ce jeune homme en caleçon peinturluré aux couleurs de l'UFDG qui a été l'objectif de tous les appareils photos. " Vous n'avez encore rien vu car avec son arrivée il n'y aura plus de place pour une fourmi. Il y a cinq ans on perdait l'élection présidentielle pour un rien. Mais cette fois-ci on a déjà blindé notre victoire", s'emballe Rouguiétou Bah qui se félicite de cette liesse populaire pour son candidat.
En 2010, Cellou Dalein perdait le scrutin au deuxième tour malgré un 47,48% des votes au premier tour contre Alpha Condé. Le scrutin de dimanche prochain met aux prises les mêmes protagonistes mais les rapports de force ont changé. Le nombre de candidats est passé du triple au simple, de 24 à 8. La faute principalement à la hausse de la caution passée du simple 400 millions, au double, 800 millions de francs guinéens (64 millions FCFA).
Les deux faiseurs de président en cas de ballotage sont Sidya Touré et Lansana Kouyaté, président du Parti de l'espoir pour le développement national. Faya Lansana Millimono du Bloc libéral (BL), Georges Gandhi Tounkara de l'Union guinéenne pour la démocratie et le développement (UGDD), Papa Koly Kourouma de Générations pour la réconciliation, l'union et la prospérité (GRUP) et Marie Madeleine Dioubaté, seule femme, du Parti des écologistes de Guinée (PEG), complètent le tableau.
Quoiqu'il en soit, les militants de l'UFDG, forts de leur alliance avec l'ex-chef de la junte Moussa Dadis Camara, estiment que cette fois, c'est la bonne. "Dimanche, les premières tendances nous éliront", lance un jeune homme.
Kaléta, l'argument-force de Condé
A Condé la mobilisation ; à Alpha la visibilité, en attendant son meeting d'aujourd'hui. Ceux qui s'étonnent d'avoir vu des affiches du président guinéen à Dakar seraient certainement ébahis de constater son omniprésence à Conakry. Sur les balcons des maisons, les panneaux publicitaires, les monuments de la capitale, ne pas tomber sur le sourire du candidat sortant tient du miraculeux.
Ses affiches grandeur nature, des banderoles, des placards sur les murs inondent la capitale. Seules quelques apparitions sporadiques d'images de Sidya Touré et de Cellou Dalein contestent timidement cette suprématie visuelle. " Après lui, c'est lui"; "Un coup Ko"; "Le progrès en marche", sa devise de campagne ; et "Kaléta" lit-on parmi les plus visibles des slogans du candidat à sa propre succession.
D'ailleurs avec Kaléta, un barrage hydroélectrique d'une capacité de production de 240 mégawatt dans la préfecture de Dubréka, "le professeur" tient un argument de taille, presqu'inattaquable.
"Depuis que je suis né, et j'ai la trentaine, c'est la première fois que je me souviens avoir eu de l'électricité trois mois d'affilée sans délestage. Je ne suis pas le plus grand fan de Condé, mais il faut lui reconnaître ce mérite", déclare le vigile Bouba Camara.
Satisfait de pouvoir accomplir les gestes du quotidien, comme charger son téléphone portable sans hantise d'une coupure, il estime que cet argument seulement pourrait faire vaciller toutes les certitudes de l'opposition puisque son challenger a eu à occuper une fonction ministérielle sans résultat probant.
L'inauguration de ce barrage, survenue deux semaines avant le scrutin le 28 septembre relève sans doute d'un calcul politique bien orchestré, mais il estime que ce n'est que justice pour ce président volontaire mais malchanceux. "Ébola a surgi au pire des moments, ralentissant les efforts du président.
Mais se présenter devant les Guinéens, sans rien en contrepartie, aurait été risqué pour 'le professeur'. Kaléta n'efface pas tout mais quelle providence pour nous, et pour le candidat", poursuit-il dans un grand sourire.
Beaucoup d'autres personnes interrogées reconnaissent à Alpha Condé d'avoir (momentanément ?) soigné le mal chronique de ce pays qui ne manque pas de potentialités hydroélectriques. Pour son contre-meeting d'aujourd'hui "Kaléta" devrait beaucoup "éclairer" les militants.