L'APRÈS-JAMMEH
Barrow doit éviter de devenir un président-pantin à la dimension de l’enclave qu’il dirige, manipulable et corvéable à merci par ses autres pairs de la CEDEAO
« La raison du plus fort est toujours la meilleure », écrivait Jean de la Fontaine dans le prologue de sa fable Le loup et l'agneau. Si nous avons évoqué cette maxime, c’est pour mieux parler du différend qui oppose le désormais président déchu gambien Yaya Jammeh avec la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Et cette fois avec une tonalité qui détonne avec celle que j’ai eue lorsque l’homme fort de Banjul a reconnu avoir perdu les élections qui l’opposaient à Adama Barrow. Mais quand, quelques jours après, influencé par on ne sait quel tropisme obscur, Jammeh s’est rétracté en prenant fallacieusement prétexte sur d’autres chiffres livrés par la Commission électorale, chiffres qui le déclarent toujours battu, nous avons reconsidéré notre position sur le geste de démocrate qui avait incité le président gambien à accepter sa défaite.
Toutefois cela n’enlève en rien notre appréciation des réalisations qu’il a faites, et n’affecte en rien notre admiration quant à son opiniâtreté courageuse à s’opposer au néocolonialisme. En sus, nous ne cesserons jamais de dénoncer, même si c’est salutaire en Gambie, les interventions militaires à géométrie variable sur le continent africain. Ce que l’Union africaine et l’ONU ne peuvent pas permettre à Jammeh, on le permet à Faure Gnassingbé, à Ali Bongo, à Paul Biya, à Joseph Kabila, à Pierre Nkurunziza, à José Eduardo dos Santos, à Paul Kagamé et à Issayas Affewerki.
Mais comme tous les satrapes de sa trempe, Jammeh n’a jamais voulu quitter les délices d’un pouvoir personnalisé, quitte à y laisser sa vie comme il l’avait savoir aux autres présidents de la CEDEAO. Mais la force a fini par contraindre Yaya Jammeh à abdiquer et à céder le pouvoir. N’eût-été l’intercession des présidents guinéen et mauritaniens, celui qui se prenait comme le Babili Mansa, c’est-à-dire le Roi qui défie les rivières serait actuellement entre les mains des forces militaires de l’entité communautaire ou serait passé de vie à trépas comme le furent les Kadhafi, Ceausescu, Samuel Doe et autres sinistres potentats.
Devant les loups de la CEDEAO, l’agneau de Kanilaï n’avait d’autre choix que de tirer sa révérence avec l’aide des présidents Condé et Abdel Aziz. C’est la loi du plus fort sus-évoquée qui a fait abdiquer l’homme de Kanilaï. Fin humiliante pour celui qui avait fini par maintenir dans la terreur permanente toute une population pendant plus de deux décennies.
Fin honteuse pour celui qui avait fait de son pays, une propriété où la seule voix qui devait résonner était la sienne. Fin avilissante pour celui qui pensait être investi tous les pouvoirs divins. Fin déshonorante pour celui qui avait privé aux Gambiens pendant 22 ans, la liberté de s’exprimer, expulsé les associations des droits humains, traqué et persécuté les homosexuels et transformé son pays en prison à ciel ouvert.
Ayant troqué son treillis de militaire contre le grand boubou blanc, le béret contre la chéchia beige et l’écharpe verte, le fusil et le colt contre un sceptre et un coran, le tombeur de Dawda Jawara qui s’est rebaptisé Cheikh Professeur El Hadj Docteur Yahya Abdulaziz Jemus Junkung Jammeh a poussé sa mégalomanie jusqu’à déclarer être investi de pouvoirs mystiques lui permettant de soigner le sida, l’asthme, l’épilepsie, l’infertilité et l’hypertension artérielle.
Mais ce qui fait la force des dictateurs, c’est qu’ils trouveront toujours des sujets pour valider leurs lubies délirantes. Et c’est son autocratie qui l’a poussé à transformer une république laïque en monarchie islamique nonobstant les protestations de Gambiens vivant en exil.
Ses atermoiements, ses louvoiements et son attitude cauteleuse n’auront pas suffi pour prolonger son séjour au pouvoir comme le lui avait accordé, deux jours avant son abdication, son Assemblée nationale. Mobutu Sese Seko avait l’habitude de dire qu’« il faut savoir quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte ».
Malheureusement lui, le tombeur de Patrice Lumumba, et ses collègues sombres dictateurs aveuglés et assourdis par les ors et voluptés du pouvoir autocratique ne quittent le fauteuil de ce pouvoir que lorsque le séisme populaire ou démocratique secoue le socle sur lequel est bâtie leur puissance fragile. Aujourd'hui, comme Ben Ali, Jean Bedel Bokassa, Idi Amin Dada, Mengistu Haile Mariam, Oul Taya, Jammeh est contraint à l'exil même s'il a déclaré, sous forme de baroud d'honneur, qu'il a quitté, en toute conscience, la Gambie par amour à son pays.
Aujourd’hui le crépuscule du pouvoir de Jammeh disparait dans les ténèbres des dictatures déchues pour laisser place aux premières lueurs de la démocratie de Barrow, il reste au nouveau président Adama Barrow de bien gérer l’après-Jammeh. Pour cela, il lui faut redonner espoir au peuple gambien qui n’en avait presque plus depuis que la dictature a été codifiée comme méthode de gouvernance par celui qui a chassé Dawda Jawara le 22 juillet 1994 du pouvoir.
Il lui incombe de rabibocher le tissu social gambien déstructuré par les considérations ethniques de Jammeh, de restaurer la démocratie, rétablir la souveraineté du peuple, expurger l'armée gambienne de tous les mercenaires étrangers, fouetter l’ardeur de ses compatriotes au travail mais sans tomber dans l’anarchie si l’on sait que la pathologie de la plupart des Gambiens, c’est la paresse et leurs inclinaisons fêtardes à la bombance, la jouissance et aux festivités bachiques.
Mais Barrow doit aussi éviter de devenir un président-pantin à la dimension de l’enclave qu’il dirige, manipulable et corvéable à merci par ses autres pairs de la CEDEAO. Toutefois, une partie de l’héritage de Jammeh est à conserver voire fructifier : refuser d’adhérer dans ces organisations comme le Commonwealth, la Cour pénale internationale (CPI) et autres organismes ou unions monétaires qui ne sont que le symbole de la pérennisation de la domination coloniale. C’est là que réside la nouvelle Gambie prospère et stable dont rêvent ses populations éprouvées et exténuées par 22 ans de dictature austère.