LE TALON D'ACHILLE DE ZINSOU
Le professeur Faustin Aïssi liste les facteurs qui ont provoqué la défaite de l'ex-Premier ministre du Bénin à la Présidentielle
Professeur émérite à l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO), Communauté d’universités et d’établissements de Lille Nord de France (COMUE-LNF), Faustin Aïssi égrène, dans la première partie de l’entretien avec SenePlus, les facteurs qui ont plombé la candidature de Lionel Zinsou, battu par Patrice Talon lors de la présidentielle béninoise.
SenePlus : Patrice Talon a été investi président de la République du Bénin ce 6 avril 2016. Comment jugez-vous la démocratie béninoise dans cette Afrique où les tripatouillages constitutionnels suivis de fraudes électorales font florès ?
Faustin Aïssi : J’ai pu suivre l’évolution de la démocratie béninoise depuis la conférence nationale des forces vives de février 1990 qui a conduit le président Mitterrand à faire son discours de la Baule de juin 1990 invitant les chefs d’Etat de son obédience francophone à s’ouvrir à la démocratie. On a vu comment les présidents successifs de la République Française de droite comme de gauche n’ont pas dissuadé pour ne pas dire ont favorisé leurs homologues africains qui défendent les intérêts français à tripatouiller leur loi fondamentale pour se maintenir au pouvoir jusqu’à leur mort où le système avec l’aval de la tutelle française s’arrange pour une succession filiale (Togo et Gabon par exemple).
Ou alors quand il y a une esquisse de velléité d’une relative autonomie comme en Côte d’Ivoire sous le président Gbagbo, on installe comme le dit le président Sarkozy lui-même, Ouattara plus « docile » au prix d’une guerre civile entretenue comme vient de le montrer un rapport d’experts sur la crise ivoirienne en dévoilant « les 300 tonnes d’armes et de munitions ayant servi à couper le pays en deux avec sous leur contrôle, le Nord, une partie du Centre. L’arsenal, selon la même source, a transité par le Burkina Faso avec la bénédiction de Blaise Compaoré, l’ancien président Burkinabé actuellement en exil à Abidjan. Est également cité dans le rapport, le général putschiste Gilbert Diendéré. Pendant la crise, les armes achetées ont été stockées à Bouaké et Korhogo, bastion des rebelles de Guillaume Soro ».
Le récent cas du Congo révèle comment le système s’adapte pour ne pas contrarier les intérêts des grands groupes français où le président François Hollande interrogé sur le référendum du président Sassou Nguesso, réponds « Je ne peux interdire à un chef d’Etat d’interroger son peuple … Et si le peuple y consent, de mettre en œuvre l’objet du référendum ». En d’autres termes, un feu vert est donné au tripatouillage constitutionnel du Congo Brazzaville ayant conduit à la farce d’élection de Sassou Nguesso. On peut encore citer le cas du Niger où cela n’a pas gêné la communauté internationale que le candidat de l’opposition fasse sa campagne d’une prison d’autant que les « bonnes âmes françaises ont offert à ce candidat malade de surcroît d’être soigné dans le même temps à l’hôpital privé de Neuilly ».
Heureusement que de temps en temps, il y a quelques pays comme le Burkina Faso ou le Bénin qui constituent les rares exceptions confirmant cette règle des pays francophones d’Afrique Subsaharienne non écrite et instituée depuis les indépendances nominales des années 60 mais toujours mise en œuvre avec plus ou moins de succès pour imposer le meilleur président garant des intérêts français.
Le peuple Burkinabé a obtenu dans les conditions que nous connaissons l’élection du président Roch Christian Kaboré, représentant de l’opposition malgré toutes les chausse-trappes de la diplomatie française au Burkina Faso et dans la sous-région notamment au Togo et en Côte d’Ivoire. Dans le cas du Bénin, il est intéressant et nécessaire de remonter à la fameuse conférence nationale qui a instauré une période transitoire d’un an au bout duquel des élections normales sont intervenues ayant consacré en 1991 le président Nicéphore Dieudonné Soglo face à Kérékou crypto-révolutionnaire des années 70 et 80, sur la base d’une loi fondamentale encore en vigueur jusqu’aujourd’hui malgré les velléités de tripatouillage des uns et des autres. Comment ?
Le président Soglo avait été battu à la fin de son premier mandat en 1996 par une alliance Kérékou-Houngbedji déjà voulue par la France dont Adrien Houngbedji a bénéficié d’un poste de Premier ministre qui n’existe pas dans notre constitution. Il a été prouvé par la suite que ces élections avaient été loin d’être transparentes avec des bourrages d’urnes notamment dans les bureaux de votes du Nord du Bénin. Pour autant, il n’y avait pas eu des soulèvements populaires même si beaucoup d’observateurs y ont vu « la main de la France revenant à une architecture déjà envisagée lors de la conférence nationale de 1990 à partir du fameux télex envoyé par le quai d’Orsay à son ambassadeur Guy Azaïs à Cotonou préconisant un gouvernement Kérékou Mathieu - Houngbedji Adrien - Dossou Robert », le régime de Soglo ayant donné le flanc à quelques critiques « à caractère féodal » plus ou moins justifiées.
Les deux mandats de Kérékou II ont au moins eu l’avantage de commencer à voir apparaître une esquisse de carte administrative où « le Bénin a organisé entre décembre 2002 et janvier 2003 ses premières élections locales, le pouvoir étant jusque-là placé entre les mains des préfets ou des chefs de circonscription urbaine pour les grandes villes (nommés par l’exécutif). Les 77 nouvelles communes ainsi créées, concrétisation du processus de décentralisation, sont dirigées par des maires, choisis parmi les conseillers municipaux, élus au suffrage universel direct et au scrutin de liste majoritaire ». 12 départements intègrent ces 77 communes même si nous avons toujours seulement 6 préfets depuis 2005 mais le processus de la décentralisation était amorcé et l’on verra son importance capitale dans les élections communales de mars 2015 puis présidentielles de mars 2016.
En effet, il est de notoriété publique que les partis de l’opposition de nos pays ont surtout des représentants dans les bureaux de vote des capitales africaines et quelques villes moyennes tandis que les bureaux de vote de l’intérieur dans nos petites communes sont entièrement contrôlés par le pouvoir et son administration. Les deux scrutins présidentiels de 2006 et de 2011 Thomas Yayi Boni ont été révélateurs de ce point de vue. Cela ne s’était pas beaucoup vu en 2006 où les deux challengers du 2e tour Yayi Boni et Adrien Houngbédji partaient respectivement avec environs 34 % et 25% des voix lors du 1er tour. Alors qu’on s’attendait à ce que les partis politiques se désistent en faveur du PRD (parti du renouveau démocratique) de Houngbédji, ils l’ont plutôt fait en faveur de Yayi Boni qui s’était déclaré anti-parti et surtout soutenu par Kérékou et la France. Cela n’avait pas empêché les bourrages des urnes notamment dans le Nord-Bénin avec des taux de participation entre 85 et 100 %.
Le KO de Yayi Boni du 1er tour de 2011 face à Hounbgédji a failli entrainer le Bénin dans la guerre civile si le perdant n’avait pas invité ses partisans à ne pas se révolter car certaines clés de sécurité des logiciels de comptage ont été déverrouillées laissant apparaître des taux de participation de 104 % jusqu’à 128 % des inscrits, Par ailleurs, des camions entiers de Burkinabés, de Nigériens et autres Nigérians dans le septentrion ont amené ces derniers à voter sans compter les centaines d’urnes dans le sud du Bénin qui ont transité par la présidence avant d’atterrir à la CENA (commission nationale électorale autonome). De ce point de vue, le Bénin n’avait rien à envier aux autres pays francophones d’Afrique.
La mise en place de notre carte administrative définitive et les élections communales du mois de mars 2015 ont amené à une répartition partisane équilibrée des communes. Par ailleurs le code électoral de 2013 et l’Assemblée Nationale qui est passée à l’opposition dans la foulée fin mai - début juin 2015 ont fait le reste.
L’opposition avait ainsi des représentants partout dans les bureaux de vote jusqu’aux plus éloignés centres de vote des communes en même temps que le code électoral oblige le président des bureaux de vote a donné un exemplaire du procès-verbal du dépouillement à chaque représentant de candidat. Conséquence immédiate : un taux de participation réelle de l’ordre de 65 % au lieu des 90 voire 98 % qu’on nous affichait en moyenne lors des précédentes élections puis impossibilité dorénavant de tripatouiller les résultats de façon manifeste car les états-majors des candidats ont les procès-verbaux au fur et à mesure des dépouillements ce qui a amené pour la première fois au second tour du 20 mars à connaître la tendance dans tous les QG (quartiers généraux) des candidats à 17h30 soit à peine 1h30 après la clôture du scrutin sur l’étendue du territoire nationale. Il est clair que c’est la voie à suivre pour les autres pays francophones d’Afrique.
Le président Yayi Boni n’a-t-il pas échoué dans sa tentative d’imposer un candidat (Lionel Zinsou) qui n’a finalement pas obtenu l’onction populaire qu’il escomptait ?
Non seulement le président Yayi Boni a échoué dans sa tentative d’imposer son candidat Lionel Zinsou mais ce dernier s’est rendu compte certes tardivement de la chausse-trappe dans laquelle il a été mis et surtout du terrain glissant sur lequel le président sortant a voulu l’entrainer « en lui demandant expressément par téléphone en ce début de soirée de ce 20 mars de contester les résultats ». C’est cela sans doute qui a conduit Lionel Zinsou à téléphoner à son challenger gagnant Patrice Talon pour le féliciter dans la nuit de dimanche à lundi. Le peuple béninois lui en a été reconnaissant par l’acclamation dont il a bénéficié pour ce « fair-play » au moment où il rentrait le 6 avril au stade Charles de Gaulle de Porto-Novo lors de l’investiture du nouveau président Guillaume Athanase Patrice Talon.
Au demeurant, Yayi Boni ne pouvait pas obtenir l’onction populaire précisément parce que tout observateur neutre constatait sur le terrain que la candidature de Lionel Zinsou souffrait d’un quadruple handicap :
- Les Béninois n’avaient pas du tout apprécié que cette candidature fût téléguidée de l’Elysée et par voie de conséquence l’ont considérée comme un potentiel futur président servant les intérêts de la « Françafrique » si elle devrait être validée par le peuple.
- De plus, elle était portée par le président sortant dont le peuple n’attendait que la fin du mandat pour tourner cette page qui a plutôt fait régresser le Bénin à travers de multiples scandales (ICC Service, CENSAD, Concours « bidon » d’entrée dans la fonction publique, les milliards disparus de subvention de la Hollande pour l’eau dans les communes béninoises etc.) et autres corruptions de toute nature jusqu’au sommet de l’Etat mettant sérieusement à mal le budget national (environ 1000 Mds de FCFA) avec plus de 200 Mds de FCFA de dette intérieure.
- L’apparition récente du candidat sur la scène politique nationale après plus de cinquante-cinq années d’ignorance complète du pays natal pour être directement propulsé Premier ministre, poste non constitutionnel mais ayant servi essentiellement à mettre à sa seule disposition depuis octobre 2015 tous les organes de l’Etat pour sa campagne (presse écrite nationale officielle, télévision d’Etat, les directions des administrations notamment les préfets, moyens de déplacement de l’Etat comme l’hélicoptère qui est tombé accidentellement à l’atterrissage dans le septentrion, etc.)
- Enfin, violant plusieurs articles des statuts de la formation politique du chef de l’Etat sortant FCBE (force cauris pour un Bénin émergent) qui stipule notamment que tout candidat devrait être adhérent à jour de ses cotisations et passer par le filtre d’une élection en bonne et due forme des membres adhérents, Lionel Zinsou a tout simplement été imposé par le président Yayi Boni malgré le rappel statutaire de plusieurs membres fondateurs et influant de la FCBE. Cela a conduit à la rébellion de plusieurs parlementaires FCBE et au basculement du truculent ancien maire Gbadamassi de Parakou du septentrion dans l’escarcelle du deuxième candidat opérateur économique Ajavon.
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