WELCOME TO THE NEW GAMBIA
REPORTAGE – Banjul respire la liberté
(Envoyé spécial à Banjul) – Quiconque avait connu la Gambie les vingt dernières années et qui arriverait à Banjul, ces jours-ci, sera dépaysé. Le pays change de maître et ce changement est visible sur les visages et dans les moindres recoins de la capitale gambienne.
La Gambie retrouve le sourire. Désormais, ce pays répond véritablement à son label forgé par les tours operators, qui vendaient la destination Gambie en la présentant comme la "smiling coast". L'image renvoie à la position de ce pays sur la carte qui semble dessiner la représentation d'une bouche gaie ou souriante dans une tête que serait le Sénégal.
"Ndok sa bakan !" Cette expression sied à l'égard des populations gambiennes. C'est une formule de congratulations, en langue wolof, adressée à une personne, qui vient d'être délivrée d'un péril qui pourrait lui coûter la vie. A Banjul, les populations semblent soulagées par le départ de Yahya Jammeh qui a dirigé le pays, d'une main de fer, pendant 22 ans. On sent la nouvelle ambiance dès l'arrivée à l'aéroport Yundum de Banjul. Les citoyens gambiens, qui rentrent au pays, se jettent dans les bras de leurs proches et amis, venus les accueillir avec la même question à la bouche : "Dis-moi si tout ça est vrai."
Les choses ont semblé si changées que les formalités à l'aéroport sont devenues plus rapides. Les policiers des services de l'immigration se montrent moins pointilleux que par le passé. Abdoulie Marone, employé dans un grand réceptif hôtelier, niché sur les flancs de l'Océan atlantique, est trépidant de joie. "Ouf, il va partir." La simple annonce du départ de Yahya Jammeh semble suffire au bonheur du Peuple gambien.
Adama Barrow, le Président élu, a déjà réussi sa mission avant même de l'entamer : "Il ne peut pas faire pire que le régime sortant. De toute façon, le seul fait de faire partir Yahya Jammeh nous satisfait, la Gambie va retrouver son rythme de vie normal."
Et oui, ajoute avec insistance, notre interlocuteur : "Cela va permettre de refaire nos relations avec le Sénégal. Nous ne pouvons pas aller sans le Sénégal et Yahya Jammeh a passé tout son temps à détruire nos relations avec le Sénégal. Nous ne pouvons réaliser le développement de notre pays dans un contexte de conflits ou de tension avec le Sénégal. Nous avons beaucoup souffert de ces situations de crises diplomatiques répétitives entre les deux pays. Figurez-vous que je dois partir la semaine prochaine au Sénégal pour prendre part au Gamou de Tivaouane. Vous voyez de tels liens ? Comment peut-on songer à séparer des peuples aussi unis ?"
Banjul est calme, tranquille même. Il y a un brin de sentiment de bonheur, de confiance dans l'air. Cette ambiance, un pays comme le Sénégal l'avait vécue en 2000 et même en 2012, tient à rappeler, une femme d'affaires, Fatou Cessay, qui partage sa vie entre Dakar, Banjul et Londres. Sur la Grts, la chaîne de télévision publique, continuent de défiler des images de propagande des œuvres caritatives de la désormais ex-Première dame Zeynab Jammeh. L'avalanche des images fait sourire. C'est comme si les Gambiens se disent, "profitez-en encore qu'il est temps".
Le régime déchu de Yahya Jammeh fait l'objet de sarcasmes, de moqueries. Les Gambiens se permettent de se demander qui est le personnage qui figure sur les grosses coupures de "Dalasi", la monnaie locale. Peut-être plus pour longtemps. Amina Jallow s'amuse : "Il faudrait mettre mon image désormais sur les billets de banque. Ça ferait plus joli non ?" Elle lance la pique dans un grand éclat de rires avec ses collègues. La discussion s'engage.
Dominic Mendy se veut un peu dubitatif : "Est-ce que réellement c'est fini ? C'est trop beau pour être vrai." Philosophe, Fatou Jallow rassure : "Si nous en discutons comme ça en public et que nous arrivons à nous demander si Yahya est dans le pays ou pas, c'est que vraiment c'est fini. Tu peux me croire : "Game is over."." Elle cherche à traduire l'expression dans un français laborieux.
Entrer à State house comme à Albat Market
Le chauffeur que notre hôtel avait mis à notre disposition pour nous conduire à travers la ville de Banjul avait beaucoup d'appréhension pour nous mener jusqu'à State House, la résidence officielle des chefs d'Etat gambiens. Abdoul Sonko ne manque pas de relever tous les posters électoraux du candidat Jammeh, qui tapissaient les grandes artères de Banjul, ont été démontés. Mais le plus curieux pour lui sera le léger dispositif de sécurité sur la route principale, qui mène du quartier résidentiel de Bijilo vers le centre de Banjul. "Qu'est ce qui se passe ?", se demande-t-il.
En effet, le spectacle est étonnant que jusqu'au point névralgique et stratégique du Denton Bridge, l'unique passage pour entrer dans la ville administrative de Banjul, seuls quelques trois agents en arme sont positionnés. Aucun véhicule militaire n'est visible sur les lieux. Mieux, les soldats font un signe presque amical aux automobilistes. Mais, notre surprise sera plus grande en arrivant devant le State House. Il nous a fallu simplement présenter une carte de presse pour que le portail s'ouvre devant nous et que nous puissions accéder jusqu'au bâtiment principal.
Les préposés à la sécurité se sont montrés si avenants (pour un journaliste !) que nous ne pouvions pas ne pas nous montrer interloqués. Dans une telle situation, on ne peut pas ne pas risquer de faire dans l'humour. Seulement, il faudrait plus d'audace ou de provocation pour fâcher nos interlocuteurs. Néanmoins, ils nous refuseront deux choses. La première, c'est d'accéder jusqu'aux quartiers réservés au Président Jammeh. Pour ce faire, il faudrait un rendez-vous, indique la sécurité présidentielle. On peut bien le comprendre.
L'autre demande qui nous a été refusée et avec le sourire, était de prendre en photo l'image qui trône à l'entrée du State House, celle d'un Président Jammeh levant la main en forme de bienvenue ou d'un au-revoir, c'est selon. Sous le poster géant sont inscrits en grandes lettres les différents titres honorifiques du maître des lieux "His Excellency, President, Professor, Doctor, Aladjie, Yaya A. J. Jammeh". D'autres agents de la propagande du régime qui vient de s'effondrer, auront ajouté le titre de "Babila Mansah".
Notre escapade à State House a semblé surréaliste aux Gambiens. A notre sortie, une personne en tenue civile, qui a parlé auparavant à un agent de sécurité en uniforme, s'approcha de notre voiture pour demander de repréciser mon identité. Il nous fera un salut militaire avec un sourire qui semblait amusé. Abdoul Sonko n'en revient toujours pas, d'être entré dans l'enceinte du State House comme s'il vaquait à ses courses au Albat Market, qui est situé à quelques mètres de là.
Yahya Jammeh a semblé déposer les armes. De toute façon, la transition qui se met en place se voudrait habile et subtile. Le Président Jammeh reste cloîtré dans le Palais présidentiel et ne fait plus aucune nouvelle sortie publique, depuis qu'il avait reconnu, devant les médias, sa défaite face à Adama Barrow. Il devait d'ailleurs recevoir ce dernier hier, afin de préparer la passation des pouvoirs. En attendant, des proches de Adama Barrow rassurent que la situation est bien sous contrôle. La stratégie semble être de désarmer totalement Yahya Jammeh avant de le faire quitter le Palais présidentiel.
Une source nous a confié que pas moins de quatre camions remplis d'armes avaient été déplacés du village de Kanilai pour les mettre en sécurité. Yahya Jammeh avait transformé son village natal de Kanilai en véritable forteresse. Les officiers supérieurs de l'Armée gambienne et les principaux responsables de la sécurité nationale veilleraient au grain. Tout semble se dérouler comme dans le cadre d'une transmission normale des rênes d'un pouvoir politique.
Useinu Darboe, le Mandela de Banjul
L'opposant historique, l'avocat Useinu Darboe, est sorti de prison lundi dernier. La Cour d'appel lui a accordé une liberté provisoire contre une caution financière. La libération de Darboe a constitué une délivrance pour les nombreux Gambiens. Le vieil homme, qui a toujours croisé le fer avec le régime Jammeh, est le chef de file de l'opposition. Il dirige le United Democratic Party (Udp).
Son leader emprisonné, un de ses lieutenants, Adama Barrow, a décidé de porter le flambeau et s'est vu investi à la tête d'une coalition électorale victorieuse. Une marée humaine a accompagné Useinu Darboe de la prison "Mile 2" à son domicile sur l'Avenue Kaïraba. Yahya Jammeh se payait la tête de ses opposants en les menaçant de leur offrir un séjour tous frais payés dans son "hôtel cinq étoiles de Mile 2".
Jusque hier tard dans la soirée, le domicile de Darboe ne désemplissait pas de militants et de responsables politiques ou de la Société civile gambienne. Un diplomate en poste à Banjul a pu se remémorer l'empathie de la population au moment de la libération de Nelson Mandela. Useinu Darboe ne s'y trompe pas. Il fait référence à Nelson Mandela à chacune de ses sorties publiques.