AU NOM DU PESE, DU FRIC ET DE LA SAINTE TRICHE…
Les Sénégalais ont-ils une aversion pour la norme, le normal, le normé et le normatif ? Pourquoi la triche et la magouille sont-elles le vecteur nécessaire de la réussite ou du moins de l’idée qu’on s’en fait ? Le cru 2017 du baccalauréat est gravement entaché de fraudes ou/et de fuites, qui interrogent notre société tout entière dans son fonctionnement et son rapport au travail et au mérite. Des fuites ont été constatées par l’Office du Bac, ce qui a conduit à l’annulation de certaines épreuves et à les reconduire dans quelques jours.
Le Baccalauréat est socialement plus important qu’il ne l’est devenu académiquement, et il charrie dans l’imaginaire de bien des parents et élèves des fantasmes de réussite sociale insoupçonnés. C’est ce qui explique l’émotion qui a saisi notre société et a drainé toutes sortes d’informations erronées, voire de fake-news comme cette prétendue copie de mathématiques, diffusée sur les réseaux sociaux. Le directeur de l’Office du Bac s’est vu «démissionné» par la rumeur médiatique alors qu’il n’en n’est rien, et pour l’instant il ne souffre d’aucune culpabilité, à tout le moins il doit exercer sa responsabilité dans toute son étendue et peut-être la proposer.
Des enquêtes sont diligentées pour retracer le parcours de ces fuites avérées, et si la gendarmerie travaille avec la même célérité que quand elle a dû stopper les jeunes filles qui s’étaient échangé sur les réseaux sociaux le «photomontage» qui dégradait l’intégrité de notre président de la République, ces enquêtes devraient être bouclées rapidement et révéler les motivations des protagonistes. Mais ça ne réglerait pas pour autant le problème qui est bien plus profond, lié qu’il est à notre propension à toujours avoir recours à des raccourcis administratifs.
Et pour ce qui concerne le Baccalauréat, la pression sociale est telle, que normalement, corrupteurs sans scrupules et corrompus sans déontologie se retrouvent dans les espaces qui sont la lie de notre société. Il y aura eu dans la chaîne quand même sécurisée de l’évaluation du Baccalauréat, des trous et des manquements graves qui ont conduit à mettre entre les mains d’une plus ou moins grande partie des candidats des épreuves qui auraient dû leur être proposées. Notre relation à l’avoir facile, parce que valorisé à tout moment dans notre espace médiatique autant que politique d’ailleurs a pour conséquences de toujours nous mettre dans des situations scandaleuses, qui ont toutes la même motivation et la même origine : le rapport décomplexé à l’argent. Nous avons un Baccalauréat dévalué depuis des décennies, mais nous avons aussi dans ce pays deux millions de faux permis de conduire, des centaines de faux permis de construire, et ça ne gêne personne. Les 2000 morts du Joola ne nous ont pas guéris de notre attachement à la triche, aux magouilles et au fric licite ou illicite, peu importe.
Combien de billets pour La Mecque sont-ils offerts ou achetés avec de l’argent détourné au su et au vu de toute la population ? Au Sénégal, Bac ou pas Bac, nous avons changé d’auxiliaires. Avant il fallait être. Aujourd’hui, il faut avoir… A n’importe quel prix, même celui de tuer des gens quand un marchand de viande vend en toute connaissance de cause de la viande débitée d’un mouton ou d’une vache morte. Ou quand un entrepreneur qui ne l’est que de nom n’a cure de respecter les normes de construction, se réfugiant dans l’idée que quand l’accident qu’il sait probable surviendra, ma foi, il aura depuis longtemps profité de la plus-value tirée de son escroquerie. Nous sommes tous innocents, au nom de la Sainte Triche. Mais grawoul… Fi Sénégal la… Faut bien vivre non ?