ENTRE FOIRE D’EMPOIGNE ET MAT DE COCAGNE
La contestation de la représentativité des Assemblées nationales est, de façon générale dans le répertoire des revendications, un élément qui revient souvent dans la vie politique des Etats. Notre pays fait –il exception ? La 13ème législature qui s’ouvrira après le 30 juillet 2017 par l’élection du ou de la présidente (pourquoi pas ?) de l’Assemblée nationale, sera t-elle représentative des électeurs et plus largement de la société sénégalaise ? La légitimité d’une Assemblée nationale procéde t-elle d’une similarité de composition avec la société prise dans sa totalité ?
Une lecture autre que celle de noms et du rang occupé par les 5203 titulaires investis aux scrutins proportionnel et majoritaire (2820 au scrutin proportionnel et 2383 sur les listes majoritaires), seules 4 listes sur les 47 officielles (Coalition And Saxal Liggey de Aïssatou (Aïda) Mbodj, Coalition La 3ème Voie politique/Eutou Askan Wi, de Amsatou Sow, « Osez l’avenir » de Aïssata Tall, Parti de la Vérité pour le Développement (PVD) de Sokhna Dieng, ont placé des femmes en tête de gondole. Malgré les débats déployés sur toutes les scènes : militante, savante, médiatique, juridique et parlementaire, la parité dans ce cas précis n’a pas atteint le seuil des 50%.
Si les lois sur la parité ont été véritablement marquées par la très forte volonté (masculine) d’une politique publique pour l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, en fixant l’établissement des candidatures pour moitié hommes, moitié femmes, les listes qui nous sont proposées sont dirigées par des hommes, exceptées les 4 citées plus haut, confortant ainsi et encore, la pérennité de la « domination masculine » qui rend visible de façon emblématique les paradoxes et les contradictions de certaines défenderesses de la parité, qui se sont rangées (ou ont été rangées) derrière un homme.
La confection des listes, semble être, à certains égards, comme un exercice de remplissage. Nous avons pu dénombrer, dans la colonne « Professions », sur un total de 5203 titulaires des listes du scrutin proportionnel et du scrutin majoritaire, 936 commerçants (dont 662 sont des femmes), 572 ménagères, 527 enseignant/es, 326 sans emploi ou profession, 193 étudiant/es (considérés comme des professionnels). La coalition Convergence Patriotique et Libérale dame le pion à toutes les autres en présentant, au scrutin proportionnel, 55% de candidats dont la profession n’est pas renseignée, suivie de la Convergence patriotique pour la justice et l’équité (54% au scrutin proportionnel et 44% sur la liste majoritaire) suivie de Joyyanti (35% et 43%).
Convenons ensemble que les notions de métier et/ou de profession occupent une place importante dans l’organisation de n’importe quelle société. Ces notions sous-entendent une répartition de tâches au sein desquelles des citoyens assurent, chacun dans son domaine, une spécialisation pour les besoins de la communauté dans laquelle ils vivent et jouissent eux-mêmes des activités professionnelles de leurs concitoyens.
Si quelques uns ont raillé de la fonction de « député(e) », c’est qu’ils n’avaient pas lu « adjoint au maire », « maire », « émigré » (investi parmi les titulaires du scrutin proportionnel) et 1 élève né en 1980. La profession la plus inattendue est celle de « voyante », investie sur la liste dont l’emblème est une ampoule électrique. Gageons qu’avec ce don, ajouté à la lumière produite par l’ampoule, elle connait par avance la composition de l’Assemblée Nationale.
Quid de l’âge moyen des investis ? Il est de 46,2 ans sur les listes du scrutin proportionnel et de 45,1 ans celles du scrutin majoritaire. Sur le site de l’Agence National de la Statistique et de la Démographie, le dernier recensement général de la Population de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’élevage il indiqué que sur une population de 13 508 715 habitants, l’âge moyen est de 22,7 ans, 54,8% réside en milieu rural et 45,2% en milieu urbain. Si nous n’en concluons pas l’existence d’un futur « conflit de générations », la différence d’âge peut être perçue comme un décalage d’avec la jeunesse de la population du Sénégal. Même si, comme nous l’a enseigné un spécialiste de géographie humaine, l’âge moyen d’une assemblée s’accroît mécaniquement d’une année à l’autre, alors que celui moyen de la population prise dans son ensemble évolue selon au moins deux critères : naissances, décès et âge moyen des décès, migrations et solde moyen migratoire. Toujours est-il que la liste « Assemblée bi nu begg » présente la liste la plus âgée avec une moyenne de 52,9 ans au scrutin proportionnel et celle de Sénégal Ca Kanam au scrutin majoritaire avec un médian de 55 ans.
Sous les cieux d’une véritable démocratie, ces chiffres pourraient ne pas surprendre si l’on considère que quelque soit le profil de la carrière d’un individu, l’obtention d’un mandat électif national est tardive : consécutive à une implantation locale lente dans le cas de parcours « traditionnels », décidée après un exercice réussi de responsabilités privées ou publiques. C’est loin d’être le cas chez nous parce que notre démocratie se résume, en gros et en détail à la répétition cyclique d’élections de candidats, parmi lesquels quelques récidivistes de parachutages ratés le plus souvent adoubés par des partis, d’autres inspirés par la roublardise, intermittents événementiels de la politique, et de plus en plus de candidats propulsés par les médias privés ou publics, sans oublier ceux et celles qui, en changeant de cheval, croient forcer l’Histoire à changer de ton. Il ne reste plus alors que la gestuelle du vote pour des farauds qui se croient électeurs et souverains.
Un autre paradoxe relevé est dans le fait que sur 54,8% de Sénégalais résidant en milieu rural, et 5203 titulaires, seuls 80 cultivateurs, 33 éleveurs sont inscrits à la députation. Bien que l’on assiste à un profond bouleversement du monde rural avec depuis quelques années maintenant l’arrivée d’exploitants privés à qui sont attribués d’énormes surfaces, il n’en subsiste pas moins plusieurs millions de Sénégalais vivant d’activités agricoles crier leur désarroi face cette colonisation. Un rapport (Land Matrix Africa) publié en 2016 indique qu’en 2015, 270 mille 908 hectares de terres ont été cédés à 12 investisseurs étrangers. Où mieux qu’à l’Assemblée nationale pour poser ce débat par des représentants du mode rural eux-mêmes ?
Le lancement officiel de la campagne électorale du 30 juillet a vu fleurir les affiches des différentes coalitions. Photoshop a été grandement utilisé pour ravaler quelques façades, supprimant les rides et amincissant les visages, au risque de l’illusion et au point où quelques retouché(e)s semblent être passé(e)s de bio à OGM. Des couleurs vives, des sourires figés et pas beaucoup de sobriété, sauf sur celles montrant des candidats seuls, tête de liste nationale de leur coalition, prenant la posture d’un candidat à la présidentielle qui perle (déjà ?) sous un futur député. Pour la créativité, on repassera pour les affiches encombrées, celle faisant figurer des non-candidats, ayant remporté la palme de l’artifice. Les cris d’orfraie de quelques opposants qui demandaient le retrait des ces affiches n’y ont rien fait.
Mais la campagne électorale ne s’arrête pas aux affiches. Sur les réseaux sociaux, entre le désir de séduction et celui de la victoire au soir du 30 juillet, c’est le délire. Certain se croit porteur de la vertu d’incarnation, en montant dans des transports en commun et un autre, un chapeau sur la tête, joue au baby foot ou lève un tailleur de sa machine à coudre, fait le nafaya en se saisissant d’un fer à repasser. Tellement artificiel et si ridicule ! N’étant jamais ou si peu passés (pour ces deux cas au moins) par cette phase d’engagement, qui en d’autres temps précédait et légitimait une entrée en politique, leur mode de vie les a cantonnés dans un entre-soi, à bonne distance des préoccupations de tout un chacun, ces visites de proximité ne peuvent suffire à résorber.
Préalablement au lancement officiel de la campagne le 9 juillet 2017, une rencontre avait était organisée entre les mandataires des 47 listes en course, la Radio Télévision Sénégalaise et le CNRA. Il avait été arrêté que chaque liste a droit à 2 minutes dans le journal quotidien de la campagne. Depuis ce jour, devant les caméras, des déclarations, aussi volatiles que celles de la Bourse, servent de cache-misère. C’est à se demander même si certains candidats à la députation savent de quoi il s’agit. Ils semblent bien loin du représentant du peuple voulu par la République, compris comme ce contre-pouvoir capable de ramener l'exécutif vers les réalités de terrain. A regarder et à écouter quelques uns, ils apparaissent davantage comme les cadres intermédiaires et dociles du gouvernement quand ils sont dans la majorité et des inutiles lorsqu'ils sont dans l'opposition.
D’autres font réellement dans la fiction. Dans la première partie du journal de la campagne du 11 juillet, un candidat, tête de liste de sa coalition, à l’entame de sa déclaration annonce qu’il l’articulera en deux temps : une minute pour la diaspora et l’autre en direction des Hal pular. Après vérification de la liste qu’il veut mettre à son crédit, il apparait que le sieur n’a investi aucun Sénégalais de la diaspora et pour les Pular, seul le département de Podor propose des candidats.
Du bluff ? Sans doute, comme souvent en politique chez nous, car, avec ce brouhaha et cette multitude de listes, seules 2 couvrent tous les départements du pays et ceux de la diaspora, révélant ainsi, dans toute sa splendeur tragique, la charge existentielle du politique, à quoi il faut ajouter le virus du poison du paraître, les démons de la violence et de déplorables impasses. Et, pour nous, des angoisses.