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Comment comprendre que des personnes épinglées par les organes de contrôle ne se retrouvent pas à s’expliquer devant la justice mais soient plutôt récompensées par des nominations à des postes prestigieux à l’issue du Conseil des ministres
Ainsi donc après cinq de ses plus proches collaborateurs, Khalifa Ababacar Sall, le maire de Dakar, a été placé mardi dernier sous mandat de dépôt et poursuivi pour "détournement de deniers publics, escroquerie portant sur les deniers publics, association de malfaiteurs et blanchiment de capitaux".
En attendant d'être édifié par la justice sur les tenants et les aboutissants de cette procédure, il se pose un certain nombre d'interrogations. Voudrait-on l'humilier, le fragiliser eu égard aux ambitions politiques qui lui sont prêtées, notamment pour les prochaines élections législatives et présidentielle ?
D'emblée, il importe de préciser que le fait que les corps de contrôle fassent leur travail n'insupportent personne. Loin s'en faut ! A condition toutefois que la reddition des comptes soit instituée en mode de bonne gouvernance et ne soit pas un glaive que l'on soulève à chaque fois que de besoin pour menacer voire décapiter un adversaire.
Il s'y ajoute qu'il y a lieu d'être exigeant vis-à-vis de soi et d'être un modèle d'exemplarité lorsqu'on nourrit des exigences vis à vis des autres. Cela suppose que la loi soit égale pour tous et que sa rigueur s'abatte de la même manière.
Loin d'épouser ces contours, les pratiques politiques sénégalaises interrogent. Comment en effet comprendre que des personnes épinglées par les organes de contrôle ne se retrouvent pas à s'expliquer devant la justice mais soient plutôt récompensées par des nominations à des postes prestigieux à l'issue du Conseil des ministres pour avoir rallié le parti au pouvoir avec armes et bagages.
Faut-il être atteint de cécité pour ne pas voir que dans leur écrasante majorité les Sénégalais souffrent de vivre des situations qui donnent l'impression que tout est permis à ceux ou celles qui occupent des positions de pouvoir ou entretiennent des relations de proximité avec le pouvoir ? Faut-il être atteint de cécité pour ne pas voir qu'ils ambitionnent plutôt de vivre dans une adéquation avec les règles de la République qui stipulent que tous les citoyens naissent libres et égaux et que la loi est égale pour tous ?
Il demeure que dans leur grande majorité, ils souffrent de vivre dans un État qui donne le sentiment d'instrumentaliser la justice ou tout au moins de l'actionner quand des intérêts partisans sont en jeu.
Il est par conséquent à craindre que cette situation embrouille le jeu politique et que l'on se retrouve à faire du surplace. Déjà on voit s'organiser une sainte alliance autour de Khalifa avec l'opposition et une partie importante de la société civile qui dénoncent les relents politiques de son interpellation. Une nouvelle alliance est donc en gestation non point autour d'un programme politique mais plutôt autour du rejet d'une personne.
Après le "Tout sauf Diouf" en 2000, suivi du "Tout sauf Wade" en 2012, s'achemine-t-on vers un "Tout sauf Macky" en 2017, pour les législatives de juillet prochain et en 2019 pour la présidentielle.
Triste perspective car si elle devait advenir elle verrait une fois de plus les électeurs Sénégalais appelés à s'installer dans une posture de rejet consistant à voter contre quelqu'un et non pour ou contre une offre politique. Après deux alternances politiques démocratiques ce serait bien dommage d'avoir le sentiment de faire du surplace à ce niveau. C'est pourquoi tant qu'à vouloir nettoyer les Ecuries d'Augias il s'impose de fixer des règles communes à faire respecter par tout le monde.
On ne peut pas isoler un maire et s'en prendre à lui uniquement alors qu'il s'inscrit dans une tradition ininterrompue qui avait cours à la mairie de Dakar comme en ont témoigné certains prédécesseurs, en l'occurrence Mamadou Diop et Moussa Sy le maire de la commune des Parcelles. Ce dernier affirmait que c'est l'État "qui a créé les conditions de cette caisse et de ces fonds" et qu'il a eu "à gérer sous le magistère de Pape Diop".
Et que dire de la Caisse noire du chef de l'État qui est passé d'un milliard 500 millions sous Abdou Diouf à huit milliards sous Abdoulaye et Macky Sall avec tout le glissement qui s'en est suivi. A savoir que les fonds politiques ou caisse noire sont devenus "de simples fonds personnels, (ou argent de poche ) employés n'importe comment, n'importe quand et n'importe où (Lire Sud quotidien du mardi 7mars 2017)".
A bien observer ce qui se passe, c'est à se demander si le journaliste Mamoudou Ibra Kane n'avait pas été prémonitoire en avertissant déjà Khalifa Sall des risques encourus s'il venait à "succomber à l'appel des sirènes du palais présidentiel".
Ainsi lui faisait-il savoir : "ce n'est pas aussi simple que cela parait. La route vers… le Sommet" du pouvoir est parsemé d'embuches et les traquenards ne manquent pas" (in Le Sénégal : chroniques d'une alternance de braises). Même s'il est désormais bien placé pour le savoir et se préparer en conséquence, il y a toutefois une nouvelle donne à ne pas négliger, à savoir la maturité du corps électoral sénégalais. Qu'importe les "ndigels", tentatives de manipulation et/ou de corruption, les électeurs ont déjà montré leur capacité à se distancier de toutes pressions et à voter suivant leurs ultimes convictions.
Gare alors à ceux et celles qui oublient qu'en démocratie seule la carte de l'électeur est déterminante. Parce que le besoin de leadership se fait de plus en plus pressant, il importe par conséquent de se servir du pouvoir comme une opportunité pour trouver des solutions aux maux qui assaillent les Sénégalais et non pour éliminer de quelconque manière de potentiels adversaires. Il ne s'agit pas en effet de régner mais de gouverner.