LE SÉNÉGAL FACE AU TERRORISME
La question n'est plus si le terrorisme va frapper le Sénégal, mais quand il va le faire. Et s'il nous attendra
Après le deuxième attentat d'Ouagadougou dimanche dernier, après celui de Grand Bassam en Cote d'Ivoire il y'a un an et devant l'effondrement militaire et sécuritaire du Mali, il serait naïf de penser que le Sénégal restera encore longtemps cet ilot préservé de l'agression terroriste.
Le journal français Les Echos rapporte une récente interview de Iyag Ag Ghali chef de l'organisation touareg Ansar Eddine, affiliée à Al Quaida au Magreb Islamique (AQMI) indiquant que notre pays figure sur sa "liste noire" de 11 pays comprenant notamment la Suède, le Tchad, la Guinée, la Côte d'ivoire, le Burkina Faso et le Niger,
D'ailleurs plusieurs tentatives en ont été déjà avortées.
Le 24 Février dernier, le porte parole de la police sénégalaise, M.Henry Boumy Ciss, annonçait l'arrestation à Dakar d'un "malien originaire de Tombouctou …qui était formellement le contact de Ould Nouini, celui-là même qui avait planifié les attentats de Grand-Bassam et qui était en contact réel, ici, au Sénégal, avec Moustapha Diatta, terroriste présumé, qui a été précédemment arrêté par la division des investigations criminelles (DIC)."
Auparavant les médias français avaient fait état de l'arrestation fin mars, début avril de trois "présumés terroristes", deux Marocains et un Nigérian.
En fait, ainsi que le rappelle l'Observateur, les autorités françaises et américaines ne cessent plus d'alerter le Sénégal et de lui recommander la plus extrême vigilance, notamment dans la surveillance "toutes les voies aériennes, maritimes et terrestres d'accès sur (notre) territoire national"
Dés lors, il convient semble t-il, de revoir très sérieusement la politique de notre pays face au terrorisme.
Il faut sans doute se féliciter du "dispositif sécuritaire" qui a tenu jusqu'à présent.
La police et les services de renseignement, ont su, en collaboration avec leurs homologues des pays alliés, en particulier ceux de la France et des Etats Unis à ce qu'il parait, tenir en échec les tentatives terroristes et démanteler les cellules en constitution.
Le terrorisme est en train de gagner!
Mais il faut bien en convenir : le terrorisme est en train de gagner la guerre à nos frontières.
Au Mali, la Mission militaire des Nations Unies, MINUSMA, est désormais acculée à la défensive, occupée plus à se protéger qu'à attaquer les séparatistes et islamistes dont les groupes ont fini de métastaser dans tout la pays.
L'armée malienne qui ne s'est jamais relevée du dernier coup d'état n'est plus qu'un faire valoir et n'a même plus la prétention de faire face à l'ennemi seul.
L'opération militaire française Barkhane, malgré ses 3500 hommes, ses équipements, avions et tanks de dernière génération, est "enlisée" ainsi que le constatait récemment le quotidien Le Figaro.
Malgré son action ; "le niveau d'insécurité est sans précédent" avec "multiplication d'actes terroristes de plus en plus sophistiqués et dévastateurs", indique la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH).
Le Niger est désormais assiégé par Bako Haram dans sa région de Diffa frontalière avec le Nigeria et ne compte plus pour préserver son intégrité territoriale que sur les USA qui construisent une importante base militaire à Agadez, dans le Nord du pays.
La Mauritanie du Président Mohamed Ould Aziz a selon toute vraisemblance conclue un deal avec Acqmi au Magreb Islamique tout en engageant une vigoureuse lutte idéologique contre l'islamisme, toutes choses qui l'ont préservé de toute agression depuis 2011.
Prévenir par la lutte idéologique, faire face avec une force armée de proximité
Pour faire face au terrorisme triomphant le Sénégal doit donc faire plus que de la police et du renseignement.
Nous devons d'abord, comme la Mauritanie, engager une vigoureuse lutte idéologique contre l'islamisme, c'est-à-dire cette interprétation wahabite de l'Islam qui a cours maintenant dans la plupart de nos mosquées.
Même dans beaucoup de celles dites confrériques.
Ainsi que dans plusieurs communautés de l'Est, du Fouta au Gajaga au Boundou.
Dans ces communautés les heures de prières et les jours de fêtes sont déterminés par le calendrier cultuel saoudien.
Ces musulmans ont été convertis depuis longtemps à la Sunna du Prophète de l'Islam et ses Hadiths tels qu'interprétés par le wahabisme.
Or c'est cette interprétation de l'Islam qui a fait le lit des Talibans, de l'Etat Islamique et de Boko Haram.
Il est donc indispensable de la réfuter, frontalement, dans les mosquées et dans les médias.
On ne l'a fait jusqu'à présent que timidement.
Il est nécessaire aussi de mettre en place des mécanismes pertinents de traitement du terrorisme.
Le Pôle anti-terroriste auprès du Tribunal de grande instance de Dakar est un pas dans cette direction.
Au plan opérationnel, on devrait aussi créer une force armée spéciale de proximité, décentralisée, jusqu'au niveau des communes et des villages et qui sera chargée à la fois du renseignement et du combat.
Institutionnellement, elle pourrait prendre la forme d'une police armée de proximité.
Revoir notre politique étrangère
Nous devrions aussi réviser certains fondamentaux de notre politique étrangère.
D'abord, se démarquer des initiatives militaires françaises et internationales en cours dans la région.
Se désengager de BARKANE au Mali et au Tchad. Ainsi que de la MINUSMA.
Non pas pour donner des gages aux terroristes mais parce que ces opérations sont inefficaces.
En outre, elles déresponsabilisent nos Etats et les décrédibilisent à nos propres yeux.
Se désengager également de la coalition avec l'Arabie Saoudite contre le Yémen.
Il s'agit là plus qu'une bourde diplomatique, d'une participation à un crime de guerre qui implique notre pays dans la grande guerre mondiale entre Sunnites et Shiites que les USA ont fomenté et entretiennent pour leurs visées géo stratégiques.
Se refuser à prendre part au G5 Sahel que le Président français s'efforce de lancer et pour lequel le Sénégal sera sans doute sollicité plus énergiquement.
Militer par contre pour une véritable mobilisation de la CEDEAO et de l'Union Africaine dans son ensemble pour un engagement total, financier, militaire et diplomatique.
Non pas seulement autour du Mali et du Sahel mais aussi dans la guerre contre Boko Haram.
L'entreprise parait impossible ?
Pourquoi des peuples qui ont pu combattre et battre des forces coloniales ne pourraient pas défaire le terrorisme en comptant d'abord sur eux même ?