LE TEMPS DES INCERTITUDES
Le paysage politique sénégalais vit des transformations même si le débat politique reste essentiellement subjectif. L'économie sénégalaise donne des signes d'embellie. Est-ce une simple éclaircie ou une lame de fond ?
A onze mois des élections législatives, c'est déjà le branle-bas de combat dans le landerneau politique sénégalais. Pouvoir et oppositions affutent leurs armes dans la perspective de ce premier grand test politique, depuis l'avènement du Président Macky Sall. La majorité présidentielle sous la bannière de la coalition Benno Bok Yakaar peut s'enorgueillir d'avoir remporté toutes les joutes électorales organisées depuis la fameuse alternance de mars 2012. Elle s'est imposée aux législatives, avec une majorité très confortable à l'assemblée nationale. Toutefois, avec 69 députés, le parti présidentiel est obligé de compter avec les alliés (une trentaine de députés) pour obtenir un nombre conséquent de voix et espérer mettre en œuvre les réformes engagées par le Président Sall.
Malgré les défections, des députés de Rewmi d'idrissa Seck, de Tekki de Mamadou Lamine Diallo, Bess Dou Niak de Serigne Mansour Sy Djamil et d'Imam Mbaye Niang,(MRDS) la majorité présidentielle, reste solidement ancrée au parlement. Les réactions d'humour des partis de gauche, (LD, PIT), à l'exception de And Jëf, visiblement mal à l'aise dans la coalition, ne changent rien à la donne. Ebranlés et très affaiblis par une forte dissidence, l'AFP et le PS, s'accrochent à l'édifice et multiplient, au grand dam de leurs militants, des gages de solidarité au Président Sall. Mais, l'agenda personnel de leurs leaders respectifs, Niasse et Tanor les préoccupe eux-mêmes, plus que l'avenir politique de leur parti. C'est du moins le sentiment, le plus partagé dans leur rang. Barthémy Diaz, du PS l'exprime courageusement et ouvertement.
Victoire en porcelaine
Plus deux ans après leur tenue, les élections départementales et municipales de juin 2014, apparaissent encore comme une sorte de victoire en porcelaine pour la majorité, qui a perdu de grandes villes, comme Dakar, Ziguinchor, Touba et Thiès. Le retour en force de la majorité lors du référendum du 20 mars a quelque dopé la majorité. Mais le faible taux de participation et la dénonciation par l'opposition et la société civile de plusieurs dysfonctionnements amoindrissent quelque peu la portée de la victoire du Oui.
Cependant trois évènements majeurs sont venus rehausser les enjeux politiques ces dernières semaines : il s'agit du dialogue national lancé par le président Sall, la libération de Karim Wade et la réactivation de la polémique sur le protocole de Rebeuss, qui remet sur la sellette Idrissa Seck et la justice sénégalaise. On aurait pu sans doute y ajouter, l'irruption de l'ancien Premier Ministre Abdoul Mbaye sur la scène politique, dans les rangs de l'opposition. Sa violente diatribe contre les "politiciens professionnels", l'apostrophe adressée au Président Sall, et sa rencontre avec le dissident progressiste Malick Gakou, président du Grand Cadre, annoncent un véritable branle-bas de combat avec de nouvelles perspectives d'alliances.
Dialogue fructueux
A l'évidence, une nouvelle redistribution des cartes s'opère dans la classe politique. Le dialogue politique lancé par le Président Wade aura permis de faire baisser la tension ambiante et décrisper l'atmosphère surchauffée par des séries d'arrestations, de brutalités policières et d'interdictions considérées comme une récession démocratique. Malgré le refus de participation d'une certaine frange de l'opposition, la présence du PDS et toutes les supputations qui l'ont accompagné, ont donné un intérêt réel au dialogue télévisé en direct pendant neuf d'horloge avec près d'une soixantaine de prises de paroles.
Joignant l'acte à la parole, le gouvernement a embrayé sur une négociation portant sur le processus électoral, la révision partielle du fichier, de nouvelles inscriptions et une probable fusion des cartes d'identité et d'électeur. Malgré quelques petits couacs, les discussions ont redémarré après que le gouvernement eu décidé de retirer un texte proposé en première lecture à l'assemblée nationale.
Le retour des radicaux de l'opposition avec une perche tendue par le pouvoir pour faciliter leur représentation a décongestionné la tension et remis une dose de confiance dans les rapports tendus. Malgré tout, des soupçons de fraude subsistent dans les esprits, et surtout une récusation récurrente du Ministre de l'intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, accusé de partis-pris et d'incapacité à organiser des élections crédibles. La nouvelle architecture organisationnelle des élections se dessine grâce au dialogue politique véritablement en branle depuis le 28 mai.
L'arroseur, arrosé
La rocambolesque libération de Karim Wade dans la nuit du 24 au 25 juin a pourtant jeté à nouveau le doute dans les rapports tumultueux entre opposants et majorité. Le rapprochement entre le PDS et l'APR, à la base de cet élargissement, pour le moins nébuleux, a complétement brouillé les cartes au sein de la famille libérale, à l'intérieur de l'opposition et celui de la majorité. Idrissa Seck qui s'était rapproché de Wade et du PDS, se trouve du coup isole mais aussi en position d'incarner l'opposition radicale. En somme, un chef potentiel de l'opposition, sans en être consacré. Mais le président de Rewmi n'en ratera pas une pour remettre l'ouvrage sur le métier. En révélant l'existence d'un "deal international" sur la libération de Karim Wade, Idrissa Seck, se met à dos le pouvoir et ses ex-alliés du PDS. Il ravale Karim Wade au rang de coupable, après avoir tenté vainement de le défendre.
Les foudres du pouvoir ne tardent pas à lui tomber dessus. Toutes les manœuvres organisées pour remettre au goût du jour le protocole de Rebeuss ont abouti à faire le lui l'arroseur arrosé. Le président du Conseil départemental de Thiès s'est malgré lui mis en position de défense, alors qu'il prétendait attaquer le pouvoir. L'auto-saisine du Procureur Guèye pourrait bien relancer son dossier, si la reculade tant redoutée ne vienne mettre fin à l'information judiciaire qui ferait suite à la réouverture du dossier des chantiers de Thiès. Le Président Macky Sall tente de minimiser la portée de cette nouvelle flambée d'accusations et comme pour sauver son acharné adversaire d'une nouvelle mauvaise passe.
Six premières pierres, deux inaugurations
Engagé dans une nouvelle opération de reconquête de la banlieue, le Président Sall met à profit le conseil délocalisé pour effectuer six poses de premières, et deux inaugurations de projets sociaux et collectifs d'infrastructures. Ces opérations politiques sont décriées par l'opposition. Mais il n'en a cure, convaincu que la difficile banlieue dont les mairies sont présidées par des proches parents, saura lui en rendre grâce. L'opposition elle, se renforce de l'arrivée d'Abdou Mbaye à la tête de l'ACT.
Elle reste divisée, hirsute et éclatée. Sans leader charismatique rassembleur, elle apparaît comme un conglomérat d'opposants sans coordination, incapables de mettre en place une coordination unifiée autour d'une plate-forme politique. La petite unité d'action réalisée lors du référendum a volé en éclat. L'arrivée de Modou Diagne Fada, n'y changera rien. Pas plus que la radicalisation de Malick Gamou, qui se révèle plus radical qu'on aurait pu l'imaginer.
L'éclatement en programmé du PS, avec une probable entrée en scène de Khalifa Sall ouvre de nouvelles perspectives pour l'opposition, qui commençait à se structurer autour de nouvelles tendances, Abdou Mbaye, Ousmane Sonko, Cheikh Tidiane Gadio, Mamadou Lamine Diallo, Mame Adama Guèye, El Hadji Ibrahima Sall, Cheikh Tidiane Dièye.
Atmosphère chargée
Le paysage politique sénégalais vit des transformations même si le débat politique reste essentiellement subjectif. L'économie sénégalaise donne des signes d'embellie à travers une croissance annoncée à 6,6%. Est-ce une simple éclaircie ou une lame de fond ? Les projets annoncés dans le PSE commencent à sortir de terre. Mais la situation économique des ménages reste difficile et les emplois promis aux jeunes se font attendre. Le moral des Sénégalais est très embrouillé par des promesses mirobolantes de milliards et les accusations récurrentes de détournement passés ou présents. Les scandales révélés sur la corniche renforcement le doute. Les assauts répétés contre la Sonatel, notre fleuron national qui vient d'ajouter la Sierra Leone à son escarcelle, les espoirs suscités par la découverte du pétrole et du gaz, les doutes persistants sur la distribution des semences, les mauvais résultats au baccalauréat, s'entremêlent, dans la tête de nos compatriotes et laissent planer un sentiment diffus de pessimisme teinté de fatalisme.
L'approche de la tabaski et le retour des inondations dans les zones rurales font craindre une période hivernale lourde. La perspective des élections législatives ne fera qu'alourdir l'atmosphère. Après avoir fait le tour de treize régions du Sénégal, promis des milliers de milliards de francs pour améliorer le sort des Sénégalais, le Président Macky Sall devant le terrible dilemme de devoir entretenir l'espoir ou de perdre la confiance des Sénégalais. En annonçant une bagatelle de 1.800 milliards, pour la banlieue, il s'attaque à un bastion stratégique, un important bassin électoral, mais une vitrine économique et sociale de tout premier plan. On pourrait en dire autant de l'opposition, qui peine à s'unir et gagner en crédibilité. Son avenir se jouera certainement lors des législatives alors que jamais, elle n'aura en aussi mauvaise posture au cours de quatre dernières années.