LECONS DU 15 JUILLET
C’est une tragédie ! Un nouveau triomphe de la bêtise des foules. Un camouflet à notre légende nationale qui voudrait que le Sénégal soit une terre bénie par Dieu et par ses saints hommes. Dans un stade Demba Diop maintes fois rafistolé mais toujours vétuste, huit jeunes pleins de vie et d’envie ont succombé à la folie destructrice de leurs jeunes compatriotes.
Ce qui était parti pour être une belle fête entre l’Union sportive de Ouakam (Uso) et le Stade de Mbour, deux clubs frères issus d’un village et d’une ville de pêcheurs, habilllés aux mêmes couleurs, s’est terminée de la plus funeste des manières. Le rouge de leurs maillots s’est transformé en sang et le blanc, paix promise n’a donné que larmes et tristesse. Rien, pourtant ne présageait cette fin macabre quand Djibril Guèye de l’Uso a ouvert la marque en première mi-temps et qu’à l’entame de la deuxième, le club fanion de la Petite Côte a égalisé. A l’entame de la dernière partie de la prolongation, alors que Mbour menait par deux buts à un, le pire allait se produire. La pire folie de toute l’histoire du football. Même la finale du 6 juillet 1980 ayant opposé la Jeanne d’Arc de Dakar au Casa Sports n’avait connu un tel scénario de film d’épouvante.
Un pénalty injustement accordé par l’arbitre Bakary Sarr et marqué, à l’époque, par feu Baba Touré allait révulser Jules François Bocandé et entraîner le déferlement de supporters du club casamançais sur la pelouse. Samedi, le coupable n’était pas l’arbitre mais plutôt le chauvinisme primaire des supporters de Ouakam qui a mis le feu aux poudres. Littéralement. Jets de pierres, de grenades lacrymogènes, bousculades, et puis… l’irréparable. Le drame du stade Demba Diop a emporté huit jeunes à jamais gravés sur les lignes de l’histoire de notre football. Ironie de l’histoire, originellement le stade Demba Diop s’appelait «Stade de l’Amitié». C’est en 1967 que cet antre du foot a été baptisé du nom de cet ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, enseignant à Mbour, époux de Caroline Faye Mbouroise de souche. Un Mbourois d’adoption tragiquement arraché à la vie par la faute d’un coup de poignard de Abdou Ndafakhé Faye à la gouvernance de Thiès en 1967. Cinquante ans après, la température politique affiche toujours le rouge vif dans un contexte de campagne électorale pour les législatives. La violence se diffuse insidieusement, comme un venin dans cette campagne électorale, flirtant chaque jour avec le pire. Le Président Macky Sall a demandé à «bannir la violence sous toutes ses formes» et «ordonné l’ouverture sans délai, d’une enquête rigoureuse qui permettra de situer toutes les responsabilités, d’identifier les fautifs et de transmettre sans délai les conclusions de l’enquête à la justice.»
Et, par sagesse, le combat Modou Lô-Lac de Guiers 2, autre gros risque de dérapage, a été déprogrammée et renvoyée sine die. Nous aimons tous le football, sport roi dans le monde. Qui n’admire pas le génie de Messi et le talent de Christiano Ronaldo ? Quel Sénégalais n’a pas adoré El hadji Diouf et Fadiga en 2002 ? Quel coeur d’humain n’a pas chaviré face au talent prodigieux de Pelé et au génie flamboyant de Maradona ? Ce que nous n’aimons pas, c’est quand ce sport charrie le chauvinisme, la bêtise et la violence et qu’il congédie le fair-play. Gagner une coupe de la Ligue, qu’est-ce que cela aurait apporté de plus au vécu des Mbourois ou des Ouakamois, au-delà des quelques heures de bonheur d’après-match. Le match de samedi opposant deux clubs très populaires devait être une fête et n’avait pas sa place dans le très vieux et trop exigu Stade Demba Diop mais bien au stade Léopold Sédar Senghor. Hélas, la pelouse de notre unique grand stade réglementaire est en éternelle réfection. Pourquoi ne pas avoir organisé la finale de la Ligue à Pikine, Mbour, Ziguinchor ou Saint-Louis ? Pourquoi n’y avait-il pas eu assez de policiers ?
La Fédération sénégalaise de football (Fsf), la Ligue Professionnelle et l’Etat tireront certainement toutes les leçons de ce samedi noir. Il y a une vie après le match et une facile résilience face à la défaite pour les âmes volontaires. Ce déferlement de violence doit nous pousser à nous interroger sur la meilleure éducation à donner à nos enfants, sur la formation de nos forces de sécurité, sur leurs effectifs et les moyens à leur octroyer. Manifestement, les policiers étaient en sous-nombre, facilement débordés, eux-mêmes exposés au danger et incapables de maîtriser la situation. La formation de stadiers professionnels est de rigueur ; elle doit accompagner ce sport, et en faire une véritable industrie. Nous ne devrons pas oublier, une fois l’émotion retombée, de professionnaliser tous les aspects de ce jeu dont l’aura ira grandissante à travers le monde. Les drames de Heysel et de Furiani ont bien aidé les Européens à faire avancer leur foot. Dans un grand esprit de responsabilité, l’Etat a décidé de suspendre toutes les activités sportives jusqu’à la fin de la campagne électorale. Mais comme la vie ne s’arrête pas aux portes des chapelles politiques, la suspension ne devrait elle pas aller jusqu’au mois d’octobre, le temps de réfléchir avec l’ensemble des acteurs sur les meilleurs moyens d’éradiquer la violence de nos stades?
Enfin, nous devrions, tous, nous imposer une introspection salutaire pour renouer avec les bonnes pratiques. Nos vices prennent, de plus en plus, le dessus sur nos vertus. Sur nos routes, dans les lieux et édifices publics, nous faisons primer nos intérêts personnels au prix d’une agressivité et d’une violence sans pareilles. Et, quand l’irréparable se produit, comme ce samedi 15 juillet au stade Demba Diop, on se repaît de mots vite oubliés. Une bonne action ne vaut-elle pas mieux que toutes les bonnes paroles du monde ?