LES INDICATEURS AU VERT, L'ÉTAT AU ROUGE
Euphorique devant les brillants résultats du secteur de l'hydraulique urbaine, le ministre prône l'anticipation, mais ne donne pas de sérieux gages pour rassurer les acteurs sur le paiement des créances étatiques
La dernière revue annuelle du secteur de l'hydraulique et de l'assainissement a confirmé une nouvelle fois encore, une amélioration sensible (près de 3%) des taux d'accès confortable en milieu urbain, périurbain et rural. Structuré, piloté, organisé et… relativement bien appuyé, ce secteur affiche des indicateurs globalement satisfaisants. De bons augures, assurément pour l'atteinte en 2025, des Objectifs de Développement Durables (ODD), après, les succès obtenus dans les Objectifs du Millénium pour le Développement (OMD), échus depuis l'année dernière. L'hydraulique urbaine peut bien revendiquer un statut de "champion" avec des taux d'accès gratifiants, entre 98% et 100% à Dakar Ville, 97% en banlieue et 84% dans les régions. Dans la capitale, le spectre des coupures d'eau dans les quartiers hauts de Dakar, Cité Damel, Liberté 6 Extension, Nord et Ouest Foire, Ouakam semble éloigné, depuis la mise en œuvre avec succès du Programme d'urgence de la SDE, financé par l'État via la SONES. Plus de 50.000 m3 supplémentaires sont mobilisés avec une batterie de forages, après que certaines difficultés liés à leur l'implantation furent dépassés.
Le Directeur Général de la SDE, Abdou Baal a confirmé, ces bonnes tendances pour la seconde phase. Mais, il faudra bien surveiller les consommations maraîchères, qui peuvent atteindre des pics de 18.000 m¨3/j en cas de forte chaleur, et de retard pluviométrique. Soit 8.000 m3/j de plus que ce qui est autorisé. Cette situation pourrait plomber les acquis du programme d'urgence, qui constitue en fait un rattrapage, car depuis plusieurs années, ces quartiers s'étaient installés dans le stress hydrique permanent. Si la seconde phase tarde à se réaliser, la période hivernage reste d'être très difficile pour les Dakarois. Il faudra comme le préconise, M. Baal, anticiper sur les réalisations de nouveaux ouvrages d'exhaure, ou au moins ne pas accuser des retards dans les travaux, comme par le passé. Anticipation, c'est le mot clé des acteurs de cette revue cuvée 2016. Elle a été la force du secteur depuis la réforme de 1996, comme l'a souligné avec une remarquable pertinence, M. Babacar Dieng, Consultant ancien Directeur Général de la SONES. Anticipation aussi, comme lui ont emboîté le pas, Abdou Baal et Mamadou Dia, nouveau et ancien directeur général de la SDE.
Anticipation, comme a promis d'en faire une ligne de conduite, le nouveau Directeur Général de la SONES, Charles Fall. Quant à la SONES, elle reste en orbite pour la mise en œuvre de ses programmes majeurs, KMS 3 et Usine de dessalement de 50.000 m3/j, pour un investissement total de près de 300 milliards. Tout compte fait, la mobilisation déjà effective de ces financements, autorise certainement
Et certainement, l'évitement d'un spectre de stress hydrique qui menace Dakar en 2025, (déficit de 200 000/j). Le coordonnateur du PEPAM M. Amadou Diallo avait déjà annoncé les couleurs en démontrant statistiques à l'appui que le salut du secteur se trouve précisément dans la qualité de son pilotage. Approche programme, maîtrise des prévisions, suivi, échange et capitalisation, cette vision stratégique fait la force du secteur. Mais l'accumulation des dettes de l'état qui dépasse les 30 milliards constitue l'une des principales menaces à la poursuite de l'évolution du secteur. En effet, la SONES principale investisseur du secteur, tire 80% de ses recettes du paiement de l'état, contre seulement 20% des factures privées. Sans ressources, elle serait incapable de renouvellement les investissements et financer ses travaux de branchements sociaux (plus de 65 000 en prévision). Pis, faute d'honorer son service de de la dette (six à sept milliards), elle verrait ses décomptes bloqués solidairement par l'ensemble de ses bailleurs.
Du coup, ni l'ONAS, ainsi mis dans l'incapacité de récupérer sur la facture SDE, sa taxe d'assainissement, ni la SDE, privée de 20% de ses ressources ne seraient aussi dans à même de financer leurs activités. Or, comme on le sait l'état provisionne à peine 20% du montant des factures dans son budget, oubliant de payer les arriérés. Sauf si contraint par, la Banque Mondiale et les autres bailleurs, il accepte des croisements de dettes avec la SONES, dans des conditions, loin de l'idéal. La RAC version 2016, a occulté en tout sous-traité la question vitale de la qualité de l'eau, en milieux urbain et rural. Les taux de potabilité selon les normes OMS, ne liquident pas pour autant les soucis organoleptiques (couleur, senteur de l'eau) qui inquiètent les populations. Angoisse justifiée au vu de la présence anormalement élevée' du calcaire, du fluor, du sel et du fer, dans la zone de Dakar et banlieue, au nord, dans la zone Gorom Lamsar, à Kolda et dans le bassin arachidier. On peut également reprocher à la revue d'avoir consacré beaucoup de temps aux indicateurs de desserte mais pas assez aux énormes enjeux de mobilisation des ressources hydriques, pour palier la rareté de la ressources les difficultés de mobilisation récurrentes. Somme toute la tendance dans ce secteur reste très favorable.
Euphorique devant les brillants résultats du secteur de l'hydraulique urbaine, le ministre de l'hydraulique et de l'assainissement, prône l'anticipation, mais ne donne pas de sérieux gages pour rassurer les acteurs sur le paiement des créances étatiques. Dans le sous-secteur de l'hydraulique rurale, la réforme engagée par l'OFOR avance timidement à cause des lourdes pesanteurs sociales et sociologiques nées de pratiques ancestrales de gestion de l'eau en milieu rural. Même si une trentaine de DSP (délégation de service publique) a été signée, le changement dans le mode de gestion des forages tarde à poindre. Initiée en 1996 à travers la REGEFOR, cette démarche visait à remplacer les comités de gestion villageois par les ASUFOR (Association des Usagers des Forages), une approche en principe plus participative et plus rationnelle dans gestion, la maintenance et l'utilisation des fonds récoltés par la vente d'eau. Visiblement, cette réforme a fait long feu, les mêmes pratiques des comités de gestion, contrôlés par les lobbys sociaux et religieux ont été conduites dans les ASUFOR. D'où les pannes récurrentes de forages, les ruptures de services, les détournements de fonds, et un stress hydrique permanent. Sans compter les fâcheuses environnementales, sanitaires et socioéconomiques adjacentes.
Dans les zones nord et centre, la réforme rencontre une meilleure acceptabilité sociale, mais surmonte difficile ces écueils. Le changement du mode de gestion confié à des opérateurs privés, sous le label Partenariat Public Privé (PPP), devrait permettre apporter des changements notables dans la distribution de l'eau en milieu rural. Un grand hic, les ASUFOR, type nouveau accepteront-elles de se limiter au contrôle citoyen en perdant la mainmise sur les ressources financières.
L'état s'acquittera-t-il convenablement de ses missions de financement des ouvrages, de formation, d'organisation comme dans un système d'affermage. Comment trouver des milieux d'opérateurs en eau et autres conducteurs sérieux, consciencieux et rationnels pour faire aboutir cette réforme ambitieuse ? Comment faire pour mettre fin à ce grave injustice qui fait que les ruraux paient l'eau plus cher que les urbains, censés être plus nantis ? Signer des conventions de DSP ne peut être une fin en soi. Il s'agit de révolutionner les mentalités par un véritable pilotage de ce sous-secteur qui concerne encore plus de huit millions de personnes pour un parc d'environ 1500 forages.
Dans cette nouvelle vision le Directeur Général de l'OFOR, M Lansana Gagny Skho développe une approche plus stratégique dont la finalité consiste à la suppression de ligne de fracture entre l'hydraulique urbaine et l'hydraulique rurale. Sa vision est plus conforme à l'esprit de l'Acte 3 de la Décentralisation fondée sur la communalisation intégrale. Alors que le secteur qui bénéficie d'appuis assez massifs de financements, tire tous les profits de la dichotomie entre les deux secteurs. Le taux d'accès dans le milieu est de l'ordre de 71%, soit plus de 20 points de moins que dans l'urbain. Une situation déplorable, qui confirme l'ambivalence d'un discours officiel qui affirme accorder la primauté au rural et ne fait rien pour casser ce déséquilibre. L'OFOR mérité d'être soutenu et accompagné dans sa difficile mission, autant sinon plus que le PUDC.
On pourrait en dire autant de l'assainissement urbain et rural où les taux d'accès sont déraisonnablement bas, compte tenu des immenses enjeux environnementaux, sanitaires et socioéconomiques afférents. Ce sous-secteur recule globalement et les titanesques efforts de ses acteurs institutionnels sont mal récompensés et mal reconnus. Le cri du cœur lancé par le Directeur de l'Assainissement, M. Traoré en atteste largement. Retard d'investissements, formation insuffisante, personnel en sous nombre peu motivé et mal équipé, les maux dont l'assainissement sont abyssaux. OMD non atteints dans les deux milieux,, prédominance de l'assainissement autonome (plus de 91%) au Sénégal, 30% de défécation à l'air libre, absence d'imagination et de créativité dans la conception des toilettes où dominent encore les latrines traditionnelles à fosse sèche, sans sécurité, sans discrétion. En milieu urbain, depuis la fin du programme d'assainissement en milieu urbain, les choses semblent traîner, notamment sur l'extension des réseaux publics.
Alors que les canaux à ciel ouvert constituent des bombes écologiques dans les villes de Dakar et Rufisque. Seule éclaircie, le Programme de Restructuration du Marché des Boues de Vidanges, développé par l'ONAS avec l'appui de la Fondation Bill and Melinda Gates, démarche innovante expérimentée à Pikine Guédiawaye et en voie d'extension dans 30 villes au Sénégal. Il s'appuie sur une congruence des processus et des acteurs de la collecte à la valorisation en passant par le transport, le traitement et la valorisation. Même s'il n'a pas abouti à une baisse sensible du prix la vidange, ce programme a permis de structurer le marché, organiser les hydro-cureurs et exploiter des stations de boue de vidanges, confiées à un consortium de privés. Une privatisation salutaire, profitable à l'ONAS, débarrassé des charges lourdes de gestion et qui engrange même des redevances. Aujourd'hui cette expérience sénégalaise, est quasi unique en Afrique au Sud du Sahara. Elle permet de valoriser l'assainissement, par la création de produits dérivés (eau, gaz, électricité et engrais). Une usine, l'omni-processor, est installée à Pikine, unique prototype au monde. Le cabinet international sénégalais EDE a été chargé par la Fondation Bill Gates de sa dissémination en Afrique.
Autre motif de satisfaction, l'adoption d'une stratégie nationale de l'assainissement Rural (SNAR), qui devrait apporter une vraie révolution dans le secteur en passant de la logique de projet à la logique marché, de la logique bénéficiaire à la logique client… . Si l'état ne le plombe pas en la privant des moyens essentiels dont cette démarche novatrice a besoin pour redonner à l'assainissement son caractère stratégique.