PERFORMANCES ILLUSOIRES
Le Sénégal est loin d'être un pays de Cocagne ou d'Eldorado où l'argent coule à flot, où les populations baignent dans la jouissance et la bombance. Les difficultés des Sénégalais ne sont point une vue de l'esprit ni une fiction
Dans un éditorial aux contours dithyrambiques, le patron du groupe Avenir Communication, éditeur du journal Le Quotidien, loue les performances économiques de la gouvernance du président Macky Sall. A le lire, on conclue que tous les clignotants sont en vert dans ce pays de Cocagne. Cet éditorial nous renvoie à cette déclaration du président Sall, qui recevant les éditeurs de presse le 6 août 2013, pour un "ndogu" spécial, mettait en exergue les 17 premiers mois de son magistère. Il disait ceci :
"Ce pays est en marche pour une véritable et crédible bonne gouvernance. Nous sommes sur le bon chemin d'une démocratie fiable, des institutions stables et durables. On nous fait confiance. Des financements nous arrivent de partout… Dakar, ce n'est pas tout le Sénégal. Les revues de presse ne reflètent souvent que l'opinion des populations de Dakar. Allez demander aux paysans si mon gouvernement travaille ou non… Le Sénégal n'a jamais été aussi liquide que maintenant. Il y a beaucoup d'argent venant de nos partenaires. Nous avons signé beaucoup de conventions… Le Sénégal est sur la bonne rampe et jamais il n'y a eu autant de rentrées d'argent, malgré la baisse de la contribution de la diaspora, en raison de la crise économique… Les paysans ne diront pas que le pays n'est pas sur une bonne rampe de développement…"
29 mois après ce discours narcissique, Madiambal prend le relais et nous vante le mieux-vivre des Sénégalais sous l'ère Sall. L'image du Sénégal à l'extérieur est reluisante à la Banque mondiale, au FMI, aux Nations unies, à l'OCDE, aux sociétés de notation bref partout dans le monde. Cela grâce à l'entregent et à l'intelligence notre président hors du commun. Avec lui, le Sénégal est le 13e pays d'Afrique sur 42 le plus endetté avec 4248 milliards soit 7,2 milliards de dollars, 3e pays le plus endetté dans l'espace de la CEDEAO par habitant avec 310.595 CFA soit 531 dollars US. C'est le seul pays de l'UEMOA dont la dette par habitant excède les 500 dollars US. C'est vrai des performances hors-normes. Quid de l'image du Sénégal à l'intérieur du Sénégal ? Récemment la Convergence des jeunesses républicaines (Cojer) de Thiaroye criait son ras-le-bol en claironnant que sa localité à l'instar de beaucoup d'autres ne ressent pas encore les retombées du PSE et ce, au moment où les institutions bailleresses le portent au pinacle selon Madiambal Diagne.
Dire que le Sénégal a été noté positivement par les agences Moody's et Standard & Poor's ne signifie point que notre économie est en vert. Selon Balla Gningue, Conseil juridique, Spécialisé en Droit des Télécoms-TIC "en réalité, dans l'échelle de notation à long terme, les notes B1 et B+ placent le Sénégal dans la catégorie "spéculative" ou "incertaine". Cela veut dire que la probabilité de remboursement par l´État du Sénégal en cas d´endettement est incertaine. Il subsiste un risque assez fort. La conséquence en est que les investisseurs, ne vont pas prendre de risques et hésiteront à prêter au Sénégal et le cas échéant, ce sera à des taux très élevés du fait du risque de non remboursement".
Et ces notes et croissances ne traduisent qu'une économie Potemkine qui cache les véritables misères des populations sénégalaises. Cela nous rappelle les années d'ajustement structurel où le duo Sakho-Loum avait réussi à restaurer les finances publiques, réduire les déficits et équilibrer la balance commerciale mais parallèlement ils avaient appauvri les Sénégalais. Et cette situation d'extrême pauvreté avait largement continué à la défaite électorale du président Abdou Diouf en 2000.
En matière d'indicateurs de développement humain, le pays enregistre de faibles performances et le Sénégal est en 170e position sur 187 pays au classement de l'IDH publié par le PNUD en 2015 et plus de la moitié de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.
Le Sénégal se place à la 147e sur 190 pays au dernier classement Doing Business alors que la moyenne des pays d'Afrique subsaharienne s'établit au 142e rang.
Le comble de l'aberration est atteint est atteint quand le patron de Avenir Communication dit qu'"aucun économiste ne contestera que les taux de croissance engrangés par l'économie nationale n'ont jamais été connus dans l'histoire du pays". Nous lui rappelons que sous le magistère du président Diouf, le Sénégal a connu un taux de croissance de 7.8%. En 2003, sous Abdoulaye Wade, l'économie sénégalaise a réalisé 6.7% de taux de croissance. En 2016, il est prévu un taux de 6.5%. Donc moins que Diouf et Wade.
Aujourd'hui il est très difficile de montrer du doigt un projet infrastructurel de grande envergure du président Sall. L'aéroport de Diass hérité de Wade peine à être opérationnel. Les universités Ahmadou Makhtar Mbow de Diamniadio et Ibrahima Niass de Kaolack peinent à sortir de terre. On nous avait promis que l'autoroute Ila serait fonctionnelle lors de ce présent Magal. Il n'en est rien ! La grande réalisation du président Sall demeure à ce jour le pont de l'émergence et le centre international de conférence Abdou Diouf de Diamniadio. Quels sont les grands investisseurs qui ont été attirés par notre pays ? Et qu'en est-il du secteur privé affaibli par la préférence internationale ? Où en est-on avec les 500 mille emplois promis par le candidat du "Yonnu Yokkute" ?
Maintenant il est loisible à Madiambal Diagne de choisir son camp et de se construire le Sénégal de ses rêves. Mais cela ne doit pas le conduire dans un manichéisme subjectif où celui qui remet en cause les performances économiques illusoires du Sénégal devient un simple affabulateur. Dire que les affabulateurs de l'opposition refusent le débat économique, c'est oublier que le leader de Pastef Ousmane Sonko a défié en vain tout le gouvernement du Sénégal dans le cadre d'un débat public.
Si les souffre-douleur sénégalais, pour exprimer métaphoriquement mais moins férocement leur dèche, ont inventé ce verlan railleur "Deuk bi dafa Macky", le président de la République et ses partisans y voient tout au contraire des vertus de bonne gouvernance et d'un mieux-être des finances de l'État. Parler de bonne gouvernance quand les marchés de gré à gré sont devenus la règle dans les procédures de passation de marché, dire que le Sénégal se porte bien au moment où les jeunes grossissent l'armée des chômeurs, c'est rester insensible à ces difficultés qui assaillent bon nombre de Sénégalais.
Le président et ses ouailles de la République vivent-il reclus dans une tour d'ivoire inexpugnable qui les empêcherait de voir les symptômes du mal dont souffre notre pays et d'entendre les plaintes et les complaintes de ses compatriotes écrasés par la cherté de la vie ? Le Sénégal est loin d'être un pays de Cocagne ou d'Eldorado où l'argent coule à flot, où les populations baignent dans la jouissance et la bombance. Les difficultés des Sénégalais ne sont point une vue de l'esprit ni une fiction. Elles sont d'une réalité saisissante. S'il appert que dans la galaxie mackyste où l'on se partage les passe-droits et autres prébendes qu'offrent les positions privilégiées au sommet de l'État, certains oligarques ne sentent pas la souffrance qui tenaille leurs compatriotes, ils ne doivent pas perdre de vue cependant que la misère prend de jour en jour une extension terrible, immense voire fatale depuis que Wade a quitté le pouvoir. Ceux qui jouissent des ors du pouvoir peuvent être atteints de surdité et de cécité au point de ne pas entendre ni voir les cris de souffrance du peuple démuni. Mais qu'ils ne l'empêchent pas au moins d'exprimer et de crier sa souffrance !
Le chef de l'État doit sortir de sa torpeur légendaire et de départir de ses fantasmagories qui lui font prendre systématiquement des vessies pour des lanternes. L'époque de la pierre philosophale est loin derrière nous. En sus, il n'est ni un alchimiste ni Midas pour transformer tout ce qu'il touche en or. Le Sénégal souffre et c'est une réalité indéniable. Ainsi répéter à l'envi à l'instar de feu Kéba Mbaye que ses populations sont fatiguées devient finalement fatigant.
La cote d'amour de ces derniers qui ont voté massivement pour le candidat de Benno Bokk Yaakaar lors de la dernière présidentielle s'est fortement effilochée. Le réveil risque d'être brutal voire fatal pour Macky Sall comme il l'a été avec Abdou Diouf et Abdoulaye Wade qui ne se sont rendu compte de la réelle situation du pays qu'ils dirigeaient respectivement depuis vingt et douze ans que lorsque le pouvoir les a échappés définitivement. La volonté de conserver le pouvoir ne rime pas la politique de l'autruche.
Aussi le président de la République doit-il méditer sur les propos de Fenelon adressés à Louis XIV :
"Vos peuples, Sire, que vous devriez aimer comme vos enfants meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée ; les villes et les campagnes se dépeuplent ; tous les métiers se languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Il est plein d'aigreur et de désespoir. La sédition s'allume peu à peu de toutes parts."