POURQUOI REPONDRE « OUI » A L’APPEL DU CHEF DE L’ETAT POUR UNE CONCERTATION SUR LE PÉTROLE ET LE GAZ ?
EXCLUSIF SENEPLUS - L’enjeu inhérent à ces nouvelles ressources va bien au-delà de la personne du Président en exercice et du gouvernement, puisque l’horizon prévisionnel de leur exploitation est fixé à 25 années à partir d’aujourd’hui
Lors de la cérémonie d’ouverture de la 3ème assemblée générale des Autorités Anticorruption d’Afrique, le Président de la République a « invité la société civile, l’opposition et les forces vives à une large concertation au Sénégal pour la révision des contrats pétroliers et gaziers… pour trouver les moyens de gérer ces ressources dans l’intérêt exclusif des populations sénégalaises ».
Comme nombre de nos concitoyens, j’ai été surpris par le « timing » de cette annonce, qui intervient en pleine période de pré-campagne électorale et au moment où le débat sur cette épineuse question prenait une tournure de plus en plus tendue. Après maintes interrogations et réflexions, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il fallait répondre favorablement à cet appel, et ceci pour les raisons suivantes :
L’enjeu inhérent à ces nouvelles ressources va bien au-delà de la personne du Président en exercice et du gouvernement, puisque l’horizon prévisionnel de leur exploitation est fixé à 25 années à partir d’aujourd’hui. Dès lors, il paraît nécessaire de « dépolitiser » le débat et le poser en termes prospectifs qui dépassent le calendrier électoral immédiat.
A cet égard, la question centrale qui se pose est celle-ci : comment éviter à notre pays la malédiction de ces nouvelles ressources, comme de nombreux Etats, notamment en Afrique, en ont fait l’amère expérience?
On a pu observer que, suite à ces découvertes, l’euphorie et l’emballement pouvaient avoir des effets négatifs sur les économies et les sociétés des pays concernés. Parmi les risques liés à ces matières premières stratégiques, on peut citer les suivants : une spécialisation et une dépendance excessives au détriment d’autres secteurs tels que l’agriculture ou la pêche ; des prévisions idylliques sur la stabilité des prix au risque d’oublier la volatilité propre à ces marchés (à titre d’exemple, depuis le début des années 1970, aucun des grands retournements du marché n’avait été prévu par la majorité des analystes) ; ou encore une fixation uniquement sur les prix de sortie de ces matières premières en oubliant les coûts élevés d’extraction et le degré de sophistication technique requis, souvent hors de portée de nos pays, ce qui conduit à des contrats léonins avec de puissantes compagnies multinationales spécialisées.
A ces risques de court terme, il convient d’ajouter les effets déstabilisateurs potentiels de la concurrence entre exportateurs et les nouvelles formes d’énergie à apparaître dans le contexte des réponses face au changement climatique.
Cette somme de contraintes et de facteurs contradictoires à court et long terme confirme la fragilité du système pétrolier et gazier et rappelle sa forte dimension géopolitique. Ainsi, depuis la crise des années 1970, les relations pétrolières ou gazières internationales constituent une donnée incontournable de la géopolitique, les gouvernements n’exerçant plus une gestion souveraine des prix de ces matières premières.
En outre, tout gouvernement est appelé à faire face à l’attente populaire le plus souvent démesurée compte tenu de la frontière entre réalité et perception. Il importe d’inscrire cette attente dans les trajectoires de croissance du pays, afin de ne pas faire miroiter du « cash money » pour tous et à court terme. Ce qui requiert de la part de l’ensemble des acteurs, tout au long de la chaîne, un discours et une démarche articulés autour de trois axes : soutenir les efforts et investissements dans les secteurs hors pétrole et gaz ; ériger en sur-priorité l’investissement dans le capital humain (éducation, culture et santé notamment) ; et viser une croissance véritablement durable.
La Malaisie et la Norvège sont considérées à cet égard comme des pays-modèles qui ont su établir un lien de causalité puissant entre ressources et institutions politiques nationales, l’objectif étant que la gestion de ces ressources aient un impact positif sur le fonctionnement de l’économie et, au-delà, de la démocratie. La prise en compte équilibrée des enjeux de rentabilité, d’environnement et d’équité sociale s’avère en ce sens être un facteur incontournable.
Cette gouvernance réussie repose sur une implication stratégique des trois acteurs majeurs, à savoir les citoyens propriétaires de la ressource, le gouvernement, acteur principal et gestionnaire de celle-ci, et la compagnie nationale ou étrangère productrice du pétrole et/ou du gaz. Au final, on a abouti, en ce qui concerne les deux pays susmentionnés, à un cercle vertueux à trois comprenant des mécanismes de contrôle de la ressource afin d’anticiper tout risque de surexploitation et d’épuisement ; des contre-pouvoirs effectifs pour contenir toute dérive notamment clientéliste ; et un exercice réel du droit de regard du public et de redevabilité des décideurs politiques.
Enfin, une ultime considération : la dimension sécuritaire résultant de la découverte de ces nouvelles ressources pour le Sénégal. Certes, le pétrole et le gaz sont nôtres, mais leur bassin frôle les frontières maritimes de pays voisins et amis. Or, les Etats n’ayant que des intérêts, il ne faut pas exclure des risques de tension autour de l’exploitation de notre pétrole et de notre gaz.
De surcroît, les « pétrodollars » servant depuis plusieurs années au financement des mouvements armés de toute obédience, il incombe à notre gouvernement de tenir compte de cette dimension sécuritaire de la plus haute importance. « C’est une question de sécurité nationale, voire supranationale ! », comme me le faisait remarquer récemment et avec justesse le jeune dirigeant d’une société pétrolière sénégalaise.
La gestion du pétrole et du gaz soulève donc des enjeux de souveraineté, de sécurité énergétique, de sécurité tout court et de développement économique. Enjeux d’une importance telle qu’ils méritent que nous nous penchions sur la question pour en anticiper les implications immédiates ou à venir.
L’appel à une large concertation, lancé par le Chef de l’Etat en des termes et des circonstances aussi solennels, laisse entrevoir une réelle possibilité de mise à plat de l’ensemble du dossier et, à ce titre, mérite également la considération de tous, en particulier de la classe politique et des acteurs économiques.
Répondre favorablement à cet appel, c’est engager une « politisation » positive du débat qui viserait à aboutir à une géostratégie sénégalaise de l’énergie, axe autour duquel s’ordonneraient des actions spécifiques de politique économique, industrielle, environnementale, étrangère et de sécurité.
Voilà pourquoi j’ai choisi de faire le pari de la confiance et de répondre « oui ! » à l’appel du Chef de l’Etat.
Ousman Blondin Diop est ancien Coordonnateur du Groupe d’Etudes et de Recherches du P.S du Sénégal. Il est actuellement le président de l’Alliance des Forums pour une Autre Afrique (Alfaa).