UN DRAGON À SEPT TÊTES
Une partie de l'opposition politique au régime du Président Macky Sall, regroupée au sein de la coalition électorale Mànkoo Taxawu Senegaal, a organisé une grande marche vendredi dernier à Dakar et dans certaines autres villes du pays. C'était l'occasion pour ces leaders politiques de galvaniser des troupes en vue des prochaines joutes électorales, de dénoncer la gouvernance du Président Macky Sall, sous le prétexte de la demande de libération du maire de Dakar, Khalifa Sall, emprisonné pour prévarication de deniers publics.
Tout le monde peut se satisfaire de la bonne tenue de la manifestation car, il n'y a pas eu de grabuges et la démocratie sénégalaise a retrouvé toute son expression. Il reste que c'est surtout le camp du chef de l'État qui devrait s'en féliciter. Sur ce coup-ci, personne ne leur en voudra d'avoir tenté le moindre ostracisme envers l'opposition. Les responsables de l'Alliance pour la république (Apr), parti présidentiel, ont-ils enfin compris que c'est le contraire qui renforcerait l'opposition et lui trouverait des motifs de mobilisation, et surtout une opportunité pour se serrer les coudes. Pour une fois que l'opposition a été laissée conduire ses actions politiques à sa guise, elle a révélé ses propres contradictions politiques et laissé éclater publiquement ses querelles intestines.
En effet, on a pu observer que rien n'unit les responsables de l'opposition, sinon une simple volonté de faire partir le Président Macky Sall du pouvoir. C'est sans doute un objectif légitime pour toute opposition politique, mais pour faire quoi à la place et installer qui la tête de l'État du Sénégal ? En effet, on a de bonnes raisons d'être sceptique car nul ne saurait songer à un gouvernement collégial à la tête du Sénégal. Tout le monde prétend à être le chef de l'opposition qui se révèle ainsi être une véritable armée mexicaine.
Qu'est-ce qui unit l'opposition à part le rôle de coordinateur circonstanciel de El Hadji Malick Gakou ?
La coalition Mànkoo Taxawu Senegaal fait penser au dragon à sept têtes dans les mythologies grecque, chrétienne, hindoue ou nord-africaine plus proche de chez nous. Un front est constitué, un adversaire en la personne de Macky Sall est identifié. Le gros problème reste dans la démarche. Les têtes autoritaires ou en quête de reconnaissance sont nombreuses, le tournis risque de prendre, à force de vouloir tirer partout et de faire feu de tout bois. Le regroupement de l'opposition ne s'est fait autour d'aucun accord programmatique. Que compte faire l'opposition après avoir obtenu par exemple la majorité aux prochaines élections législatives ? Qui sera chef du gouvernement et pour appliquer quelle politique ou quel programme de gouvernement ?
Dans ce conglomérat d'opposants, on retrouve toutes les orientations ou obédiences politiques, plus diamétralement opposées les unes aux autres. Et jamais l'opposition n'a eu à se réunir pour évoquer un sujet d'intérêt politique ou une méthode de gouvernance. La stratégie semble être de chercher la majorité parlementaire qui donnerait le droit de former un gouvernement et après, on verra ce qu'il y aurait à faire. Une telle perspective devrait inquiéter. L'opposition met ainsi la charrue avant les bœufs.
Dans la bouche de chacune de ses figures de proue, on entend dire : "Chercher à imposer la cohabitation au Président Macky Sall à l'issue des élections législatives du 30 juillet 2017." Mais le plus absurde est que l'opposition n'arrive pas à s'accorder sur les personnes pour incarner sa liste électorale avant même de songer à se partager les postes dans un éventuel gouvernement. Cette situation laisse croire que l'ambition annoncée par l'opposition reste juste un simple slogan qui ne traduirait pas une conviction de pouvoir remporter la majorité aux prochaines élections.
La manifestation de vendredi dernier a été une nouvelle occasion de voir au grand jour les rivalités entre sympathisants de Khalifa Sall et de Karim Wade, tous deux vus par leurs supporters comme des challengers à même de menacer Macky Sall. Ces querelles de chefs sont un exemple, parmi beaucoup d'autres, du défi qui sera de policer les rangs de la coalition Mànkoo Taxawu Senegaal. Des écuries rodées du jeu politique sénégalais comme le Parti démocratique sénégalais (Pds) et le Rewmi de Idrissa Seck, cohabitent avec de nouveaux prétendants à une légitimité populaire comme le Grand Parti de Malick Gakou et une myriade de "partis-Sociétés unipersonnelles à responsabilités limitées", dont la seule légitimité politique reste le nom de leur Secrétaire général.
Sur un autre registre, Idrissa Seck essaie de se faire violence, bien laborieusement, pour pouvoir justifier de constituer un front unitaire avec des partisans de Karim Wade. La haine viscérale réciproque qui caractérise les relations entre les deux hommes est un secret de polichinelle, au point que Idrissa Seck fût le seul responsable politique sénégalais à s'être insurgé, avec véhémence, contre la libération de Karim Wade de prison, à la faveur d'une grâce accordée par le Président Macky Sall.
Ces camps politiques n'ont encore pu être ensemble et arriver à tenir des réunions que grâce aux efforts de rassembleur menés par El Hadji Malick Gakou. La bonne preuve est que le principe énoncé aux premières heures de la formation de cette coalition politique, qui était d'instituer une coordination tournante, n'a pu être mis en application. Par la force des choses, personne n'est acceptable aux yeux des autres pour pouvoir prendre le relais des mains du leader du Grand Parti (Gp).
Le chéquier de Karim Wade lui confère une certaine légitimité
Mieux les investitures en vue des élections législatives seront le moment où Mànkoo Taxawu Senegaal pourra confirmer sa marche ou voler en éclats. L'épineuse question de la tête de liste nationale se posera ainsi que la répartition des quotas de sièges à prendre, apparaissent déjà comme des pommes de discorde. Cette situation a fait songer à demander à l'ancien président de la République, Abdoulaye Wade, de diriger la liste nationale aux élections législatives. Ce schéma a fait sourire car cela démontrerait que les responsables de l'opposition n'ont aucune ambition pour l'avenir du pays et pour leur avenir propre, en restant accrochés aux basques d'un nonagénaire et de surcroît qui avait été chassé du pouvoir, il y a juste cinq ans, pour des dérives monarchiques et une gabegie sans pareille dans l'histoire du Sénégal.
Cheikh Bamba Dièye du Fsd/bj ne semble pas s'y tromper. Un autre schéma suggéré par Abdoulaye Wade lui-même a été d'investir Me Aïssata Tall Sall ou Mme Aïda Mbodji. Me Aïssata Tall Sall vient de se lancer dans une conquête pour chercher sa propre voie en se démarquant de la coalition Mànkoo et travailler à constituer sa propre liste en direction des élections législatives. L'autre proposition autour de la personne de Mme Aïda Mbodji, se heurte aussi bien à l'opposition des partisans de Khalifa Ababacar Sall que de certains autres partis politiques.
Aussi, de nombreuses voix du Pds se sont senties offusquées par un tel choix, car Mme Aïda Mbodji a eu à adopter des positions antagoniques à celles du Pds les derniers mois. Il s'y ajoute que de nombreux autres responsables de l'opposition tentent de chercher leur propre voie. On annonce déjà une coalition en gestation, qui devrait regrouper l'Imam Mbaye Niang, Dr Dialo Diop et Ousmane Sonko, entre autres. Abdoulaye Baldé de l'Union centriste du Sénégal (Ucs) cherche à constituer sa coalition. L'ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, qui lui aussi était aux premières loges des réunions de Mànkoo, se cherche un nouveau cadre pour mieux incarner son action politique.
La tentation du cavalier seul de certains responsables de Mànkoo, pour faire des preuves et engranger davantage de capital politique, est donc bien présente chez certains états-majors de partis. C'est dire, qu'au-delà de la perception d'une unité de façade que l'opinion publique peut avoir de la manifestation pour la libération de Khalifa Sall, le rassemblement de Mànkoo Taxawu Senegaal interpelle sur la façon pour l'opposition de s'y prendre dans son projet de contraindre Macky Sall par la voie des urnes. Il est bien de se dire qu'une force est à disposition, mais ses rangs hétéroclites sont sa propre menace.
Dans la fable "le Dragon à sept têtes et le Dragon à sept queues", la désunion des rangs de l'Europe chrétienne et de ses princes, face à la menace ottomane, est en perspective. Un dragon à sept têtes peine à traverser une haie car chacune de ses têtes chercherait un trou à sa convenance. Partageant le même corps (l'union de circonstance), les têtes de l'opposition ont chacune leur agenda. Il sera intéressant de voir les responsables qui feront passer les intérêts de la coalition avant leur intérêt premier. Karim Wade qui reste en exil au Qatar, peut chercher à faire la pluie et le beau temps au sein de Mànkoo Taxawu Senegaal parce qu'il a encore un chéquier qui pourrait le lui autoriser. Les autres responsables de Mànkoo ont besoin de ses moyens financiers, mais tout le monde sait que le fils de Abdoulaye Wade ne finance que s'il est assuré d'un retour sur investissements. Un véritable jeu de dupes et… puisque personne n'est dupe…
De grâce, que le débat soit sur des idées et des programmes
Une chose qui a l'effet d'épuiser toute personne intéressée par le débat politique au Sénégal, est le glissement de toute confrontation ou contradiction en lutte de personnes. Entre Macky Sall et son opposition, le débat tourne toujours autour des personnes et ne pénètre jamais la réalité de la gouvernance du pays et de la gestion étatique. Il n'y a guère de dépassement pour s'inscrire dans une posture de critique constructive, lucide et sévère sur l'action de gouvernance. Nous l'avons répété plus d'une fois dans ces colonnes, notamment dans une chronique en date du 6 juillet 2015 intitulée : "Qui voudrait parler économie avec Macky Sall ?" Le dénominateur commun des acteurs de la coalition de l'opposition reste un rejet de la personne de Macky Sall.
Il serait temps que les interrogations et interpellations reposent sur les faits de gestion et les actions de gouvernance portées. Les critiques doivent reposer sur le débat réel mais pas une lutte d'adultes aux ego gonflés et ragaillardis par des bases militantes. Le Peuple sénégalais que convoquent tous les acteurs politiques et dont ils cherchent tous "à agir pour son bien", mérite d'eux une élévation. Il semble nécessaire de ramener le débat politique autour des questions économiques et les enjeux de société.
L'opposition cherche à occulter le débat sur les performances économiques annoncées par le gouvernement ou sur des choix diplomatiques ou d'investissements. La politique de l'emploi, des investissements publics, la place de l'école dans la société, le sort des entreprises privées ou de l'opportunité des investissements publics, ne constituent pas une préoccupation pour l'opposition. Et pourtant, ce devrait être l'essentiel !