UNE JUSTICE QUI FAIT PEUR
«Dès qu'on possède la force, on cesse d'invoquer la justice», Gustave Le Bon (médecin, anthropologue, psychologue et sociologue français)
Revoilà l’affaire Barthelémy Dias ! Elle refait surface cinq ans après les faits. Pendant tout ce temps, la famille de Ndiaga Diouf peine à faire son deuil, parce qu’il y a eu meurtre, mais point de coupable. La raison est toute simple. Ce n’est certainement pas parce que le Sénégal n’a pas de magistrats pétris de talent, bien formés, intègres et prêts à accomplir leur mission en leur âme et conscience. Loin de là ! C’est plutôt parce qu’encore une fois, comme c’est le cas dans toutes les affaires impliquant des hommes politiques, et qui finissent par donner du tournis à nos juges, à jeter du discrédit dans leur travail. Entre pressions et menaces, ils peinent à accomplir correctement leur travail.
Rouvrir l’affaire du meurtre de Ndiaga Diouf tué par balle en 2011, n’est que justice. Toutefois, le timing trouble les esprits quant à la énième instrumentalisation de notre justice.
Il y a sans aucun doute une coïncidence troublante. Barthélémy Dias s’est radicalisé dans son opposition au régime de Macky Sall depuis un certain temps. Sa position tranche d’avec celle de la ligne directrice du Parti Socialiste, conduite par son ancien mentor, Ousmane Tanor Dieng, qui plaide pour la poursuite du compagnonnage avec l’Alliance pour la République (APR), alors que Barth, comme l’appellent les intimes, roule pour la conquête du pouvoir par les «Verts», avec une candidature de Khalifa Ababacar Sall lors de la Présidentielle de 2019.
Le maire de Mermoz-Sacré-Cœur était même en première ligne lors de la manifestation de l’opposition (Mankoo Wattu Sénégal), le 14 octobre dernier pour défendre «les libertés» et critiquer la gestion du gouvernement dans un dossier sensible des hydrocarbures.
Serait-il la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? En tout état de cause, on se rappelle encore de la légitime défense brandie par l’ancien opposant, Macky Sall devenu Chef de l’Etat, pour défendre Barthélémy Dias, tout en exigeant, sur les plateaux de télévision, sa libération sans conditions. Tout comme celle de Malick Noël Seck, emprisonné à l’époque à Kédougou pour juste avoir écrit une lettre au Conseil Constitutionnel.
Ousmane Tanor Dieng (OTD) avait embouché la même trompette en mettant l’accent sur le «fait générateur de cette attaque» meurtrière qui avait coûté la vie à Ndiaga Diouf. OTD avait même accusé le PDS et des responsables tapis au Palais. Mais ça, c’était quand Barthlémy Dias était fréquentable.
Pis, alors même que l’affaire était pendante devant la justice, Dias Fils a été inscrit sur la liste proportionnelle pour les Législatives de juin 2012 de la coalition Benno BokkYakaar. Il sera élu député sans que la justice n’ait eu à trancher sur sa culpabilité ou son innocence.
Dans des pays démocratiques, un tel scénario n’est même pas envisageable. Mais au Sénégal, tant que tu plais au Prince, tous les coups sont permis.
Idrissa Seck a été traîné dans la boue avant de bénéficier d’un non lieu total. Macky Sall a été évincé du Perchoir, par la loi Sada Ndiaye, alors qu’il avait bénéficié d’une légitimité populaire.
Les échos des marteaux retentissent encore dans la tête de Talla Sylla. L’agression sauvage et ignoble dont a été victime Aline Tine, alors secrétaire général de la RADDHO, est toujours vivace dans nos mémoires.
Karim Wade a été exilé au Qatar après un procès jugé inéquitable et une instruction tatillonne. Il a bénéficié d’une grâce présidentielle, mais la condamnation figure toujours dans son casier judiciaire, a tenu à préciser Me Sidiki Kaba. Pour ainsi dire que l’horizon politique du candidat du PDS est loin d’être dégagé.
Seulement, tout finit par des petits arrangements sur le dos de la justice et des Sénégalais. Quel fiasco !
Toutefois, il est impensable que l’injustice règne en maître dans ce pays. Des citoyens, les membres de la Société civile, les journalistes, toutes les personnes éprises de paix et de justice devraient se dresser contre l’instrumentalisation de notre justice, contre le bâillonnement d’une quelconque voix discordante. Evitons de jeter un énorme discrédit sur notre justice et notre magistrature. Ce serait porté un sacré coup à la démocratie sénégalaise, tant chantée et jalousée dans un continent où la jeunesse est en quête permanente de liberté.
Personne ne souhaite que la mort de Ndiaga Diouf soit une mort de plus. Mais la justice ne serait être utilisée comme une épée de Damoclès qu’on suspend sur la tête des opposants.
Cette lenteur… choisie, pour intimider certains responsables politiques, repose surtout la question de l’indépendance de la justice. Pis, quand les Parquetiers décident de mettre des affaires sous le coude et activent d’autres contre des empêcheurs de tourner en rond ou des lanceurs d’alerte, il y a des raisons objectives à s’interroger sur la vitalité de notre démocratie. Surtout lorsque la justice, pilier essentiel de la démocratie, peine à jouir pleinement de son indépendance.