«CETTE CRISTALLISATION N’EST PAS SUFFISAMMENT FORTE POUR CHANGER LES RAPPORTS DE FORCE ENTRE MAJORITE ET OPPOSITION»
Pr MOUSSA DIAW SUR CETTE DYNAMIQUE UNITAIRE DE L’OPPOSITION :
De plus en plus, l’on constate une sorte de synergie entre acteurs politiques de l’opposition et/ou ceux de la société civile pour se liguer contre certains actes posés par l’actuel régime. Quid de cette levée de boucliers contre le régime de Macky Sall, venant de ces deux entités ? Quels sont les risques de se retrouver dans des cas similaires auxquels l’ancien régime d’Abdoulaye Wade avait eu à faire face, lors de son second mandat ? Qu’en est-il de la stratégie du chef de l’Etat, Macky Sall, pour déjouer toutes les dynamiques unitaires de ses adversaires ? Telles sont les questions auxquelles ont accepté de répondre les professeurs à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint Louis, notamment le Pr Moussa Diaw, Enseignant-chercheur en science politique, UFR des sciences juridiques et politiques.
Nous avons constaté une levée de boucliers de la part de la société civile et des partis de l’opposition, pour dénoncer la sanction portée contre l’inspecteur des Impôts et domaines, Ousmane Sonko, non moins leader du parti les Pastef. Quelle analyse politique faites-vous de ces différentes réactions ?
En effet, le décret relatif à la radiation de l’inspecteur des impôts et domaines, Ousmane Sonko, a suscité beaucoup de réactions de la part des hommes politiques et des membres de ce qui est communément appelé société civile. Cette décision est diversement appréciée selon les interprétations d’ordre administratif, juridique et politique. Je ne peux me prononcer sur les deux premiers aspects qui ne relèvent pas de mes compétences, même si j’ai un point de vue personnel. En revanche, il me semble que cette dernière dimension a été privilégiée dans le traitement de cette question au regard des attaques politiques de ce leader (responsable du Pastef) contre le Président et sa politique. On peut dire que c’est tout à fait normal que dans une démocratie, un fonctionnaire, puisque c’est admis au Sénégal, puisse manifester publiquement ses prises de position politique. Ailleurs, ce n’est pas acceptable, il serait obligé de faire un choix entre être un fonctionnaire, donc soumis à l’obligation de réserve, et la voie politique où il serait libre d’exprimer ses opinions dans l’espace public. On assiste à un mélange de genre qui pose problème dans la clarification de cette situation.
De plus en plus, nous remarquons que certains actes posés par l’actuel régime, notamment les affaires Ousmane Sonko, Abdoul Mbaye, Nafissatou Ngom Keïta, etc, ou encore des scandales politico-financiers, ont tendance à créer une synergie entre les partis de l’opposition et les acteurs de la société civile, qui se liguent contre le pouvoir. Ne risquons-nous pas de revivre les épisodes qui ont fait chuter l’ancien chef de l’Etat, Abdoulaye Wade ?
S’agissant des personnes citées, les deux premières sont intervenues dans le débat politique en tant qu’acteurs se positionnant dans l’opposition pour remettre en question la gouvernance de la majorité, notamment en insistant sur ses éventuelles dérives. C’est une posture politique qui correspond à la logique démocratique, elle implique le débat d’idées et de controverses politiques. Sur ce plan, il n’y a rien à dire, mais le débat contradictoire ne signifie pas inquisition politique. Les règles du jeu politique doivent être respectées par les deux parties pour que chacune puisse remplir ses fonctions dans cette «vitalité démocratique» souvent évoquée dans le pays ou ailleurs. La troisième personne est dans une position différente, car elle conteste les conditions et la manière dont elle a été limogée par le Président de la République. Concernant les scandales dont vous parlez, je ne dispose d’aucun élément d’appréciation, par conséquent, je ne suis pas en mesure de porter une analyse sur ces questions. Cela dit, je ne pense pas que nous sommes dans le même contexte que celui que vous décrivez sous le règne de l’ancien président Abdoulaye Wade. C’est vrai que les problèmes qui font débat dans l’espace politique créent un rapprochement entre différents acteurs contestant certaines pratiques politiques, mais cette cristallisation n’est pas suffisamment forte pour constituer un front susceptible de changer les rapports de force entre majorité et opposition.
Le président de la République, Macky Sall a d’une certaine manière, réussi à freiner les ambitions de coalition de l’opposition. L’on se rappelle du fameux dialogue social, qui a abouti à la grâce accordée à Karim Wade, avec les accusations de deal entre partis de l’opposition. Pensez-vous qu’il parviendra, cette fois-ci, à déjouer les plans de cette opposition, qui semble prendre la sérieuse option de le combattre, en étant uni ?
Le président de la République a réussi, jusqu’à maintenant, à mettre en place des stratégies machiavéliques lui permettant d’être le maître du jeu politique, à travers des initiatives comme le dialogue national, avec des résultats que vous notez. On ne peut garantir à chaque instant ses prouesses en la matière, mais toujours est-il qu’il dispose des éléments d’analyse de la situation afin de déjouer tous les pièges provenant de l’opposition afin de conserver sa fragmentation. Toutefois, la politique ne se réduit pas à de tels mécanismes. Elle suppose des projets de société, des débats d’idées, des politiques publiques de qualité, c'est-à-dire répondant aux préoccupations des citoyens et des perspectives dans le sens de la création d’emplois pour les jeunes et de la lutte contre la pauvreté.