DE LA POLITIQUE DES COMPTES A CELLE DU CONCRET
CHANGEMENT DE PROGRAMME DE GOUVERNANCE DE MACKY SALL
Le départ de Nafy Ngom Keita de la tête de l’Ofnac et la libération de Karim Wade semblent clore le chapitre de la reddition des comptes qui, jusque-là, a occupé l’agenda politique. toutefois, ces deux événements, conjugués aux nombreuses inaugurations dans la banlieue, présagent un changement de positionnement de Macky Sall. Il apparaît que le locataire du palais veut désormais quitter ce champ de la reddition des comptes, pour s’engager dans la voie des hommes du concret, comme Wade en 2007. a l’approche des législatives de 2017 et de la présidentielle de 2019, Macky Sall veut faire de ses réalisations le socle de son nouveau positionnement dans la sphère politique.
Le timing ne pouvait pas être mieux choisi. Après une semaine marquée par une série d inaugurations dans la banlieue dakaroise, le Président Macky Sall vient d’acter le « limogeage » de Nafi Ngom Keita, présidente de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Son mandat n’a pas été finalement renouvelé à la tête de l’institution. Une décision qui survient à la suite de la libération gracieuse de Karim Wade et de ses co-accusés, condamnés alors pour délit d’enrichissement illicite. Le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade fut exfiltré vers Doha (Qatar) à la suite d’une grâce accordée par Macky Sall. Tout cela présage-t-il un changement de stratégie politique à l’approche de la fin de son mandat ?
L’exercice du pouvoir et de ses réalités change les hommes de pouvoir. Les présidents ne semblent pas y échapper. Macky Sall semble vouloir changer de positionnement dans son mode d’exercice du pouvoir. Après l’épisode de la reddition des comptes qui figurait en bonne place dans les conclusions des Assises nationales et de son programme « Yoonu Yokkute », la mort clinique de la Crei et le remplacement de Nafi Ngom Keita indiquent un nouveau cap. Le chef de l’Etat veut désormais apparaître comme l’homme du concret et des réalisations au profit de la Nation. Donc, exit l’image d’homme de la reddition des comptes qu’il a tenté de mettre en avant durant la première partie de son mandat. Le « Weddi gis bokku ci » (on ne peut pas nier les réalisations) emprunté à Wade sonne le glas de la gouvernance « vertueuse » au profit d’une gouvernance plus efficace.
Les rapports de la Cour des comptes, de l’Ofnac, les marchés de gré à gré sont vite passés sous silence au profit d’un pragmatisme froid qui laisse peu de place à un idéalisme engagé. Les projets d’infrastructures à Dakar, le Pudc, le Puma, la ville nouvelle de Diamniadio, sont les nouveaux piliers d’un programme politique. L’homme du 25 mars 2012 veut désormais apparaître sous les habits d’un bâtisseur. Même si es fidèles s’en défendent, le processus de la traque des biens mal acquis a désormais du plomb dans l’aile. Il semble que Macky Sall a décidé de changer de fusil d’épaule pour apparaître comme l’homme de terrain, loin du jeu politique souvent médiatique et élitiste. « C’est du concret et vérifiable sur le terrain, je veux rassurer à ce sujet les Sénégalais. Ceux qui disent que nous annonçons des milliards invisibles, je pense qu’ils ne sont pas allés à l’intérieur du pays pour savoir si les chantiers avancent ou pas. C’est facile d’être dans son fauteuil et critiquer le pouvoir à travers les médias. En tout cas, pour celui qui dit la vérité, c’est que les engagements sont respectés. Sinon, je ne serais pas ici pour parler de ces milliards», a martelé Macky Sall à l’issue du conseil des ministres délocalisé du 20 juillet dernier. Le principe de base pour un bon politique est d’assurer sa réélection lors du prochain scrutin. Ce changement de cap, pour certains, est surtout motivé par l’agenda judiciaire qui a tendance à s’éterniser. La procédure qui a conduit à l’inculpation de Karim Wade a duré plus de 2 ans. Une affaire qui est loin de connaître son épilogue, puisque Karim Wade en exil à Doha est appelé à comparaitre le 14 novembre prochain, dans l’affaire l’opposant à l’expert comptable Alboury Ndao. Un processus « abstrait », bien loin des préoccupations réelles de la vie quotidienne des Sénégalais. Le tout avec un gain politique incertain.
A l’approche des élections législatives en 2017 et présidentielles en 2019, la perspective d’une réélection hante le sommeil des caciques du pouvoir. Ne dit-on pas que le peuple a tendance à oublier les bienfaits du passé pour se concentrer sur les malheurs du présent ?
A l’heure du bilan, il semble désormais que Macky Sall ne fait plus de la reddition de comptes une des bases de sa politique sur le plan intérieur. L’échéance du Pse, 2035, soit une éternité en politique et les difficultés d’une matérialisation de la croissance de 6,5% sur le terrain poussent le patron de l’Alliance pour la République (Apr) à privilégier les résultats. L’idéalisme de la bonne gouvernance, la traque des biens mal acquis et la reddition des comptes seront bientôt rangés aux oubliettes pour laisser la place à un pragmatisme «froid». Par ailleurs, ce changement de posture ne risque-t-il pas de le couper d’avec les Sénégalais qui l’ont élu avec 65% des voix ? L’ «abandon» de la traque des biens mal acquis ne risque-t-il pas de décrédibiliser les politiques aux yeux de l’opinion ? Le dernier mot reviendra au peuple.