"EN TERMES DE RENIEMENT, MACKY A TROMPÉ LE PEUPLE"
Me Mame Adama Gueye, co-fondateur de la plateforme "Avenir Senegal Bi Nu Beg"
La manière dont le pays est géré ulcère Me Mame Adama Guèye. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, ce dernier fait un violent réquisitoire contre le régime. "En termes de reniement, Macky Sall a trompé le peuple", assène l'ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats, qui ne manque pas d'expliciter le sens de son engagement dans la Plateforme "Avenir Senegaal bi ñu bëg", dont il est l'une des figures de proue.
De militant de la société civile à acteur politique. Pouvez-vous nous expliquer cette mutation ?
Je suis avocat d'affaires, et je suis fier de dire que je suis avocat, parce que je l'ai exercé sans discontinuité depuis 1982, malgré mes activités publiques. Je ne suis pas là à raconter des histoires, parce c'est à partir de 1992, qu'on a commencé à parler de la société civile, comme on en parle dans la configuration actuelle. Ça a été le point de départ de la revendication d'une identité de la société civile. C'est une étiquette qu'ils m'ont collée à la peau et que j'accepte. Mais, il y a eu une évolution extrêmement importante, parce qu'après avoir initié cette dynamique d'action citoyenne, dans le cadre d'une revendication identique à la société civile, nous avons agi dans ce cadre pendant de longues années. Et c'est le lieu de rappeler que dans ce cadre-là, avec d'autres acteurs, nous avons apporté une très grande contribution à l'évolution démocratique du pays. Nous avons apporté une grande contribution à la naissance de la conscience citoyenne. Ce n'était pas acquis à l'époque. Nous avons également contribué l'acceptation de l'État de son obligation de rendre compte. C'était des concepts qui, à l'époque, n'étaient pas de mise. Nous avons agi dans ce cadre pendant très longtemps. Avec la création du Forum civil, on a gagné le combat de la reconnaissance, parce qu'aucun homme politique n'avait accepté notre présence dans l'espace public. Nous avons dit : "Nous sommes une association de la société civile et nous revendiquons le droit de nous intéresser à toutes les questions d'intérêt national". Et ça a perturbé le champ public. Certains acteurs nous ont voué aux gémonies. Un jour, on nous avait invités dans une rencontre. Quand nous sommes arrivés, un ami nous a caractérisés de cache-sexe, pour dire à quel point c'était virulent à l'époque, parce qu'on avait perturbé un ordonnancement. C'est cette société civile qui, en 1999, est intervenue pour rendre possible la transition de 2000.
Pouvez-vous être plus explicite ?
C'est la société civile qui a fait la démarche d'intercession. Ensuite, en tant que société civile, nous nous sommes impliqués dans les Assises nationales. En 2012, on a été partie prenante. Souvent, on dit la société civile devait être neutre. C'est trop facile. Il y a des moments, quand des principes fondamentaux sont en jeu, il faut choisir. Quand Abdoulaye Wade a voulu changer les jeux des élections pour préparer la succession par son fils, nous avons dit : "Non". Et ça, on l'a choisi. On a créé les conditions de la défaite d'Abdoulaye Wade. Nous avons essayé d'empêcher Abdoulaye Wade de se présenter. Nous n'avons pas réussi. Il est au deuxième tour. Notre dernière arme s'appelle Macky Sall. Il faut qu'on le soutienne sans état d'âme. Un consensus a été retrouvé. Mais, qu'est-ce qui s'est passé après ? Toutes les raisons qui nous ont poussés à nous engager, les principes fondamentaux pour une bonne démocratie, le renforcement de la démocratie pour un État de droit, mais on s'est rendu compte qu'aucune rupture annoncée n'a eu lieu. C'est là qu'on s'est dit : "On ne va pas passer notre vie à nous battre à créer les conditions pour les changements politiques, et que les ruptures attendues ne se passent pas". On a l'impression que certains acteurs se sont servis de nous pour passer, et une fois au pouvoir, ils font ce qu'ils veulent, au détriment de la population. C'est là que, nous, d'anciens membres de la société civile, membres du M23, nous avons dit qu'il faut qu'on change d'approche. C'est ce qui a amené la création de la Plateforme "Avenir bi ñu bëg" qui est une plateforme politique. Et là, je suis très clair. C'est une dynamique politique. Pour certains, c'est un Opni (Objet politique non identifié). Nous avons décidé de ne pas faire de parti politique, parce que nous voulons une dynamique ouverte.
Y a-t-il d'autres raisons qui vous ont motivé ?
Le fait qu'il n'y ait pas de rupture, la déception de la population, la non-prise en charge des revendications des populations, l'affaiblissement de notre démocratie, les attaques contre l'État de droit. Nous avons dit : "Stop, il faut que nous impliquions comme des acteurs politiques". C'est ce qui a amené la Plateforme "Senegaal bi ñu bëg". Et cette plateforme est un cadre ouvert. Parce qu'aujourd'hui, la majorité silencieuse de ce pays est déçue du système politique. Je ne parle pas du pouvoir, mais du système, parce que ce que nous combattons, c'est un système. C'est tous les acteurs du système, que ce soit au pouvoir ou à l'opposition. Parce que ce sont des convergences entre ces hommes dans ce groupe. Depuis 1960, on nous gouverne de cette manière, et on a vu le résultat que ça donne. Nous sommes dans un pays où c'est par la politique que les gens assurent leur promotion sociale, où il y a une gangrène qui s'appelle clientélisme politique qui fait que ce pays est pillé par les gens qui sont au pouvoir. Et ça se passe à tour de rôle. Il y a une convergence d'intérêts. C'est cela que "Avenir Senegaal bi ñu bëg" veut combattre. Nous nous positionnons comme une dynamique pour créer une alternative, mais face au système politique. Parce que c'est la culture politique qu'il faut changer pour créer les vraies ruptures. Que les gens comprennent que je suis politique dans un cadre qui est "Avenir Senegaal bi ñu bëg" qui est une plateforme.
Mais, cet engagement dont vous faites état, aujourd'hui, ne confirme-t-elle pas la thèse de Me Abdoulaye Wade qui vous taxait de politiciens déguisés ?
Vous faites bien de poser cette question.
En 2007, je me suis présenté aux élections. Comment on peut se présenter aux élections en étant un politicien déguisé ? Quand on a créé le Forum, on a été clair. Le manifeste du Forum civil est fondé sur le fait qu'il faut reconnaître le droit aux citoyens de recourir à tout ce que la Constitution permet. C'est la Constitution qui définit les conditions de participation à la vie politique, et nous avons revendiqué dans le manifeste du Forum civil le doit des indépendants de se présenter dans les mêmes conditions que les politiques. C'est une revendication claire. Nous ne nous sommes jamais cachés. Qu'on ne nous accuse pas d'avancer masqués. Là, nous sommes clairs : nous ne sommes plus des acteurs de la société civile, nous sommes des acteurs politiques. Nous avons créé une plateforme politique, et notre ambition, c'est d'aller au pouvoir pour créer les ruptures salvatrices. C'est net, clair et précis.
Partagez-vous l'avis de ceux qui considèrent que Macky Sall fait du Wade sans Wade ?
Absolument ! Aujourd'hui, c'est ce qui explique le fait que nous sommes présents dans le champ politique. Le Président Macky Sall s'est renié sur les principes fondamentaux et met en place la même politique que sous Wade. Le clanisme, le népotisme, le clientélisme politique, la corruption. D'abord, en termes de reniement, gouvernance sobre et vertueuse, gouvernement de 25 membres, combien on en a dans le gouvernement ? On ne sait même plus. On a 40 officiels, plus tous les ministres-conseillers, et ceux qu'on cache. Des projets faramineux. Centre de conférence à 40 milliards. Abdoulaye Wade avait ses hommes d'affaires à qui on donnait des marchés dans des conditions iniques, Macky Sall a ses hommes d'affaires. Certains même des hommes d'affaires de Me Abdoulaye Wade ont été recyclés sous Macky Sall. On leur donne des marches colossaux. Le marché du building administratif, le marché de l'université Amadou Makhtar Mbow, dans des conditions opaques. Il y a aussi le clientélisme politique. Aujourd'hui, le sésame pour avoir une responsabilité, c'est la carte de l'Apr. Allez voir toutes les administrations et toutes les agences, je suis sûr, qu'à 95%, sinon plus, ils sont tous des militants de l'Apr. Est-ce qu'ils sont plus éduqués que nous ? Est-ce qu'ils sont plus compétents que les jeunes sénégalais qui sont diplômés des plus grandes universités? Non ! Ils ont juste pris le raccourci consistant à aller faire le militantisme alimentaire et intéressé et obtenir ces responsabilités. Ce que nous récusons. Le jour où nous aurons les rênes de ce pays, nous ferons une révolution.
En quoi consistera cette opération ?
La révolution consistera à généraliser les appels à candidatures. Plus personne n'accédera à des responsabilités pour des raisons liées au clientélisme politique, parce qu'on a la carte du parti. Ce qui sera produit, c'est l'intégrité à la compétence, l'appel à candidatures. Des pays proches de nous, nous donnent l'exemple. La Côte d'ivoire a sélectionné son directeur des impôts et domaines par appel à candidatures. Comme ça, le Président exercera son pouvoir de nomination dans un cadre prédéfini. Qu'il mette en avant l'intégrité et la compétence, parce que tous les Sénégalais doivent être à équidistance des opportunités. On ne doit pas avoir des responsabilités, parce qu'on est l'ami du Président, parce qu'on est proche de la famille. Une autre chose que reproduit le Président Macky Sall, c'est le népotisme. Pourquoi subitement, parce que le Président Macky Sall est élu Président, que son beau-frère devient homme d'affaires, son frère devient homme d'affaires ? Aliou Sall est un cas, il faut en parler. Pourquoi, du jour au lendemain, un monsieur qui est journaliste de formation qui, subitement, devient un super homme d'affaires ? Moi, je suis un avocat d'affaires, et je sais comment on entre dans les affaires. Savez-vous si Aliou Sall a été dans une école pour se former au métier du pétrole ou du gaz ? Est-ce qu'il a fait une formation dans le métier de l'aviation ? Quelle école de management il a fait dans ce pays. Et subitement, il est au cœur d'énormes business. Il faut se poser la question.
On vous pose la question...
Ce n'est pas parce qu'il a l'expérience, ce n'est pas parce qu'il a les capitaux. Lui-même a dit qu'il n'a pas d'argent. Il ne reste qu'un point : c'est parce qu'il est le frère du Président. Vous croyez que les hommes d'affaires ne sont pas des hommes de cœur. Ils ne vont pas le nommer à des positions comme ça. C'est parce qu'ils attendent quelque chose, et c'est ça leur problème. Je ne sais pas s'il a volé ceci ou pas. Je ne l'accuse de rien, mais il faut qu'il ait une position privilégiée, parce que, simplement, il est le frère du Président. C'est ça qui est inacceptable.
On entend dire qu'il a connu ces gens, quand il était à l'ambassade de Chine. Dans tous les pays démocratiques, il y a une règle. Un fonctionnaire, qui entretient des relations avec des personnes pendant qu'il était en service, les textes l'interdisent dans beaucoup de pays, une fois qu'il est sorti de la Fonction publique, d'entrer en service avec ces gens. C'est un principe qu'on doit appliquer, même si ce n'est pas écrit. C'est une question de principe. Dans les réformes à faire, il faut qu'on introduise cette règle dans le statut de la Fonction publique. Quand vous avez connu des gens pendant que vous êtes fonctionnaire, vous n'avez pas le droit, pendant une période de 3 ou 5 ans, une période déterminée, de monter des affaires avec ces personnes. C'est comme si on n'avait pas changé de régime. C'est ce qui explique notre engagement. En termes de reniement, le Président Macky Sall a trompé le peuple.
Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
Il s'est fait élire en disant : "Je vais réduire mon mandat". C'est très grave. Il faut qu'on le rappelle encore, même si on a eu des réformes qui sont passées par là. C'est un reniement que rien n'efface dans la mémoire collective de ce pays, et ça le disqualifie définitivement du point de vue moral, du point de vue de la légitimité morale. Et on ne peut diriger ce pays sans cette légitimité morale. Je tiens à le rappeler, même si le référendum est passé. Le reniement se poursuit, parce que, qu'est-ce qu'il avait promis dans le cadre de ce référendum ? "Je vais renforcer l'Etat, je vais consolider la démocratie". Tous les actes posés postérieurement à ça, vont dans le sens contraire. Nafi Ngom Keïta, c'est renforcer la démocratie et consolider l'Etat de droit ? Sonko, c'est renforcer la démocratie et consolider l'Etat de droit ? Ainsi de suite. On a fait tout un tintamarre sur le dialogue national. Où est le dialogue national, qui était juste un moyen de faire accepter par la population le deal consistant à libérer Karim Wade ? Ça, il faut que les Sénégalais ne l'oublient pas. Il faut que les gens s'en rappellent, parce qu'aujourd'hui, l'obsession de Macky Sall, c'est d'être réélu. Nous tâchons à le rappeler aux Sénégalais, parce que ce pays mérite d'être mieux dirigé. Et il y a des facteurs rédhibitoires qui font que certaines personnes, qui ont commis certains actes, n'ont pas de légitimité pour diriger un grand pays. Le Sénégal mérite mieux que ça.
Que prônez-vous pour mettre fin à l'ingérence des familles présidentielles dans les affaires publiques ?
Refonder la République. On parle de la refondation de la République. C'est pour ça que, notre référence, c'est les Assises nationales. Le rapport de la Commission nationale de réforme des institutions préconise une réforme en profondeur. Il faut revoir les pouvoirs exorbitants du président de la République. Créer les conditions pour que le Président ait des pouvoirs qui sont en équilibre par rapport aux autres pouvoirs. La rigueur dans les marchés publics. Parce qu'aujourd'hui, il y a des mutations sur lesquelles les gens n'ont pas fait attention. Aujourd'hui, les marchés publics sont minés par les demandes de renseignement de prix. Le Président a élevé le seuil. Ce qui fait qu'aujourd'hui, pour un marché important, il faut faire la demande de renseignement de prix. Interrogez les hommes d'affaires. Qu'est-ce qui se passe ? Un Dage d'un ministère vous appelle et vous dit : "Faites-moi une offre". Et c'est au même homme d'affaires que le Dage va dire : "Allez me chercher deux autres factures pour que j'en ai trois. Mais, faites en sorte que les factures soient supérieures à votre offre". Et ce sont ces deals qui se passent tous les jours. Il n'y a rien de transparent. Et en même temps on dit aux jeunes : "On va vous aider à vous insérer". Dans les conditions actuelles, aucun jeune ne pourra s'insérer harmonieusement dans le système.
A votre avis, la corruption a-t-elle perdu de l'ampleur ?
Absolument pas. La corruption n'a pas perdu de l'ampleur. Elle est omniprésente. Tout le monde le sait. Combien vont en confiance vers le service public ? Avant d'y aller, ils demandent toujours : est-ce que vous avez des connaissances dans ce service pour avoir un coup de main pour accéder au droit légitime qu'ils ont, en tant que citoyens. C'est un dysfonctionnement majeur. Parce que, quand on parle de démocratie, elle n'est pas seulement politique. La démocratie est une question qui se pose au quotidien.
Quand vous prenez l'exemple de Sonko, c'est vrai que c'est spectaculaire, mais la violation des droits des citoyens se passe tous les jours. Tous les Sénégalais, tous les jours, voient leurs droits violés. C'est cette démocratie au quotidien pour laquelle il faut se battre. Que le Sénégalais puisse être dans un rapport de confiance avec son Etat, avec les services publics. Et ce n'est pas le cas aujourd'hui. Tant qu'on n'arrivera pas à ça, on aura les signes apparents d'une République. Mais, on n'est pas une République.
Que vous inspire le Haut conseil des collectivités territoriales ?
C'est un non-événement pour nous. Le Hcct est une affaire de microcosme politique. Qu'est-ce que ça apporte aux citoyens sénégalais. Rien. C'est un enjeu purement politicien. C'est pour ça que cela ne nous intéresse pas outre mesure. C'est une institution qui augmente l'embouteillage institutionnel et qui est budgétivore. Et là encore, c'est un reniement. Le Président Macky Sall avait supprimé le Sénat, parce qu'on avait un problème de ressources. Les problèmes de ressources existent toujours, mais il nous ramène le Hcct. Et ce qui choquant, gravissime, dans une démocratie, c'est qu'un Président nomme des membres d'une institution. C'est une manière de trouver du job à des politiques.
Et le débat sur la nationalité ?
La loi, telle qu'elle existe, ne pose aucun problème. Ce qui est choquant et inadmissible, c'est que l'Apr a profité des discussions sur les collectivités locales pour demander un changement qui est inadmissible. Un changement de loi de circonstance qui procède de la volonté d'instrumentaliser les lois au service de leur parti. C'est inacceptable, et nous le condamnons. De l'autre côté, il y a une dérive. Certains, pour des intérêts inavoués, ont semblé dire : "On était en train de stigmatiser les Sénégalais qui ont la double nationalité, il faut limiter le débat". Il n'est pas question de ça. Aujourd'hui, la position de la plateforme, c'est que la loi est là, il faut l'appliquer dans toute sa rigueur et assurer les conditions de son effectivité. Il faut qu'on donne des moyens au Conseil constitutionnel pour qu'il mène les investigations afin que ce texte soit effectif. Voilà notre position. J'ajouterai quelque chose. Il y a tout un tollé sur l'exclusion qui procéderait de ce débat. Mais, il y a une exclusion que tout l'espace politique, que toute la presse, a toléré pendant 20 ans, c'est l'exclusion des indépendants pour les élections locales. Nous revendiquons ça depuis 1996. Il a fallu 20 ans de combat pour que ça change. Personne n'a dénoncé ça, sauf que nous qui étions au combat. Je critique cette conspiration du silence avec les politiques, les intellectuels, même la presse. Aujourd'hui, on en fait débat, parce que ça concerne des personnalités remarquables. Mais, quand on est obligé de mener un combat de 20 ans, ça aussi, c'est une exclusion. Et le combat n'est pas fini par rapport à cette question des indépendants, parce qu'en même temps qu'ils proposaient la réforme sur la nationalité, l'Apr a posé la condition discriminatoire par rapport aux indépendants. Nous restons vigilants. Nous invitons tous les démocrates aussi, au moment opportun, à défendre les principes par rapport à la question de la participation des indépendants.
Parlons maintenant de la magistrature, pour aborder la question de l'indépendance de la justice. Liberté de la justice, liberté de la magistrature, liberté des magistrats, laquelle des formules devrait-on adopter ?
Le problème de la justice, il ne faut pas qu'on ait une approche réductrice. La liberté de la justice mentionne les problèmes péremptoires de la justice. "Avenir Senegaal bi ñu bëg" s'est engagé pour des assises de la justice, et le président de la République a donné son accord. Cela devait être fait depuis le mois d'avril, et ce n'est pas encore fait. Il faut qu'on prenne des raccourcis. Il faut mettre sur la table l'ensemble des problèmes concernant la justice. C'est pourquoi nous encourageons le président de la République à tenir les assises de la justice, mais en impliquant l'ensemble des parties prenantes.
La justice, ce n'est pas seulement l'affaire de l'État et des magistrats. Elle concerne toutes les parties prenantes. C'est l'État, la société civile, le secteur privé, parce que la justice a un rôle fondamental dans la société. La justice a une mutation fondamentale. La justice, dans sa dimension originelle, a fonctionné comme un attribut. Mais, depuis le temps, la société a connu de grosses mutations, sans qu'on ait modifié la dimension originelle de la justice. Il y a une distorsion. La justice fonctionne encore sous sa dimension originelle, alors que la société a connu de grandes mutations. On lui demande d'intervenir sur la question des droits de l'homme, sur les questions économiques. Mais, la dimension originelle, la vision originelle de la justice, n'a pas changé. Donc, ce cadre de discussion des assises pourrait être l'opportunité de revisiter la vision de la justice pour qu'on est une vision partagée par l'ensemble des parties prenantes et que la justice fonctionne sur la base de cette vision. Donc, elle va s'ajuster à la société, ce qui n'est pas le cas, aujourd'hui. C'est des questions très sérieuses, mais qu'il faut aborder de façon holistique.
Mais, est-ce que l'indépendance de la justice va arranger les régimes hyper présidentiels que nous connaissons ?
Tous les régimes ont eu tendance à vouloir caporaliser la justice. C'est aux acteurs de la justice de vouloir leur indépendance, même si, à leur décharge, structurellement, les choses sont organisées pour limiter leur indépendance. Je donne un exemple. Aujourd'hui, la question qui est posée sur la table, c'est la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Mais, je ne souscris pas à l'idée qu'il faut juste sortir le président de la République. Non ! C'est plus profond que ça. Je dis juste que la configuration du Conseil supérieur de la magistrature, son mode de gouvernance, pourrait être une entrave. Le fait que la justice n'ait pas d'autonomie financière, à l'exception de la Cour suprême, est une entrave. Certains principes, comme le principe de nécessité de service, permet de violer la règle de l'inamovibilité de la justice, crée des précarités. Voilà des éléments qui montrent que, structurellement, les conditions ne sont pas de mise pour faciliter l'indépendance de la justice. Cela ne veut pas dire qu'un magistrat, qui tient à ses principes, ne peut pas être indépendant. Il y a une réforme en profondeur à faire pour faciliter cette indépendance. Faire en sorte que l'Exécutif n'ait pas de prédominance sur la justice, que l'Exécutif ne dispose pas de moyens de mettre la pression sur la justice.
Pour finir, quel commentaire faites-vous du taux de croissance de 6,5% annoncé ?
La première chose à faire, c'est la fiabilité des chiffres. Il y a un mois, il y a eu une divergence entre l'Ansd et le ministère des Finances. Et qu'est ce qui s'est passé ? On a révoqué le directeur. Et d'après les informations que j'ai, le directeur actuel est un proche du ministre des Finances. Ces chiffres, il faut les discuter, quand on aura la garantie des chiffres. Les institutions de mesures économiques doivent être totalement indépendantes. C'est ça la base. Aujourd'hui, j'ai des doutes sur la fiabilité des chiffres, compte tenu des conditions dans lesquelles les chiffres sont produits, même si le Fmi ou la Banque mondiale le disent. Parce que le Fmi ne se repose que sur les chiffres qu'on lui donne. En dehors de ça, le taux de croissance n'est pas une donnée sur la base de laquelle on peut prétendre que tout va bien. C'est un indicateur. Et il faut l'analyser. Qu'est-ce qui porte la croissance ? Est-ce que c'est quelque chose qui est interne ou est-ce que c'est extraverti ? Il y a une analyse fine à faire de la croissance, voir quels sont les secteurs porteurs de la croissance, et où vont les fruits des résultats de ces secteurs. Et un élément que tous les économistes acceptent, c'est que la croissance n'a de sens que quand c'est une croissance d'un certain niveau et soutenu sur plusieurs années. C'est là que c'est significatif, mais pas sur une ou deux années.