LES CONFESSIONS DE SON AMI YOUSSOU DIALLO, PCA DE LA SUNEOR
MORT DE SALIF DIALLO, PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE BURKINABE
Youssou Diallo, président du Conseil d’Administration de la Suneor, était un grand ami du défunt Salif Diallo président de l’Assemblée nationale burkinabé avec qui, il a partagé les couloirs de la faculté des sciences juridiques et économiques de l’Université de Dakar. L’ancien membre du comité exécutif de l’Union nationale patriotique des étudiants sénégalais (Unapes) est revenu sur les relations très fortes qui l’unis - saient à Salif Diallo. Des liens affectifs qui remontent à plus de trente ans. Par ailleurs, il est aussi revenu sur les différents épisodes qui ont marqué la vie de cet ancien sherpa du régime de Compaoré, tombé en disgrâce et qui avait rejoint les rangs de l’opposition. Le vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès (Mpp) participe à la chute de Blaise Compaoré. Il a salué au passage un militant de gauche convaincu et un homme généreux qui n’a jamais renié ses convictions malgré l’exercice du pouvoir. Entretien.
UN VIEUX COMPAGNON DE LUTTE A L’UNIVERSITE DE DAKAR
«J’ai appris sa mort à travers mon épouse qui a entendu l’information sur Rfi. C’est un sentiment de tristesse et de grand vide qui m’animent depuis sa disparition. C’était un ami que j’ai connu dans le cadre du mouvement estudiantin au début des années 80. Il faisait partie des étudiants exclus de la Haute Volta (Ndlr : ex-nom du Burkina Faso) pour cause d’activités politico-syndicales. Salif Diallo était un membre de l’Association des scolaires voltaïques (Asv)/Union Générale des étudiants voltaïques (Ugev) alors que j’étais membre du comité exécutif de l’Union nationale patriotique des étudiants sénégalais (Unapes). Sur le plan politique, il était un membre du Parti communiste révolutionnaire voltaïque(Pcrv)) qui était dans la clandestinité. Tandis que moi, j’étais un membre de la gauche maoïste dont la face visible était And/ Jef. On entretenait des relations sur le plan politique et syndical. Salif Diallo se réclamait aussi de la même obédience politique que nous. Nous étions très liés dans la mesure où on partageait la même Faculté des sciences juridiques et économiques. Lui faisait droit alors que moi je suivais une formation en économie. On a pratiquement le même âge. Salif Diallo est né en 1957 et moi l’année suivante. De ce fait, on va décrocher le diplôme de maitrise la même année en 1985. Lui en Sciences juridiques et moi en Sciences économiques. Quand nous étions à l’Ucad, il venait boire le thé dans ma chambre au 110 pavillon D après le déjeuner. On passait de très long moments de discussion sur des questions diverses liées à l’Université, à la politique et au syndicalisme. On était très liés, tellement liés que certaines personnes pensaient qu’on était des frères dans la mesure où on portait le même patronyme. Nous avons continué à garder des liens très forts même quand il a décidé de rentrer chez lui. Quand je me déplaçais en mission au Burkina Faso pour le compte du Bureau International de Travail (Bit), au début des années 90, je me rendais fréquemment au pays des Hommes intègres. J’ai été toujours bien accueilli. Et Salif Diallo, alors ministre Secrétaire général de la Présidence m’envoyait souvent une escorte militaire qui me conduisait jusque chez lui. Je résidais alors dans sa propre famille le long de mon séjour au Burkina Faso. Au besoin, il mettait même une voiture et un garde du corps à ma disposition pour faciliter mes déplacements. »
LE MILITANT DE GAUCHE AU COEUR DE LA GRANDE GREVE DE 1984
«On était ensemble dans le comité de concertation et le comité de lutte de la grève de 1984. Dans le comité de concertation, vous aviez des regroupements des unions nationales par pays et l’ensemble des amicales de faculté. Vous avez l’Unapes proche d’And/Jëf, Uded de la Ld et l’Unds du Pit pour le Sénégal ; nous avions Asv/Ugev et le mouvement M 21 pour le Burkina ; vous aviez aussi l’Union des scolaires nigériens dirigée par Mouhamed Bazoum, actuel ministre de l’Intérieur du Niger. Il est devenu lui aussi le sherpa du régime de Mouhamadou Issoufou dont il dirige le parti. Il y avait aussi Babacar Ndao qui était très lié à Salif. Il a participé à toutes les luttes durant cette période. Salif a aussi participé aux différentes luttes au sein de l’Amicale de la faculté des sciences juridiques et économiques. C’était un grand ami du Sénégal ».
EMINENCE GRISE DE BLAISE COMPAORE
«C’était l’éminence grise de Blaise Compaoré. Vous savez que la révolution conduite par Thomas Sankara a éclaté en octobre 1984 alors que Salif Diallo était étudiant à Dakar. Il est rentré en 1985. Salif n’était pas du même camp que Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Le M21 né d’une scission du Pcrv et qui se réclamait du leader communiste albanais Enver Hodja (Hodjaïste) saluait ce coup de force de Thomas Sankara. Ils parlaient d’un coup d’Etat révolutionnaire et d’insurrection populaire. Tandis que la direction de l’Asv/Ugev, proche du Pcrv le qualifiait de coup d’Etat réactionnaire et de putsch. Donc, quand il quittait Dakar en 1985, il était d’un camp opposé aux leaders de la révolution. Il estimait que les militaires avaient pris le pouvoir sur la base d’un complot. Mais entre temps de l’eau a coulé sous les ponts. De ce fait, le Pcrv va revoir ses positions en fin d’année 1986. Une partie de cette formation politique va rallier la révolution. Salif Diallo militant dans l’âme et compte tenu de ses compétences avait un profil intéressant pour les militaires aux commandes. Il va être copté dans le cénacle restreint de l’Organisation de la démocratie populaire (Odp) et dans les arcanes de l’Etat. Il va ainsi gravir les échelons jusqu’à la fonction de Secrétaire général de la Présidence de la République. Salif était un idéologue mais surtout un pragmatique dans le sens d’un véritable homme de pouvoir. Et quand la lutte pour le pouvoir était en jeu, il n’avait aucun état d’âme. Il va de ce fait traverser la scène politique de 1986 à 2017 soit 31 années. Il était un véritable sherpa au Burkina Faso et tout tournait autour de lui. Les choses se faisaient ou se défaisaient au Burkina pour ou contre Salif Diallo.»
MORT DE THOMAS SANKARA
«Il y a eu une lutte de factions et de lignes pour le contrôle du pouvoir burkinabé en 1987. Des intellectuels burkinabè soutiennent que c’est Salif Diallo qui a conçu le plan pour liquider le chef de la révolution, Thomas Sankara. Car d’après eux, il va être promu Secrétaire général de la Présidence au lendemain de l’assassinat de Thomas Sankara en octobre 1987. Quand je l’ai interpelé sur cette question, il m’a expliqué que c’était une lutte de lignes pour le contrôle du pouvoir. Il me disait également que c’était eux ou nous et qu’en fin de compte une des lignes devait disparaitre. Dans ce combat, toute tergiversation ou hésitation pouvait les condamner à la mort.»
DISGRACE DE L’ANCIEN HOMME FORT DU REGIME EN 2008
«La question de la dévolution monarchique du pouvoir fut l’un des facteurs déclencheurs. En effet, Blaise Compaoré projetait de faire de son frère son dauphin. C’est la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Salif Diallo en sa qualité de stratège et de politologue du régime a pu constater ces dérives. C’est à ce moment qu’il a pris ses distances avec Blaise Compaoré et rejoint l’opposition. Je crois que cela a précipité la chute de Blaise Compaoré.»
UN HOMME DE RESEAUX, FRANC-MAÇON ET ATHEE?
«Je sais que c’était un communiste. Je ne saurais dire qu’il était athée. Il m’est arrivé plusieurs fois de prier et de lire le Coran chez lui. Je sais aussi qu’il s’appelle Salifou Diallo et qu’il a été baptisé dans la foi musulmane. Le Prophète (Psl) nous interdit de rapporter des choses dont on n’est pas sûr sur un défunt. C’était un musulman et il n’a jamais dit qu’il ne l’était plus. Etait-il aussi franc-maçon ? Je ne saurais le dire. Par ailleurs, je peux dire aussi qu’il était extrêmement influent dans les réseaux. Et il était particulièrement lié au défunt ministre de l’Intérieur français Charles Pasqua. Quand j’étais à Ouahigouya, il était même venu me voir en compagnie de l’ancien sénateur des Hautes Seines, feu Charles Pasqua. C’était un élément essentiel dans le dispositif de la Françafrique. Et la manière dont il a résisté à Blaise Compaoré a démontré son degré d’implication dans ces réseaux proches des Occidentaux. Quand Mouamar Kadhafi a renforcé ses positions économiques et financières au Burkina Faso, des proches de Compaoré ont pensé qu’il pouvait se passer du monde occidental et de Salif Diallo. Il va y avoir un basculement en faveur de la Libye. Je pense que ce fut l’une des erreurs de Blaise qui sera balayé par la révolution d’Octobre 2014. Les bases de l’actuel régime ne sont pas encore solides. Les éléments des forces de sécurité et de défense sont peu favorables à l’actuel régime. Je crois qu’il serait bien que le nouveau régime trouve un autre Salif Diallo. Un grand pilier du régime burkinabé est tombé.»
HERITAGE DE SALIF DIALLO
«Je le savais très malade. Il avait déjà subi un grave accident vasculaire cérébral (Avc) qui l’avait littéralement terrassé en 2005. Il m’avait confié que n’eut été le professionnalisme des médecins Taïwanais, il serait décédé. Il avait subi une lourde opération dans l’île rebelle où il a passé huit mois. Et vu ses difficultés avec l’ancien Président, je me disais qu’il risquait une rechute. Il faisait la même taille que moi. Il était d’un tempérament calme mais quand il se battait il était bouillant ; quand il s’engageait aussi dans un combat, il y allait jusqu’au bout. Il me répétait : Yousouf, il faut combattre les réactionnaires et les révisionnistes sans concession.» Il pouvait être un fin tacticien mais quand il débattait il ne se contrôlait plus. Il allait jusqu’au bout de ses idées. Salif Diallo était un homme généreux, humble, simple et désintéressé. Salif n’a pas changé. Il a été un militant jusqu’au bout. C’était un homme de convictions car en s’opposant à Blaise Compaoré, on risquait sa vie. Salif est un exemple pour la jeunesse africaine et burkinabè.»