«ON NE PEUT PAS GOUVERNER AVEC DES SLOGANS»
NDEYE FATOU DIOP BLONDIN, ANCIEN MINISTRE
Ancien ministre des télécommunications sous Wade puis président du collège de l’Artp, Ndèye Fatou Ndiaye épouse Diop n’avait jamais répondu aux sirènes de la politique. mais l’envie de changer la manière de voir et de faire la politique et le désir de mettre un terme à l’immobilisme qui caractérise nos états, l’amènent à plonger dans la mare politique avec la plateforme Sénégal Bugnu Beug. consciente qu’il faut un leadership collégial, elle fonde la plateforme en compagnie d’une constellation de grands leaders de la société civile pour convoiter le suffrage des sénégalais. Dans cet entretien, Fatou Diop Blondin flétrit le régime et se propose en alternative pour sauver le Sénégal.
«l’As» : Tantôt, on parle de assemblée Bugnu beug, tantôt de avenir Sénégal Bignu beuk. Vous êtes le porte-parole de quelle structure?
Fatou Diop Blondin : J’ai été porte-parole de «Assemblée Bignou Beugue», la coalition formée en perspective des législatives qui se sont déroulées au mois de juillet de cette année. Il y avait la plateforme Avenir Sénégal Bugnou Beugue plus d’autres mouvements comme le mouvement citoyen dirigé par Mme Rose Wardini, mais aussi le Mouvement des artisans du Sénégal et des partis politique (UDP). C’est dans ce cadre que j’étais porte-parole.
D’où tirez-vous votre «Blondin»?
Je m’appelle Ndèye Fatou Ndiaye et je suis Mme Diop Blondin. C’est mon époux qui est Diop Blondin.
Vous avez été ministre dans le gouvernement de Wade. Pourquoi avoir attendu maintenant pour vous engager dans la politique?
Je suis ancienne ministre des Télécommunications et je suis ingénieur en télécommunications. J’ai travaillé dans le privé jusqu’en 2010. J’ai eu l’opportunité de rencontrer le Président Wade sur un projet que j’ai dirigé dans un autre pays africain et c’est comme cela que je suis devenu ministre des Télécommunications au Sénégal. Par la suite, j’ai travaillé à l’Artp, mais j’avais toujours un rôle technique de régulation. Ce qui m’a amenée dans le champ politique ? Je suis une militante depuis longtemps. Je suis dans le social. J’ai vécu très longtemps à l’étranger. Je suis rentrée au Sénégal depuis 2010. Je ne militais pas dans les mouvements politiques au Sénégal. Quand je me suis retrouvée à discuter avec des amis et à donner des avis, j’ai rejoins le cercle des gens qui pensent la même chose. Il n’y a pas de grande différence. Il faut dire aussi qu’en faveur du temps, j’ai plus de temps, mes enfants sont grands. J’ai l’opportunité au point de vue de vie personnel et idéologique.
Pourquoi vous ne l’aviez pas fait sous le régime de Wade ?
Sous Wade, je suis arrivée en 2010 en tant que technocrate. J’ai analysé la situation de la famille politique de Wade. Je n’étais pas d’accord avec ce qui s’y passait et avec l’organisation du parti. Donc il n’était pas question de rejoindre le Pds.
Me Wade ne vous a pas invité ?
Pas spécifiquement. Je n’ai pas fait l’objet d’un chantage ou d’une discussion approfondie. J’ai résisté à toutes les sirènes du genre : «si vous rejoignez le Pds voire la Génération du Concret, vous serez sûre de garder votre poste. Moi je n’ai pas adhéré à cela.
Est-ce donc la raison pour laquelle vous n’avez pas duré dans le gouvernement?
C’est peut-être cela. Je suis restée six mois dans le gouvernement. Mais pour moi, c’était plutôt dû à une incohérence dans le découpage des services au sein du gouvernement. Il y avait une redondance et aujourd’hui on le voit encore par le nombre de ministres. On a fait le réseau dans un ministère et les services qui tournent autour de ce réseau dans un autre ministère. Je suis un ingénieur en télécommunication. Rattrapée par mon métier, j’ai pensé que ce n’était pas un découpage cohérent. Lorsque le Président a décidé de regrouper tout cela dans un ministère, cela a été intellectuellement recevable.
Avez-vous demandé à quitter le gouvernement?
Je n’ai pas demandé à partir. Mais j’ai fait la proposition pour montrer l’incohérence du découpage. J’étais devenue une idéaliste. Si on veut faire quelque chose, il faut d’abord régler la question institutionnelle. Sachant que je suis rentrée au Sénégal, le Président voulait que j’occupe une autre fonction. C’est dans ce cadre que je suis devenue président du Conseil de l’Artp, devenu un Collège. Nous avons fait la loi des télécommunications en 2011, et nous avons réformé le collège.
Justement, il y a eu un bras de fer lorsque le régime de Macky Sall vous a demandé de partir. Qu’en est-il réellement ?
Je n’ai pas refusé, mais j’ai dit le droit. J’ai introduit une lettre pour dénoncer, je n’ai pas eu de réponse. J’ai interpellé l’avocat de l’Artp et J’ai saisi les conseillers de la Présidence, ils m’ont dit que j’avais raison. Quand le mandat est terminé, la loi dit que le collège se renouvèle aux 2/3. Chemin faisant, un décret est venu changer la loi. J’ai écrit pour parler de cela et suis passée à autre chose. Je n’irai pas me battre contre nos Etats au niveau de l’Uemoa. Dans un Etat de droit, une loi ne peut pas être modifiée par un décret. Maintenant, le décret est signé par le Président du moment. C’est la force du moment qui décide de ce qu’elle veut. Par un décret même, on modifie le statut de l’Artp et cela a une incidence sur le personnel et le collège.
Il semble que vous avez mené une bataille épique pour rester..
A l’Artp, mon souci était de faire appliquer la loi. Nous nous sommes battue pour la taxation des appels entrants, même si on se rend compte qu’il y a faute de la part des opérateurs. Au Sénégal, il faut qu’on s’occupe plus de travailler sur les dossiers de fond, les lois, les contrats avec des spécialistes qui prévoient tous les chemins et éviter de faire des copier coller. Si voulez infliger des sanctions de 2 à 3 milliards aux opérateurs, ces derniers paient 500 millions Fcfa à un avocat. Et avec la loi, vous ne pouvez rien faire. Nous avons mis l’accent sur les incohérences contenues dans le code des télécoms. Le problème avec le Code des télécoms, c’est qu’on ne fait qu’appliquer une taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs qui servait à améliorer le numérique dans le pays. En réalité, on a pris 95% de ce fonds pour l’injecter dans le Plan «Takkal». Qu’est-ce que vous voulez faire avec les 5% qui restent. Ainsi va le pays.
C’est cela qui vous a révolté?
C’est tout cela. On fait semblant de croire qu’on est de bons ambassadeurs pour dire voilà ce qu’il faut faire. Quand on est à l’Artp, le décret est initié par le Ministère qui l’amène à la Présidence.
Pourquoi ne vous êtes vous pas engagé en politique à l’époque ?
Je suis arrivée à la politique par la plateforme «Senegal bugnu Beug». Je n’ai pas voulu aller dans des partis politiques pour plusieurs raisons. J’avais surtout envie d’être dans un cadre où on peut faire avancer les choses. Je n’avais même pas pour option d’aller à des élections. C’est pour cela que je suis allée dans cette plateforme qui regroupe des personnes ou des spécialistes en administration publique, en finances et dans le développement local. Nous nous sommes tous retrouvés. Et nous avons commencé à discuter sur comment se positionner. L’objectif n’était pas de conquérir le pouvoir. Chemin faisant, cela fait partie des options sérieuses sur lesquelles nous travaillons.
Vous semblez idéalistes vous de la plateforme? Comment votre discours pénètre-t-il les masses ?
C’est difficile, parce qu’il y a un décalage avec une bonne partie de la société. Nous en sommes conscients. Nous en sommes arrivés même à ce qu’on nous mette dans une cage (intellectuel), histoire de nous marginaliser. C’est une insulte dans le Sénégal d’aujourd’hui. Nous avons fait beaucoup de pays en Europe et Afrique. Nous avons une vision. Je demeure absolument convaincue qu’on ne peut pas gouverner avec des slogans. Le slogan c’est juste pour la communication.
Est-ce que vous-vous retrouvez dans le Pse ?
Moi, je préfère qu’il y ait un plan. Même si on peut critiquer beaucoup de points dans ce plan, il y a déjà un plan. Il n’y a rien de pire que les années 90 où c’était de l’immobilisme complet. Donc, je préfère toujours qu’il y ait un plan. Si on prend les différents secteurs clés, les montages financiers, le Pse devrait engloutir près de 5.000 milliards Fcfa que nous allons tous rembourser et qui ne crée même pas assez d’emplois. Il y a problème. Pour l’instant, l’impact le plus significatif qu’on devrait voir amorcé reste l’emploi des jeunes. Dans le domaine de l’éducation aussi, c’est une catastrophe. On ne forme pas les jeunes avec ces enjeux d’émergence. Et le peu de jeunes formés ne trouvent pas de travail. Une émergence c’est au service de l’humain. Quel est l’indice de développement humain émergeant pour le Sénégal ? C’est ce que nous mangeons en qualité. C’est notre habitat, c’est notre santé, notre éducation, c’est notre environnement. Et si on prend tous ces secteurs, nous sommes loin du compte.
«Avenir Senegal» a des solutions pour ces problèmes ?
La plateforme a des solutions à ces problèmes. Elle a un projet centré sur l’humain et certains volets comme l’agriculture, le développement de la bande locale et des projets panafricains. La plateforme travaille. Il y a des moments de grande visibilité, parce qu’il y a de l’activité politique. Les questions politiques intéressent énormément ma société».
Etes-vous rassuré par le changement au ministère de l’intérieur ?
Ce n’est qu’une question de personne, rien n’a changé. Un pays est dirigé par des institutions. La personne ne change rien. Le ministère de l’Intérieur dans nos pays qui organise des élections et ça ne peut pas se passer dans des conditions normales. Et moi, je dis que nous avons des problèmes avec notre CENA. On nous parle de quelques millions de bulletins. Vous allez dans certains bureaux il n’y pas de bulletin de tel ou tel candidat. Donc, on fabrique des bulletins. A Mbour, le vote a démarré à 11 heures certains ont commencé à 17h et à 19h et il y’avait la pluie et à 20h c’était fini. On est allé voter sans cartes d’identité. Certains ont dû voter avec des récépissés. Nous de la Plateforme, on a une vision pour construire un Etat, on n’est pas dans de petits calculs. Dès le début, la plateforme a dit que le nombre de commissions pour s’inscrire est largement insuffisant pour atteindre les objectifs. Mais quand vous êtes dans cette position, on ne vous écoute pas. Mais à la fin, près de 30% n’avaient pas leurs cartes d’identité.
Qu’est ce que la classe politique et la société civile doivent faire ?
Au Sénégal, comme d’habitude, on a tout écrit, on a tout dit. On a fait des assises où on a diagnostiqué et tout ça avec d’autres acteurs. On a fait des propositions dans ces assises, on est revenu pour des projets de constitution et tout ça est déjà réglé dedans, avec quand même des propositions acceptées par plus de 80% de toutes les localités qui ont participé à l’exercice. C’est plus qu’un sondage. Il ne reste qu’à appliquer. Maintenant, à l’épreuve du terrain, c’est trop compliqué pour l’homme sénégalais. Il faut que ça change, il faut que les transports en commun s’arrêtent là où il faut. Il faut respecter les feux rouges. Celui qui dit ça sera le premier à le violer. Il y’a un effet de mimétisme, c’est ce qui est à la mode.
Etes vous déçue par le président Macky Sall… qu’attendiez vous de lui…
Il n’a aucun mal à faire autre chose que ce qu’il avait promis au départ. C’est complètement égoïste de le voir faire l’apologie de la transhumance, c’est complètement ubuesque de le voir sur des dossiers comme celui de Barthélémy Dias. Les revirements entre 2012 et 2017 sont énormes. On a aujourd’hui un problème de confiance et de fiabilité. On a l’impression par moment que quelle que soit la loi, ça n’a aucune espèce de valeur. Ce qui compte, le bon vouloir du prince. Si ça va avec la loi, c’est tant mieux, mais si ça ne va pas avec la loi, ça peut passer, il n’y a aucun problème. Institutionnellement, c’était le chantier le plus facile pour le président Macky Sall. On est un pays pauvre, on cherche de l’argent, aller emprunter, tout cela, ça ne va pas de soi. Mais entre 1960 et 2012, on avait quand même une révolution institutionnelle à mettre en place qui avait fait que les gens étaient allés aux assises. Il avait cette opportunité de faire des changements significatifs, vers une démocratie sereine, du point de vue du droit. Et c’est des chantiers comme ça qui ont été rattrapés par le calendrier politique.
On entend rarement la plateforme sur l’affaire Khalifa sall….
Nous considérons que c’est le fait du prince. Dans le fond, ce qu’on reproche à Khalifa Sall, on peut accepter que ce ne soit pas normal de disposer d’un fonds, qu’on distribue à une clientèle politique. Nous, nous sommes absolument contre. Si on est dans le principe c’est interdit, mais ce n’est pas interdit pour tout le monde. On a entendu même son prédécesseur mais, personne ne l’a poursuivi. Même si dans le fond, il y’a de quoi quand même le condamner d’une manière ou d’une autre, le fait que cela soit autant personnalisé, enlève toute la substance et tout ce qui pouvait être même l’objet d’un message vis à vis de la classe politique, en leur disant dorénavant, les fonds politiques sont utilisés de telle et de telle façon. Et c’est pareil pour tout le monde. Mais quand on fait ça et qu’à côté de ça, quand on est président, on a des fonds politiques de huit milliards. Je pense que nous avons entendu son directeur de cabinet faire le décompte au mois d’avril. Même si le dossier de Khalifa Sall, il y’a de quoi juridiquement mener une action et prendre des décisions qui s’imposent, on n’a qu’à l’appliquer à tout le monde. Ce serait juste, sinon, c’est une cabale personnalisée, c’est le fait du prince.
Quid du cas Karim Wade?
De toute façon, la CREI, on nous a entendu sur son fonctionnement. Je fais partie de ceux qui sont favorables à la réédition des comptes. J’étais absolument d’accord, mais à l’arrivée, c’est une seule personne qui est arrêtée sur les 26 citées. ça pose problème. C’est même machiavélique et pervers. Aucun de ces dossiers n’est fermé. Donc, il y’a des épées de Damoclès qui planent. Quand on voit la fin du dossier Karim Wade, il a toutes les nationalités du monde, sauf celle du Qatar. Il ne peut pas quitter le Qatar. C’est quoi cet arrangement ? C’est sur le dos de qui ? Au nom de quoi ? Ce n’est pas une justice neutre. Les décisions se prennent nuitamment maintenant au Sénégal. Les résultats des élections sont prononcés à 2H du matin, avec toute la République debout. On en est là aujourd’hui. Ce n’est pas pour ça que nous avions souhaité un changement en 2012. Ce n’était pas ce qu’on attendait. Donc rien n’a changé. Il reste quand même un projet alternatif crédible qui pourrait se dire pour le challenge, le travail c’est ça.
Faut-il finalement croire aux promesses, qui, une fois au pouvoir sont ravalées par les hommes politiques?
Nous sommes 13 millions d’habitants sur 7 milliards. Nous n’avons pas un destin différend de ce qui se passe ailleurs. Si vous n’avez pas une opposition républicaine, un Etat qui fonctionne, vous avez des bandits et des rebelles et peut-être des djihadistes à côté. Soit nous faisons ce qu’il faut pour que ce pays là fonctionne, soit ce qui adviendra ne plaira à personne, ni à nous, ni à l’Etat. Et nous ne maîtriserons pas le schéma à venir. C’est ce qui nous guette. Moi, je milite activement à ce que le Sénégal retrouve le chemin d’une démocratie qui se bonifie au fil des alternances. On ne peut se contenter de nous dire que nous avons des alternances paisibles. La démocratie, ce n’est pas seulement le jour du vote. Ce n’est pas seulement mettre le bulletin dans l’urne. C’est de faire en sorte que une fois au pouvoir, le Président n’ose pas faire certaines choses. Voilà ce qui nous manque.
Mais est-ce que le sénégal est prêt pour élire une femme à la tête de la république?
Je pense qu’au Sénégal, les femmes prendront leur place le moment qu’elles le voudront. Rien ne l’empêche et je pense que si dans des structures comme le PS, certaines femmes arrivaient à régler les problèmes internes. Elles sont prisent au sérieux. On a vu dans le PDS des femmes qui faisaient pareil. Mais ce sont des problèmes internes. Il y’a deux composantes : la composante religieuse pour certaine personne. Je suis sûr qu’il n’y a pas d’obstacles pour les femmes, si ce n’est une femme qui veut vraiment aller jusqu’au bout. Peut être cette façon de mener la lutte n’est pas conforme pour la femme : donner des coups, ne pas être chez elle des mois et des mois à l’intérieur du pays, laisser une famille derrière. Je pense que c’est compliqué pour une femme. Si j’arrivais à construire la personnalité, construire un projet et en étant moi-même, je n’aurais aucun mal à aller me présenter devant un chef religieux, dans les villes, les villages, pour vendre mon projet. Cela ne me pose aucun problème. Ce n’est pas une affaire de femme. C’est une affaire de personnalité.
La plateforme va-t-elle participer au dialogue politique ?
On est obligé. On est une plateforme, on n’est pas un parti politique. On ne peut pas refuser un dialogue, dans un pays qui veut asseoir la stabilité. Cette année 2017 est très compliquée. Le dialogue national qui avait eu lieu en 2016 n’avait pour raison d’être que le cas Karim Wade et des petits arrangements entre copains, qui sont aujourd’hui dans l’opposition, demain dans le pouvoir. Rien de sérieux. Si on boude, c’est comme si on refuse, alors qu’on énumère des problèmes. Pour avoir des solutions, on est obligé de discuter. Mais on attend absolument rien, tant qu’on n’aura pas vu des actes allant dans le sens d’une démocratie vertueuse dans ce Sénégal. Ce n’est pas seulement le dialogue.