WADE ET MACKY PLUS «HUMAINS» QUE DIOUF
PRESENCE AUX CÉRÉMONIES MORTUAIRES
Les morgues des plus grands hôpitaux de Dakar sont devenues les espaces les plus conviviaux de la classe politique sénégalaise. alliés circonstanciels et adversaires politiques irréductibles s’y retrouvent souvent pour compatir et témoigner sur d’illustres disparus. Depuis 2000 avec l’accession du Président Abdoulaye Wade à la tête du pays, il est même courant d’y noter la présence du chef de l’Etat. Samedi dernier par exemple, le Président Macky Sall était à la levée du corps de Djbo Kâ. Sur ce plan, l’ancien Président Wade et son successeur sont plus compatissants voire plus «humains» que Abdou Diouf et son prédécesseur.
On l’aime ou on le déteste, mais force est de reconnaître que Me Abdoulaye Wade a su cultiver une certaine proximité avec ses administrés et faire preuve d’une grande compassion à leur endroit. C’est sous magistère que les Sénégalais se sont familiarisés avec un chef de l’Etat qui assiste aux levées du corps et se déplace jusque dans les maisons mortuaires pour présenter ses condoléances. La première cérémonie mortuaire à laquelle le «pape du Sopi» a assisté en tant que président de la République remonte en fin décembre 2001 lors de la disparition de Léopold Sédar Senghor.
Naguère proche collaborateur du chef des libéraux, Pape Samba Mboup se souvient qu’à cette occasion le Président Wade s’était rendu à la base militaire de Ouakam pour assister à l’arrivée de la dépouille du Président-poète. «Accompagné de son épouse Viviane, Abdoulaye Wade attendait à la coupée de l’avion où il a fait l’accolade à Colette Senghor. Tous les trois sont montés dans une même voiture. Je me souviens que Abdoulaye Wade était entre les deux Premières dames : c’était une image forte», raconte Pape Samba Mboup. Non seulement le leader du Pds organise, le 29 décembre 2001, les obsèques officielles de celui qui le surnommait «Njombor», mais aussi il assiste à son inhumation au cimetière catholique de Bel Air. Six mois après le décès du chantre de la négritude, Me Wade fait encore preuve d’une grande magnanimité en prenant entièrement en charge les funérailles de Adja Coumba Dème, mère de Abdou Diouf. L’ancien Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) retenu en France où il vit depuis son départ du pouvoir, son successeur au Palais de l’avenue ex-Roume honore de sa présence les obsèques de la vieille maman. Lorsque Ismaëla Mbaye, un des membres de sa garde rapprochée, périt dans un accident sur la route de Touba, Me Wade est aux premières loges à la levée du corps pour réconforter la famille éplorée. Mettant un point d’honneur à être proche de ses administrés, le chantre du Sopi multiplie les déplacements dans les cérémonies mortuaires. «Abdoulaye Wade est resté Sénégalais, Africain. Il est ancré dans les valeurs sénégalaises. Il est comme ça. Pour lui, c’était normal qu’il agisse de la sorte.
C’est un homme bon qui ne peut pas rester indifférent à la douleur de son semblable», témoigne son ancien chef de cabinet à la Présidence de la République.
Par conséquent, personne ne s’est étonné de le voir prendre part à l’inhumation de Karine Wade, l’épouse de son fils Karim, décédée au lendemain des élections locales de 2009. Sa compassion posthume transcendait les barrières politiques. Il ne souciait guère que le disparu soit ou pas du même bord politique que lui. D’ailleurs, certaines voix autorisées rapportent que Wade qui s’était rendu aux obsèques d’une proche parente d’une illustre personnalité, absente du Sénégal, avait laissé sur place une enveloppe de 50 millions F Cfa en guise de «jaxal»(soutien financier à la famille d’un défunt). L’unité de compte pour le «jaxal» chez le vieux libéral, c’est le million. Même après son départ du pouvoir, le chef de file des libéraux continue d’honorer de sa présence les cérémonies funéraires. Il y a quelques semaines, il s’est déplacé jusque dans la maison familiale de Khalifa Sall pour présenter ses condoléances suite au rappel à Dieu du frère aîné du maire de Dakar.
MACKY SUR LES TRACES DE WADE
Formaté dans le moule wadiste, l’actuel locataire du Palais de l’avenue Léopold Sedar Senghor calque sa démarche sur celle de son prédécesseur, même si les millions pleuvent beaucoup moins que sous Wade pour le «jaxal». Macky Sall s’efforce d’assister aux levées de corps et d’aller dans les maisons mortuaires ; sinon il se rend ou à la levée du corps ou à la maison mortuaire. Depuis son accession à la magistrature suprême, le natif de Fatick est allé présenter ses condoléances chez Ousmane Masseck Ndiaye, Innocence Ntap Ndiaye, Me Mbaye Jacques Diop, Me Aïssata Tall Sall, Samuel Sarr, Me Ousmane Ngom, Amadou Bâ, etc. Le dimanche 16 juillet dernier, il a tenu un discours émouvant à Fann lors de la levée du corps de Seydi Ababacar Mbengue de la Couverture maladie universelle (Cmu). Peu de temps auparavant, il avait rendu un vibrant hommage à la morgue de l’hôpital Principal à Babacar Ndiaye, ancien président de la Banque africaine de développement (Bad). Le samedi 26 août à l’esplanade de la mosquée omarienne, il retraçait avec émotion la carrière de l’entrepreneur Aliou Sow de la Compagnie sahélienne d’entreprise (Cse), disparu quatre jours auparavant. Et la liste est loin d’être exhaustive. Sa toute dernière apparition à une cérémonie mortuaire remonte à samedi dernier 16 septembre lors de la levée du corps de Djibo Kâ à la morgue de l’hôpital Principal. Ce jour-là, on a assisté, comme la classe politique sait le faire en de pareilles circonstances, à une effusion d'épithètes et d'attributs dithyrambiques, sincères ou superficiels. Pour rendre un ultime hommage à Djibo Leyti Kâ, ministre 22 ans durant, député puis dernièrement Président de la Commission nationale du dialogue des territoires (Cndt), tout le gratin de la République s’était mobilisé. En plus du Président Macky Sall et de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, il y avait les anciens compagnons politiques comme Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Robert Sagna, Abdoulaye Makhtar Diop, etc. L’ancien ministre d’Etat Habib Sy, le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, la présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese) Aminata Tall, etc. étaient tous là. Et comme par enchantement, la mort comme toutes les contradictions et toutes les tares du disparu. Il n’y a que de la douceur langagière.
ABDOU DIOUF, L’INVISIBLE
Si le degré de compassion et d’humanisme d’un individu se mesure à l’aune de ses déplacements aux cérémonies mortuaires, on peut qualifier Abdou Diouf d’homme froid, dur, pour ne pas dire cruel. En une vingtaine d’années de présence à la tête de l’Etat, il n’a été aperçu à une cérémonie mortuaire que deux fois. Seuls nos confrères Mame Less Dia (fondateur du journal satirique «Le Politicien») et Max Magamou Mbaye, directeur de l’organe «Combat pour le socialisme» ont eu la grâce de voir le Président Diouf assister à leur levée du corps. A la disparition de sa mère Adja Coumba Dème en mai 2002, l’ancien Secrétaire général de l’Oif, qui avait déjà quitté le pouvoir, a débarqué au Sénégal après l’enterrement de la défunte. Habib Thiam, son meilleur ami et Premier ministre, a été mis en terre en son absence. Lors du décès du Pr Assane Seck, resté fidèle au Parti socialiste jusqu’à son dernier souffle, alors qu’il était à Dakar, il a soutenu pour se justifier, qu’il se rendait en France au chevet de son épouse (Elisabeth Diouf) malade. Une douzaine de jours après le rappel à Dieu de Djibo Leyti Kâ qui fut son ministre pendant quatorze ans, de 1981 à 1995, il n’est pas encore allé présenter ses condoléances à la famille du leader de l’Union pour le Renouveau démocratique(Urd) et ancien Président de la Cndt. Sur ce plan, l’on soutient qu’il a été inspiré par son prédécesseur Léopold Sedar Senghor qui, dit-on, ne serait presque toujours qu’aux morgues, à l’abri des regards du public.