LES INSOUTENABLES RÉCITS DES MALADES ET DES ACCOMPAGNANTS
Au Sénégal, les structures sanitaires sont confrontées à un système d’accueil inadéquat pour les patients - Les malades ainsi que leurs accompagnants sont souvent désorientés, mal accueillis et parfois victimes de mépris
Au Sénégal, les structures sanitaires sont confrontées à un système d’accueil inadéquat pour les patients. Les malades ainsi que leurs accompagnants sont souvent désorientés, mal accueillis et parfois victimes de mépris et de manque de respect. Aucune structure hospitalière du pays n’échappe à ces mauvais comportements. Un tour à l’hôpital Fann, au Cto et à Dalal Jamm nous a permis d’en savoir un peu plus.
En ce mercredi 8 août, il est plus de 9 heures, nous sommes dans la banlieue dakaroise plus précisément à l’hôpital Dalal Jamm qui est un centre hospitalier nouvellement installé, à l’entrée de Guédiawaye. Des jeunes filles et garçons habillés en tissu wax servent de guide. Ils répètent les mêmes gestes avec les malades qui fréquentent cet hôpital. Le fait est rare pour ne pas être signalé. En effet, c’est une première qu’une structure sanitaire dispose d’un service d’accueil de ce genre. Le service d’accueil existe dans tous les services de l’hôpital Dalal Jamm. Abdoulaye Dieye, ancien marin âgé de 68 ans tenant une béquille à la main gauche et une enveloppe d’imagerie médicale à celle de droite, dit toute sa satisfaction à venir dans cet hôpital. «C’est la première fois que je pose les pieds ici, mais j’ai été impressionné par le service d’accueil ; avec la façon de diligenter les clients, il n’y a vraiment rien à dire. Je salue cette initiative. En plus, l’hôpital est assez propre et j’espère qu’ils vont continuer sur cette lancée dans le service d’accueil», se réjouit-il. Cette dame répondant au nom de Seynabou Mar, âgée de 70 ans et marchant difficilement le long du couloir menant vers la sortie de l’hôpital est du même avis. «La première fois que je suis venue ici, ils m’ont orientée et mieux m’ont amenée jusqu’au lieu de ma consultation»,témoigne t-elle.
DALA JAMM, UNE EXCEPTION ?
Cependant, ce qui se passe àDalal Jamm esttout à fait différent de ce qui est constaté dans les structures sanitaires de Dakar. Après Dalal Jamm, nous nous sommes rendus à l’hôpital Fann. Ici, tous les services sont fonctionnels avec quelques dizaines de malades qui viennent chaque jour se faire consulter. Bineta Séne est un agent sanitaire dans une structure de la place. Elle a fait les frais du mauvais accueil dans nos structures sanitaires. «Je suis technicienne en imagerie dans une structure de la place. J’avais amené mon fils en consultation ici puisque c’est plus près de chez moi. Déjà, ils ont annulé plusieurs fois mon rendez-vous sous prétexte que le médecin est en grève. Au dernier rendez-vous, ils m’avait tellement mal accueillie que j’ai boudé pour aller dans une structure sanitaire située à la Médina mais là-bas, c’était pire. J’ai dû payer pour que mon fils soit soigné alors que j’avais une prise en charge, c’est regrettable pour le pays», déplore t-elle. Habillée d’un jean blanc et accompagnée de sa mère qui a eu une fracture au niveau du bras droit, cette jeune fille répondant au nom de Nafi Samb nous dévoile toute son amertume sur le service d’accueil de cette structure sanitaire. «Je suis venue accompagner ma mère car elle a une fracture. Elle ne peut rien faire par elle-même. C’est la deuxième fois que nous venons ici. La première fois, non seulement j’ai été submergée par la peur avec cette fracture mais j’ai été désorientée car je ne savais pas par où passer ni à qui m’adresser, j’ai fait plusieurs vaet-vient dans différents services sans trouver le service adéquat pour ma mère», indique-t-elle.
«J’AI PERDU MON JEUNE FRÈRE À CAUSE DE LA NÉGLIGENCE DANS NOS HÔPITAUX»
L’hôpital Général de Grand-Yoff dispose aussi d’un service d’accueil. Les agents chargés de l’accueil portent des tenues bleues pour orienter les clients. Mais pour ce qui est des urgences, le service n’est pas de qualité. Parfois, un malade qui a besoin d’une aide d’urgence est renvoyé avec comme prétexte : «Elle a juste besoin d’une consultation mais pas des urgences ». Cet homme âgé de 45 ans répondant au nom d’Alioune Badara Faye dit sa déception : «Au Sénégal, si vous tombez malade alors vous n’avez pas d’argent, vous allez mourir puisque personne ne va s’occuper de vous. J’ai un ami qui a perdu son frère dans ces conditions. Il avait piqué une crise et nous l’avons amené à l’hôpital, au lieu de le prendre en charge immédiatement, ils l’ont laissé sans soins, prétextant qu’il n’y avait pas de place. Au bout de deux heures, le garçon a rendu l’âme alors qu’ils pouvaient le sauver en lui administrant au moins les premiers soins»
MOUSSA SAM DAFF, DIRECTEUR DE L’HOPITAL DALAL DIAM DE GUEDIAWAYE : «nous avons externalisé le service d’accueil pour que les patients soient bien pris en charge»
L’As : L’hôpital fonctionne-t-il en plein régime?
Moussa Sam Daff : L’hôpital a démarré ses activités précisément le 29 août 2016. Depuis lors, il fait son bonhomme de chemin, il y’a des services qui sont ouverts et d’autres ne le sont pas encore parce qu’il y’a des travaux en cours. Certains équipements ne sont pas encore installés mais tout ce qui est consultation aujourd’hui, l’hôpital le fait avec des spécialités. Il y’a également de la para-clinique, le laboratoire et les examens de radio que nous faisons. Nous avons constaté que depuis cette date, il y’a une augmentation constante du nombre de patients. Au fur et à mesure que nous mettons en place un dispositif, nous démarrons le service. C’est le cas de la chimiothérapie, de l’endoscopie digestive et tout récemment le cas de radiothérapie.
Qu’est ce qui fait la particularité de Dalal Jamm?
Au niveau de Dalal Jamm, nous sommes au courant des récriminations qui sont faites aux hôpitaux. A cet effet, nous avons changé de paradigmes. Avec un nouveau bâtiment, le plus important était la question de l’accueil et de la prise en charge des malades .Nous sommes passés du malade patient au malade client qui a des droits et des attentes. Ce que nous avons constaté, c’est que les malades disent que quand ils arrivent dans les structures sanitaires, en général, les structures hospitalières en particulier, ils sont perdus et ils n’ont pas d’interlocuteurs. Ainsi, c’est la porte ouverte aux magouilles. Ils ne sont pas dans le circuit normal et cela porte préjudice aux malades et à l’établissement. Souvent, ce sont des agents véreux que l’on rencontre qui ne sont même pas de l’hôpital. A Dalal Jamm, nous avons dit qu’il faut externaliser, c’est-àdire que nous allons nous concentrer sur notre cœur de métier, ce que l’on sait faire le mieux : les soins et certaines fonctions non moins importantes. Certaines structures savent le faire mieux que nous. C’est dans ce sens que nous avons tenté l’expérience en externalisant la question de l’accueil et du brancardage. Il y’a un cahier de charge bien déterminé, si vous ne donnez pas satisfaction aux patients, vous êtes remerciés. C’est la première innovation que nous avons apportée et cela a donnée ses fruits. La deuxième innovation est qu’au-delà du concept accueil-orientation et information, nous avons introduit le concept accompagnement. Nous accompagnons les patients dans les formalités administratives. Pour les personnes à mobilité réduite, dès qu’une voiture se gare, les agents sont prêts à le prendre en charge, c’est-à-dire que l’on ne voit plus les parents seuls avec les malades, le brancardier est là pour leur prêter main forte. La nouveauté est qu’à Dalal Jamm, dès que vous entrez, vous avez un interlocuteur. Nous avons fait une enquête de satisfaction accueil auprès des usagers qui a été satisfaisant avec un taux de 98% de satisfaction des chez les patients. Bien entendu tout n’est pas rose et il y’a sans doute des malades qui ne sont tout à fait satisfaits. Nous leur avons parlé, et avec tout le personnel, nous restons une autorité intransigeante sur la question de l’accueil. Ce sont des choses qui ne sont pas du tout négociables
Qu’en est-il du service d’urgence souvent décrié ?
C’est vrai que notre hôpital est apprécié des populations. Dans les faits il y’a des manquements et je sais que les autorités ne cessent d’en parler et de nous rappeler à l’ordre. Il faut que les gens comprennent que l’urgence est déterminée par le praticien mais nous qui ne sommes pas des médecins pensons que tout malade a besoin d’urgence. On le conçoit et c’est là où nous pêchons un peu car nous ne communiquons pas assez avec les populations. L’autre aspect est que les textes qui régissent les structures sanitaires encadrent cela. Ils disent que toute personne dont l’état d’urgence est établi doit être pris en charge d’abord avant de procéder aux recouvrements. Maintenant, c’est un défaut de communication ou un problème de régulation qui fait que les ambulances tournent d’un hôpital à un autre. Cela ne doit pas exister dans un pays organisé. Il est établi que dans tous les services d’urgences, il doit y exister des armoires d’urgences avec des produits urgents avec un minimum de personnel qualifié. Des efforts ont été faits mais il reste encore à faire. A Dalal Jamm, notre service d’urgence n’est pas fonctionnel à 100% pour l’instant car il y’a des travaux en cours. Mais nous prenons en charge les cas les plus urgents. Dès que nous les recevons, on lève l’urgence, nous leur trouvons une place dans une autre structure sanitaire.
Comment se passe les consultations de la radiothérapie?
Cela passe bien car nous sommes à 3 consultations par semaine. On y va progressivement, c’est-àdire que c’est une technologie de pointe qui existe au Sénégal pour la première fois. Vous comprendrez que tout ne peut pas être réussi au premier coup mais nous avons constaté avec honneur que le nombre de malades pris en charge depuis deux mois ne cesse d’augmenter. Nous avons une quarantaine de patients qui sont suivis au niveau de l’hôpital.