A DIEMBERENG, LE TELEPHONE N'A PAS ENCORE REMPLACE LE BOMBOLONG
Annonce des décès, des incendies
Dans plusieurs villages diolas, les anciens moyens de communication, tels que le bombolong, sont jalousement gardés. A Diembéring, une commune située dans le département de Oussouye, tous les quartiers disposent de ce « tam-tam téléphonique » qui est utilisé pour annoncer les évènements malheureux comme les décès ou encore les incendies.
Cela peut ressembler à une ancienne cuisine abandonnée. Mais, ce local grand ouvert et sans porte reste un lieu sacré pour les habitants du quartier. Construit en banco, l’endroit est couvert par des zincs qui protègent ces instruments taillés dans des troncs d’arbres. A Etama, un des sept quartiers de Diembéring, les bombolongs (instruments traditionnels servant à annoncer des nouvelles aux populations) sont jalousement gardés.
Ici, pas moins de trois bombolongs à la forme oblongue, avec une fente au dessus, sont rangés dans le local. L’un de ces instruments semble plus récent et plus grand que les deux autres. « C’est le 15 mai 2016 que nous avons reçu ce bombolong de la part d’un Blanc qui l’a acheté en Guinée-Bissau. Lors de sa réception, nous avions organisé une grande fête », souligne Jean Diatta, le chef de quartier d’Etama.
Deux des instruments, celui à gauche et l’autre au fond, sont réservés aux adultes, et celui situé à droite est destiné aux jeunes du village. Pour les Diolas, le bombolong, c’est ce « tam-tam téléphonique » qui sert à annoncer les décès ou encore des évènements malheureux dans le village, tels que les incendies. « Même si vous êtes à 9 kilomètres d’ici, si on tape sur le bombolong, vous saurez qu’il y a un évènement malheureux à Diembéring », atteste Jean Diatta.
En cas de décès, la nouvelle passe par le bombolong avant que des femmes pleureuses ne sillonnent le village pour répandre la nouvelle. « Tout dépend de la manière dont on tape l’instrument. Si c’est un incendie, par exemple, les gens comprennent vite et chacun sort avec un seau d’eau pour aller éteindre le feu », dit-il.
Toutefois, en milieu diola, il n’est pas donné à n’importe qui de battre le bombolong. Seuls les initiés peuvent le faire. « Dans un quartier, vous verrez que seules deux ou trois personnes détiennent le secret du battement », renseigne le chef du village d’Etama qui montre en même temps les deux objets en forme de feuilles de rônier qui servent à taper. Le fait de jouer le bombolong suppose qu’on détienne un pouvoir mystique.
Très souvent, nous dit-on, avant de commencer, les batteurs de bombolong versent du vin en guise d’offrandes. « Si j’ai un décès à annoncer, je ne peux pas me lever chez moi pour le dire directement. Il faut d’abord que j’aille voir la personne habilitée à le faire. Je lui donne quelque chose avant qu’il ne commence le travail », renseigne M. Diatta. En fait, certaines connaissances ne s’acquièrent que dans le bois sacré où les initiés sortent avec des savoirs qui leur permettent de mieux vivre en société.
Un pan de la tradition diola
Très conservateurs et jaloux de leur culture, les Diolas continuent d’utiliser le bombolong malgré l’existence du téléphone portable et de l’Internet. « Pour nous, le bombolong, c’est un tam-tam téléphonique qui nous permet encore de communiquer. Et c’est un pan de notre tradition que nous essayons de garder encore », confie Henri Ndiaye, un étudiant de Diembéring venu passer les fêtes de fin d’année dans son village. « Dans chacun des sept quartiers de Diembéring, vous y trouverez un bombolong qui continue de jouer le même rôle qu’avant, c’est-à-dire annoncer les nouvelles aux populations du village », dit le responsable du village.
Il existe trois types de bombolong qu’il faut différencier par leur son. Il y a le « kawek » qui est joué par le tambour major ; le « seklou » ou tambour médium et, enfin, le « kamboumblon » ou tambour solo. Tous ces instruments émettent des messages codés compris par les initiés et qui évoquent souvent les noms des morts, de leur famille, de l’histoire de leur lignée.
Au-delà des Diolas, les Mancagnes et les Manjacks utilisent aussi le bombolong durant leurs cérémonies funèbres.
Patrimoine immatériel aujourd’hui jalousement gardé, le bombolong fait l’objet d’une grande attraction de la part des touristes qui viennent dans ce coin situé non loin du site touristique de Cap Skiring. « Souvent les touristes sont là pour visiter cet instrument qu’ils regardent avec beaucoup d’admiration et de curiosité », rappelle l’étudiant Henri Ndiaye. C’est dire donc que le bombolong reste l’un des importants patrimoines de la culture diola qui continue encore de résister aux moyens modernes de communication. Cela explique la sacralité du local où sont gardés les bombolongs à Diembéring.
LE BUGARABU : LES FÊTES AU RYTHME DES PERCUSSIONS
Si le bombolong est le principal instrument à percussion pour annoncer des évènements malheureux en pays diola, le « bugarabu » anime des activités festives. Le rituel diola est un set de 3 à 4 tambours qui donne des sonorités exceptionnelles, et il s’adapte aussi à tous les styles musicaux. Presque toutes les cérémonies festives en pays diolas sont animées par le « bugarabu ».
Les instrumentistes battent les tambours avec la paume de leurs mains. Ils portent aussi des bracelets aux poignets qui s’entrechoquent pour donner un magnifique son. Certains maîtres du « bugarabu » comme Bakary Diédhiou alias Bakary Olé sont très célèbres. Très souvent, il accueille chez-lui des musiciens et des chercheurs musicologues du monde entier pour leur enseigner la « science du bugarabu ».
LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX, L’AUTRE CHARME DE DIEMBÉRING
Le village de Diembéring est niché au cœur d’une forêt tropicale bordée par l’océan atlantique, à une dizaine de kilomètres de Cap Skiring. Ici, la vie est rythmée par des rites et des rituels tout au long de l’année et au fil des siècles. Le syncrétisme religieux est l’autre charme de ce village touristique.
Le village de Diembéring se dévoile au bout de 30 minutes au sud du Cap Skiring. Leur mairie est juchée sur une dune boisée. Le cordon dunaire ceinture le village sur la partie orientale et méridionale. Des maisons sont réparties en harmonie de part et d’autre de l’artère principale, à l’ombre des manguiers, des kapokiers, des kaïcédrats et d’autres espèces végétales emblématiques. La route donne sur la place publique. Un fromager aux racines épaisses déploie, de tous les côtés, ses branches, comme pour protéger les étrangers et les résidents des abords.
Les enfants des touristes jouent au contrefort du fromager, c’est-à-dire les dépendances protégées par les parties supérieures des épaisses racines. Les touristes immortalisent leur passage avec l’arrière-plan de cette espèce emblématique. Le village était une forêt vierge il y a 3.000 ans. Un chasseur venu de la Guinée Conakry aurait aménagé une hutte en bambou appelée en mandingue
« Diémbérinnio », qui donnera Diembéring par déformation. Aujourd’hui, on ne retrouve pas une hutte. Et les paillotes disparaissent. Les maisons portent les signes d’une ère de modernité. Mais, ce n’est que sur l’aspect architectural. Le village est ancré dans son passé. Ici, les vivants sont en communion avec l’esprit des ancêtres. Les religions révélées n’ont pas encore conquis le cœur de l’écrasante majorité des habitants. « Les animistes sont plus nombreux à Diembéring », affirme le chef de village, Jean Diatta.
Dans des concessions, des coins sont aménagés. Ils sont réservés aux fétiches. Les pratiquants des religions révélées ne dénient pas le pouvoir des « bakine », fétiches en diola. Ces êtres invisibles qui animent la nature sont le rempart contre les mauvais esprits. Leur fonction sociale a transcendé et continue de transcender l’entendement. « Ce sont nos ancêtres qui nous ont légué ces pratiques culturelles. Nous ne pouvons que suivre leur chemin. Nous avons, à plusieurs reprises, vu que ce sont les fétiches qui ont résolu plusieurs problèmes. Combien de fois des personnes malades qui se sont soignées sans succès dans les hôpitaux finissent par retrouver la santé après l’intervention des fétiches », vante l’un des chefs d’un des 7 quartiers, Emile Diatta.
L’organisation sociale pour préserver les coutumes
Perdu au milieu d’une forêt tropicale, le village n’est pas fermé. Il est ouvert sur le monde. La quiétude des rues serpentant entre les palissades est perturbée par les pétarades des Vtt des touristes. Les incursions et les excursions ne menacent pas les us et coutumes. A Diembéring, la vie est rythmée par les rites et les rituels tout au long de l’année. Les ressortissants qui sont dans les villes sont obligés de revenir s’abreuver à la source des pratiques ancestrales.
« Au mois de juin, juillet, et entre octobre et décembre, des cérémonies traditionnelles sont organisées. Les jeunes qui sont dans des villes sont obligés de revenir pour aider leurs parents dans la culture des champs. Il y a une organisation sociale qui favorise la transmission de cet héritage culturel de génération en génération », assure le chef de village.
A la place publique, la paroisse Saint Joseph de Calasenz est l’indice que le village n’est pas seulement habité par les animistes. Toutefois, les musulmans, les chrétiens et les animistes vivent en parfaite harmonie, certains diront en symbiose. « Au sein d’une famille, on peut retrouver à la fois des musulmans, des chrétiens et des animistes. Chacun vit sa religion. Et tout le monde est en paix. Parfois, lors des fêtes musulmanes, ce sont les chrétiens qui cuisinent et vice-versa », confesse Jean Diatta.
Une chaîne de dunes est coiffée par des arbres ceinturés çà et là par des plantes rampantes. Quelques habitats sont érigés sur les monts qui descendent les rizières. A la lisière des rizières, un peuplement de fromagers s’impose par leur taille et l’expansion de leur colonie. On y dénombre plus d’une centaine entre l’élévation et la dénivellation en allant vers des rizières. « Nous ne pratiquons ni la culture sur brulis, ni la production du charbon de bois. La protection des forêts fait partie de nos pratiques. Nos séances de reboisement sont organisées chaque année », assure Henri Ndiaye, l’étudiant en Master en Sciences de la vie et de la terre à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Les menaces viennent de la mer
Derrière les maisons, dans un vallon vers la mer, des résidences des Blancs bordent le campement « La Casa ». Diembéring attire les Occidentaux surtout les Espagnols. Au sud de la localité, les roulements des vagues sont perceptibles à plusieurs mètres, loin des belles plages sablonneuses.
Lorsqu’on y arrive, une émotion nous étreints. Les vagues ont déraciné les filaos qui sont sur le trait de côte. La terre recule. La mer avance de plus de 1,5 mètre chaque année. C’est la moyenne. « L’avancée de la mer reste une défi pour Diembéring. L’eau a englouti presque toutes les rizières qui étaient au sud du village. Nous ne pouvons rien y faire sans l’intervention de l’Etat », se résigne le chef de ce village, considéré comme l’un des plus avancé sur la mer en basse Casamance.
Dans ce village, l’un des rares endroits où l’on parle le dialecte diolas « kwatay », les habitants jurent qu’il n’y aura jamais la guerre des religions. L’écrivain Pierre Miquel, en publiant son livre « Les Guerres de religion » en avril 1991, n’avait pas pensé au syncrétisme religieux qui défiera le temps dans les forêts tropicales de la Basse Casamance.