ICI, ON TOURNE LES POUCES
Oisiveté, manque de loisirs… Les jeunes de Ranérou face à l’absence d’infrastructures
Avoir dix, quinze ou vingt ans et vivre à Ranérou n’est pas une partie de plaisir pour les jeunes. Avec le manque d’espaces de loisirs, cette frange de la population n’a pas le choix pour sa détente et sa distraction. Que ce soit dans le chef-lieu de département ou encore les communes et villages de l’intérieur de ce département, les jeunes ne trouvent rien à faire et s’ennuient à mourir. Leur existence marquée par l’errance, l’oisiveté et le manque d’espaces de loisirs est un éternel recommencement.
Les vacances sont les moments de l’année où les jeunes de Ranérou font face à l’ennui. Elles s’annoncent longues comme un jour sans pain. Aucune activité n’est organisée. Pendant cette période, il ne fait pas bon à vivre dans cette contrée perdue et enclavée. Point de distraction. Aucun moyen de s’évader. Les soirées musicales, théâtrales et autres activités culturelles sont quasi inexistantes. L’indigence de l’offre handicape les jeunes qui constituent la majorité de la population.
En se promenant dans les rues de cette ville, l’on se rend bien vite compte que les jeunes n’ont guère le choix. Pas de Centre départemental d’éducation populaire et sportive (Cdeps), pas de stade, pas d’espace jeune, pas de centre culturel, rien. Ranérou ne dispose d’aucun espace de loisir où ses jeunes pourraient se retrouver.
Sur un terrain de football sablonneux loin de répondre aux normes, une flopée de jeunes s’échinent sous le soleil meurtrier et tapent sur le ballon. Arborant des maillots floqués aux noms de Ronaldo, Messi, Neymar, Mané, Aubameyang, Kane, ils ne rêvent pas de devenir de futures stars, mais veulent juste se livrer à leur passion.
Ici, le football est devenu, par la force des choses, roi des activités. « Il n’y a que le football qu’on peut pratiquer comme activité de loisir. Et on n’a même pas terrain digne de ce nom », lance Amadou Bâ. « On n’a que ça à faire pendant nos vacances », renchérit-il. Pour ses camarades et lui, le sport, le football particulièrement, est le seul moyen d’atténuer leur vie monotone et ennuyeuse.
Le calvaire d’être jeune à Ranérou
Les journées sont très longues, les nuits interminables. Les jeunes s’ennuient à mourir, faute de lieux d’évasion. Ils sont livrés à eux-mêmes, à la morosité et au désœuvrement. Ils ne savent plus quoi faire de leurs longues journées de vacances. Depuis toujours, ils se retrouvent devant un vide terrible qu’ils n’arrivent pas à combler. Une situation qui désole Adama Bâ dit Moussa, étudiant et bénévole à la mairie de Ranérou. « On est en vacances et dans beaucoup de villes du Sénégal, les jeunes ont démarré leurs activités, mais à Ranérou, c’est loin d’être le cas », regrette-t-il.
Selon lui, la création du Conseil départemental de la jeunesse (Cdj) et des Conseils communaux de la jeunesse (Ccj) avait suscité un espoir chez les jeunes. Mais ces structures, indique-t-il, n’ont pas les moyens de leur politique. « On ne les sent pas trop. De plus, les jeunes sont beaucoup trop engagés en politique pour qu’ils ne parviennent à se retrouver ».
Pour Adama Bâ, les associations sportives culturelles devant encadrer les jeunes n’ont pas les moyens ni l’accompagnement nécessaire pour s’acquitter de leur mission. « Malgré la bonne volonté qui anime leurs membres, elles sont dans l’impossibilité de répondre aux attentes de cette jeunesse », informe-t-il.
Pour Bocar Diallo, président du Conseil départemental de la jeunesse, cette triste situation des jeunes de Ranérou commune s’applique à tout le reste du département. « Nous sommes dans un département très enclavé. Hormis Ranérou commune, qui se trouve sur la route nationale, les autres localités sont extrêmement éloignées et enclavées. Les infrastructures y brillent par leur absence. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas voir certaines activités se dérouler dans ces localités-là », confesse-t-il.
Un centre socio-culturel en construction
À Ranérou, le manque est criant. Même le Cdeps n’a pas de siège. Une pièce très étroite logée dans l’ancienne base de la Soseter sert de bureau à son directeur Mamadou Diallo. Ici, c’est le désert, nous dit-il. Les jeunes n’ont pas de local.
« En dehors de ça, il n’y a que la mairie qui dispose d’une salle utilisée pour des réunions. Les lieux de loisir n’existent pas à Ranérou », note-t-il. « On a un stade multifonctionnel, mais il n’est pas fonctionnel. Il est clôturé, mais à l’intérieur il n’y a rien. Sur le plan infrastructures sportive et socioéducative, c’est presque rien et dans les autres communes, il n’y a que des aires de jeu qui ne sont pas réglementaires », fait-il savoir.
Souleymane Gallo Ba, conseiller municipal de Ranérou, soutient que la municipalité ne dispose pas d’infrastructures dédiées aux jeunes. Pour combler ce vide, argue-t-il, la mairie est en train de construire un centre socio-culturel grâce à l’appui de la Banque mondiale. Cette infrastructure abritera, selon ses dires, un théâtre de verdure, une bibliothèque, un centre multimédia, un centre de formation, etc. « Toutes ces infrastructures entrent dans le cadre de la promotion de la jeunesse », indique-t-il.
Pour le directeur du Cdeps, il n’y a que le football qui est pratiqué à Ranérou. Les autres disciplines comme le basket, le handball et l’athlétisme n’existent pas, fait remarquer Mamadou Diallo. En dehors des « navétanes » qui démarrent tardivement, soutient-il, des associations organisent de temps en temps des concerts, des séances de lutte traditionnelle (janvier, mars, avril, mai). Et ces manifestations se tiennent à l’air libre.
Le « boul faalé », une boisson qui fait des ravages
L’oisiveté est mère de tous les vices. À Ranérou, certains jeunes, à force de ne rien faire, s’adonnent à l’alcoolisme. Et de quelle manière. Leur boisson prisée est le « boul faalé », un parfum de 90° qui inonde les loumas de Ranérou qu’ils absorbent. Une fois ivres, bonjour les dégâts. Les bagarres ne manquent pas. Et elles sont suivies d’homicides ou de graves blessures. Et c’est l’oisiveté qui est tenue par certains pères de famille comme responsable de cette situation désolante. Aveu d’impuissance ! « Un jeune oisif ne peut pas résister à toutes les tentations », nous dit-on.
Le préfet du département dénonce l’usage fait de ce parfum et qui fait des ravages chez les jeunes. « C’est un alcool à 90°, mais sur le plan sanitaire, il a des conséquences néfastes notamment sur la santé mentale », note Amadoune Diop. Le phénomène du « boul faalé », dit-il, est très répandu dans le département, notamment dans la commune de Louguéré Thiolly. « C’est la cause de beaucoup de conflits et d’insécurité parce quand on est ivre, on est capable de faire des atrocités », note-t-il.
Pis, regrette-t-il, « il arrive de voir des parents acheter ce produit pour leurs enfants pour les amener à être encore plus courageux ». De l’avis du préfet, seul l’argumentaire médical peut aider les populations, surtout les jeunes, à abandonner l’usage de cette « boisson » néfaste à leur santé.
Pour Adama Ba, le « boul faalé » est une réalité dans le département mais, se défend-il, « les jeunes qui usent de cette boisson viennent de Louguéré Thioly, Vélingara et autres localités ». Selon lui, « Ranérou a une jeunesse saine dont le seul souci est d’aller de l’avant ».
Bocar Diallo, président du Cdj, soutient que la donne a complètement changé par rapport aux années 2007-2008. « Les jeunes abusaient dangereusement de cet alcool, mais depuis il y a eu quelques changements avec notamment la présence de la gendarmerie qui a pris des mesures pour limiter les dégâts ».
Les efforts du préfet en ce sens sont salués par le directeur du Cdeps. « Il en a fait son cheval de bataille et essaie d’éradiquer l’utilisation du « boul faalé ». Lors de ses tournées dans le département, il ne parle que de ça », indique Mamadou Diallo.
Le préfet Amadoune Diop assure que des séances de sensibilisation ont été menées sur les méfaits du « boul faalé » et aux catastrophes qu’il représente au sein de la société. « L’action fondamentale, c’est de lutter contre ce produit nocif, eu égard aux conséquences qu’il engendre. Si l’enfant est malade, tous les biens de la famille sont mobilisés pour le soigner et ce sont les femmes les principales perdantes dans cette affaire parce que ce sont elles qui s’occupent des familles », note le préfet.
Des mesures sont prises pour contrecarrer l’usage de ce produit, selon le préfet, avec notamment une surveillance accrue dans les différents marchés hebdomadaires du département. « La gendarmerie a déjà mené une grande opération dans le département. Il y a eu des arrestations et d’importantes quantités de « boul faalé » ont été saisies ». Pour lui, c’est par la sensibilisation que la tendance pourra être inversée. Dans le cadre du renforcement de la sécurité de la zone, ajoute le préfet, une compagnie de gendarmerie sera installée à Ranérou, avec des postes à Louguéré Thioly, Vélingara, Salalatou.
Ce qui permettra, à son avis, de renforcer le maillage et permettre une meilleure sécurisation contre la délinquance dans le département. « Une partie de Ranérou est frontalière avec Koumpétoum, dans la région de Tambacounda. C’est une zone qui fait souvent l’objet de braquages. Nous allons aussi sécuriser les "loumas" (marchés hebdomadaires), le territoire et toute la zone », soutient le préfet Amadoune Diop.
L’Etat et les collectivités locales pointés du doigt
Les autorités locales et l’Etat sont pointés du doigt pour avoir négligé des années durant l’aspect loisirs, laissant ainsi la jeunesse livrée à elle-même. De l’avis de Coumba Diallo, les autorités sont incapables de répondre aux attentes des jeunes en matière de loisirs et d’activités distractives. Et pourtant, dit-elle, ces espaces auraient permis aux jeunes de se détendre, mais aussi d’assurer une stabilité sociale en luttant contre l’oisiveté qui est la mère de tous les vices.
« Le ministère de la Jeunesse, celui des Sports et aussi de la Culture sont censés mettre en place une politique dans ce sens pour permettre à notre jeunesse de s’épanouir comme tous les jeunes du pays, mais je ne crois pas qu’ils puissent localiser Ranérou sur la carte du Sénégal », se désole cette élève.
Pour Bocar Diallo, les collectivités locales ont leur part de responsabilité dans cette oisiveté des jeunes. « Depuis l’érection de Ranérou en département en 2002, aucun investissement pour la jeunesse n’a été noté. On n’a eu que des promesses à la place. Les autorités promettent qu’elles vont accompagner la jeunesse, mais elles n’accordent aucun moyen aux jeunes. Elles n’ont pas de politique de jeunesse ». Cette situation freine, à son avis, l’épanouissement des jeunes qui n’ont d’autre choix que de prendre leur mal en patience.
Le directeur du Cdeps estime pour sa part que c’est à l’État d’aider la population en mettant en place des infrastructures. « Le ministère de la Jeunesse sait ce qui se passe ici. Pendant les vacances citoyennes, il vient à Ranérou. Alioune Sow et Mamadou Lamine Keïta sont tous venus ici. C’est peut-être l’actuel ministre (Mame Mbaye Niang) qui n’est jamais venu à Ranérou, mais avant lui, tous les ministres sont venus et à chaque fois ce sont les mêmes problèmes que les jeunes posent : celui de l’emploi ».
Toutefois, note-t-il, le Cdeps organise, en partenariat avec les collectivités locales, des sessions de formation à l’intention des jeunes. « Nous les avons formés sur la gestion administrative des associations, les règlements généraux des "navétanes", l’arbitrage, etc. Avant, les terrains de football étaient de véritables champs de bataille avec des violences inouïes. Après toutes ces formations, un changement de comportement a été noté. Avec la mise en place du Conseil départemental de la jeunesse, les jeunes ont commencé à prendre conscience de beaucoup de choses », explique-t-il.
Le Cdeps, indique-t-il, sensibilise aussi les jeunes à travers l’Odcav et le Conseil départemental de la jeunesse ; deux structures qui fédèrent toutes les associations à Ranérou.