LE DEFILE DES PIROGUES
COUCHER DE SOLEIL A SOUMBEDIOUNE
Sur la corniche ouest, beaucoup d’activités sont menées. Un peu plus loin après le quai, des jeunes profitent de ce cadre adéquat pour faire un peu de sport. On y trouve exposée toute une variété de fruits de mer. Entre les vendeurs, les pêcheurs et les clients venus faire leurs achats, l’ambiance est bruyante, et l’odeur de poisson ne semble pas gêner certaines vendeuses de beignets, de sandwiches et autres, confortablement assises devant leurs tables. Les acheteurs, eux, dégustent leur maïs grillé ou leurs beignets, les discussions sont taquines ; la belle vie, loin du stress. Sans parler de toutes ces pirogues, stars de la plage, qui viennent camper le décor, avec leurs très jolies couleurs ; un véritable feu d’artifice pour les yeux. Nous sommes à Soumbédioune, les pirogues ont un nom, un coût, des rituels et une histoire.
A Soumbédioune, elles sont exposées comme des tops models. Chacune d’entre elles porte un nom, à la sénégalaise : Yaye Marème Ndiaye, Soda Guèye, Ami Linguère ou encore Aïta Ndoye…Avec leurs couleurs vives et gaies, c’est un vrai feu d’artifice. Sous l’effet du coucher du soleil, leurs textures, lisses à cause du vernis, scintillent, et l’odeur de la brise de mer se mélange à celle de la peinture toute fraîche. De ce côté, nous avons des pirogues toutes neuves, et de diverses dimensions : de 7 à 9 mètres.
Le vieux Ngagne Sow est occupé à vernir avec soin une pirogue, qu’il dit être la sienne. Ce père de famille s’active dans la vente de pirogues depuis 35ans. «Je me procure du matériel de fabrication à Parc Lambaye pour ensuite le remettre au sculpteur, qui confectionne un produit fini. Mais pour les derniers réglages comme la peinture et le choix du nom, je préfère m’en occuper de mes propres mains, pour mieux choisir mes couleurs. Le matériel de fabrication, on se le procure à Buntu Pikine (à l’entrée de Pikine, Ndlr), plus précisément à Parc Lambaye, et nous n’avons aucun problème pour l’achat de cette matière première. »
Pour confectionner une pirogue, explique Ngagne Sow, il faut au moins trois «sortes de bois : le caïlcédrat (khaya senegalensis, Ndlr), le neem, originaire d’Inde, le bois rouge. Le nom que l’on grave ensuite sur la pirogue est très important parce que, dans notre société, nous avons la conviction que quand on donne un nom à son enfant, il devient typiquement comme son homonyme ; les pirogues sont certes des objets mais elles nous sont si chères…Si vous étiez de la communauté lébou, vous comprendriez mieux. On peut donner le nom de sa mère, de son grand-père ou de son ami à une pirogue. »
Il faut dire aussi que les prix ne sont pas fixes : «Pour la fabrication d’une pirogue, je peux investir 600.000f CFA, parfois 400.000f ou 500.000f CFA, détaille Ngagne Sow, pour ensuite la revendre à 900.000f CFA ou 950.000f CFA. Mais sur celle où je suis actuellement, je ne compte pas la vendre mais la soumettre à un groupe qui va aller en pêche sur les eaux gambiennes et dakaroises. Mais avant de la laisser se balader sur les vagues, comme tout lébou bon pêcheur, je procède à des rituels. La pirogue qui s’apprête pour son premier voyage est comme un lutteur qui doit aller à l’arène. Oui, c’est un combat. Nous allons voir les marabouts pour les talismans et autres et agir conformément à notre tradition. »
Au-delà de cet aspect mystique, il y a quelques conditions à remplir, pour que la pirogue ait le droit de circuler librement : «Pour fonctionner de façon légale, il faut se procurer les papiers d’immatriculation dont les frais s’élèvent à 15.000f CFA». Le vieux Ngagne Sow dit vivre de son métier, parce que c’est grâce à ce qu’il gagne de la vente de ses pirogues, qu’il a acheté son terrain, construit sa propre maison, épousé une femme et financé les études de ses enfants.
DE PERE EN FILS…
De l’autre côté, on trouve surtout les pirogues qui ne sont plus toutes neuves, et dont le bois gondolé signifie qu’elles sont récemment allées en mer. Sur l’une d’elles est assis un jeune homme. Il mange avec gourmandise un sandwich qu’il tient entre ses deux mains. Alassane Ndiaye, qui nous apprend qu’il est dans sa trentième année, raconte que son père lui-même était aussi propriétaire de pirogue, à l’âge de 12 ans déjà. « Cette pirogue sur laquelle je suis assis est la mienne. C’est mon père qui me l’avait offerte et il m’a permis d’en confectionner une autre. Là j’en ai deux. Avec celle-là, je vais en mer avec trois de mes amis pour aller pêcher sur le littoral de la Gambie et Dakar, ensuite je vais vendre ces ressources halieutiques à des usines qui se trouvent à Yarakh. Puis vient la dernière étape, qui consiste à se partager le bénéfice. On la subdivise en 6 parts, revenant respectivement au moteur, à la pirogue, au propriétaire de la pirogue et aux trois autres personnes participant à l’opération. Ce que je perçois pour le moteur et la pirogue, je l’épargne, au cas où, pour une réparation à faire ou pour un dépannage imprévu. Quant au versement, il varie comme le dollar. On peut gagner 700.000f ou 600.000f CFA par voyage ; même si, des fois, nous nous retrouvons avec 100.000f CFA ou 15.000f CFA par jour. Parfois, on n’arrive même pas à avoir 1000f CFA par jour. Pour la pêche, nous pouvons faire des trajets de 15km sur les eaux».
De l’ambition, notre interlocuteur en a à revendre. Alassane Ndiaye projette justement de fabriquer encore plus de pirogues, qu’il va mettre à la mer, après la peinture et le vernis, après le baptême et les autres rituels, histoire de s’activer pleinement dans le secteur de la pêche.