UNE VIE AU SERVICE DE LA TIDJANYA
ABDOU AZIZ SY AL AMINE
Six mois seulement après avoir pris la tête du khalifat de la tarîqa Tijanya, Serigne Abdou Aziz Sy Al Amin tire sa révérence à l’âge de 90 ans. grand intellectuel, cultivé, véridique, engagé, unificateur, racé, élégant et homme de son temps, il a consacré toute sa vie à la confrérie Tidjane et perpétué l’oeuvre de son grand-père el hadji Malick Sy.
Devenu khalife général des Tidjanes par la succession de son grand-frère Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, décédé le 16 mars dernier, Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine n’aura pas duré au Khilaafa. Il a passé six petits mois à la tête de la confrérie. Très tôt pourtant, son père Serigne Ababacar Sy (Al Khalifa) lui a mis le pied à l’étrier en le désignant comme son bras droit.
Alliant disponibilité, pragmatisme et efficacité, il devient le porte-parole de la confrérie Tidjane à l’avènement de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh en 1957. D’abord, Serigne Mansour Sy Borom Daraadj, ensuite Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, tous le maintiennent à ce poste. Il ne le quitte qu’en mars 2017 pour devenir le sixième khalife.
Grâce à cette position, il a côtoyé et collaboré avec tous les Présidents depuis l’indépendance du Sénégal et même avec l’administration coloniale. Ainsi, il a étroitement travaillé avec Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Me Abdoulaye Wade et Macky Sall. Fin négociateur et doté d’un sens inné de persuasion, il n’hésitait pas à prendre son bâton de pèlerin pour pacifier les relations. C’est ainsi qu’en 1994, il a accompagné Serigne Abdoul Aziz Dabakh au Palais de la République pour plaider auprès du Président Abdou Diouf la libération de Serigne Moustapha Sy, condamné à un an de prison ferme pour offense au chef de l’Etat. Ce, malgré les rapports un peu tendus qu’il entretenait à l’époque avec le guide moral des ‘‘Moustarchidines Wal Moustarchidati’’. Lors du duel épique entre Me Abdoulaye Wade et Idrissa Seck, il a dépensé et son énergie et son temps pour réconcilier l’ancien Président et son Premier ministre. On se rappelle encore les fameuses audiences de midi.
Véritable militant de la paix, il ne se donne pas de répit lorsque le front social est en ébullition. Il profite de toutes les occasions pour demander à la classe politique de se retrouver autour de l’essentiel et de travailler pour le développement du pays. Par conséquent, dès que la stabilité du pays est menacée par des conflits politiques, il monte au front pour éteindre les foyers de tension. Au tout début de l’affaire Khalifa Sall, il avait demandé au Président Macky Sall de faire preuve de magnanimité et de libérer le maire de Dakar incarcéré pour détournement de deniers publics.
Homme de principes, il se souciait peu des critiques que ses positions pouvaient susciter auprès d’une certaine frange de l’opinion. Pendant plus de 60 ans, Abdou Aziz Sy Al Amine a été la pierre angulaire de l’organisation du Maouloud à Tivaouane. Malgré le poids de l’âge, il a su piloter de main de maître les grands évènements religieux organisés dans la capitale de la Tijanya. Il est en quelque sorte le bouclier de la Tarîqa.
Grand intellectuel et ayant une vision très lucide de la géopolitique, il n’hésitait pas à élever la voix pour dénoncer les cruautés opérées un partout dans le monde. D’ailleurs, sa dernière déclaration publique était destinée à la communauté internationale et portait sur le massacre des Rohingyas en Birmanie. C’est cet homme multidimensionnel à l’élégance légendaire et à la gestuelle policée qui vient de tirer sa révérence, plongeant dans le deuil les talibés tidjanes, la communauté musulmane ainsi que tous les Sénégalais.