UNE VIE EN DISCRÉTION ET SIMPLICITÉ
Milliardaires sénégalais
Au Sénégal, on compterait difficilement sur les doigts des deux mains le nombre de personnes qui établiraient sans sourciller un chèque d'un milliard F Cfa. Les noms qui reviennent le plus souvent : Aliou Sow, Yérim Sow, Baba Diao, Cheikh Tidiane Mbaye, Ameth Amar, Pierre Goudiaby Atepa. Comment vivent les super riches sénégalais ? Où passent-ils leurs vacances ? Quelles sont leurs passions ? "L'AS" est allé à la rencontre de quelques unes de plus grandes fortunes du pays
Le rachat de Tigo par Kabirou Mbodji de Wari à coup de 80 milliards, a ramené au devant de la scène, les plus grosses fortunes du Sénégal. Mais au fond, c'est quoi être milliardaire. Ils ont plusieurs résidences au Plateau, à Fann Résidence, aux Almadies, à Saly, à la Somone, à Ngaparou et à l'étranger, ont des hectares de terres en province, voyagent en business, ont un parc automobile impressionnant, etc.
Cependant, il est plus facile de dénicher une aiguille dans une botte de foin que de faire parler ces milliardaires qui font partie des plus grandes fortunes du Sénégal. Contrairement aux oligarques russes qui affectionnent le bling bling et affichent outrancièrement leur opulence en menant un train de vie d'une grande extravagance, les trois milliardaires sénégalais qui ont accepté de se confier à "L'AS" cultivent la simplicité.
Bien loin de la jet-set, même s'il ne rechigne pas à la dépense, l'un d'eux qui nous a accueilli dans sa luxueuse demeure nichée dans le quartier huppé de Fann-Résidence de la capitale perçoit l'argent comme un simple moyen de résoudre ses problèmes. Avec sa mise sobre et décontractée, notre hôte, qui est à la tête d'un florissant empire agro-alimentaire, passerait pour Monsieur Tout-le-monde n'eut été son compte en banque. Aucun signe extérieur de richesse. Il cultive tellement une image de grand modeste qu'il est absent du répertoire des vedettes et autres starlettes de la musique sénégalaise promptes à chanter les louanges des nouveaux riches.
Pour s'évader, il fait le tour du monde pour voir Barca jouer
Intervenant sous le sceau de l'anonymat, l'homme qui a monté sa première société en vendant sa petite voiture il y a quelques décennies, est heureux de sa réussite. Son chiffre d'affaires est estimé à plusieurs dizaines de milliards F Cfa. Mais il n'en plastronne pas. Le secret de sa réussite ? "Le travail, le travail et le travail. Après vient la chance", confie-t-il.
Malgré sa fortune, il refuse de tomber dans l'extravagance. "J'ai bien vécu ma jeunesse, c'est pourquoi je ne peux pas me permettre de faire certaines folies, comme par exemple m'acheter des montres Rolex ou aller au Grand Théâtre distribuer en veux-tu en voilà des enveloppes d'argent", dit-il.
Discret mais pas radin, ni frugal, notre interlocuteur a ses habitudes dans un palace très cosy situé près des Champs-Elysées lorsqu'il séjourne en France. Il s'offre quelques plaisirs en fréquentant les meilleures adresses du monde. "La seule satisfaction que je peux tirer de ma fortune, c'est de résoudre mes problèmes lorsque j'en ai. Comme le dit Thione Seck dans une de ses célèbres chansons "nga am sa sokhla, lamb sa poche, fajko si saasi, jarnaa jarnaa liguey ba deh", affirme cet entrepreneur qui fait partie des hommes d'affaires les plus influents du pays.
La soixantaine, il prend donc le temps de profiter des résultats de ses efforts. S'il abhorre la flagornerie des laudateurs et s'évertue à vivre loin des projecteurs, il n'en demeure pas moins qu'il investit beaucoup dans le social. "Je me sentirai mal à l'aise de ne pas aider les gens, alors que j'en ai les moyens", souffle-t-il.
Mordu de football et de tennis, notre interlocuteur est un inconditionnel de l'équipe du FC Barcelone. Il est très souvent aux premières loges lorsque Lionel Messi et sa bande jouent. Il n'hésite pas à se déplacer partout dans le monde pour se délecter des exploits footballistiques du trio MSN.
Lorsque je veux me reposer, je prends l'avion et je vais à Paris
A l'image d'un Warren Buffett (actuel troisième homme le plus riche du monde) connu pour la vie particulièrement simple qu'il mène, le deuxième milliardaire qui s'est entretenu avec "L'AS" allie sobriété, modestie et sérénité. Les pieds sur terre, il fait profil bas. Dans un restaurant du centre-ville où rendez-vous pris en cette fin de matinée, l'homme, jovial et zen, lève volontiers le voile qui entoure sa vie de superriche. Au moment où certains de ses pairs cassent la baraque dans tous les sens du terme, lui mise sur les relations humaines.
"Ce qui me fait plus plaisir, c'est d'avoir des relations humaines", évacue-t-il à la question de savoir ce que la réussite financière a changé dans son existence. Instituteur, il a fait fortune dans le domaine maritime après avoir vendu, dans les années 70, sa Renault 4 pour acquérir deux pirogues. Le flair aidant et grâce à un bon choix, il fructifie ses affaires en investissant beaucoup dans l'immobilier. Il est propriétaire terrien au Sénégal, au Maroc et en France.
Confidence de notre interlocuteur : "j'investis dans l'immobilier pour éviter d'avoir de l'argent liquide dans les banques".
S'il est parvenu à trôner à la tête d'un immense patrimoine, c'est qu'il a refusé de s'éparpiller dans ses investissements. Bien au contraire. Il a privilégié le développement vertical. "Par exemple lorsqu'on est dans la presse, on doit mettre en place une imprimerie, une papeterie et un bon réseau de distribution, si bien que si l'une des branches connaît des difficultés qu'elle puisse être redressée par les autres et vice-versa", explique notre milliardaire qui estime que l'Ecole de commerce (en France) où il s'est formé l'a beaucoup aidé dans ses activités managériales.
L'homme qui ne joue pas les stars, en dépit de sa richesse, mène une vie "saine" et simple. "Chaque soir, je suis au grand place avec mes amis où les attributs et autres titres ne comptent pas. Pour moi, l'argent c'est l'œuvre du diable, c'est pourquoi je refuse de m'enfermer dans un certain carcan. Je vis le plus simplement du monde possible, je n'ai aucun stress. Je peux garder 5.000 F Cfa dans ma poche pendant une semaine et ne pas les dépenser, car je n'ai aucun besoin lorsque je sors de chez moi. Je ne bois pas, je ne fume plus et je ne drague pas", assure notre interlocuteur qui, cependant, a dépensé sans compter dans l'éducation de ses enfants qui ont fait leurs études dans les plus prestigieuses universités nord-américaines (Canada, Etats Unis).
La réussite de ces derniers fait aujourd'hui sa fierté. Cultivant à fond la caisse une image de grand modeste, il ne s'est permis qu'une folie : une Rolls Royce acquise auprès du chauffeur d'un prince saoudien. "Puisque dans le monde des affaires, l'habit fait souvent le moine, j'avais acheté cette voiture pour donner une certaine image de moi auprès de mes partenaires français", rigole-t-il ajoutant qu'il l'a offerte en "addiya" au khalife général d'une grande confrérie du pays, marabout de sa première épouse. "Comme je ne m'en servais pratiquement pas, mon épouse m'a demandé de l'offrir à son marabout et j'ai accepté pour lui faire plaisir".
C'était il y a une vingtaine d'années. Faisant chambre à part à avec ses épouses depuis deux décennies afin de gérer comme il le souhaite ses moments de sommeil, notre interlocuteur qui a occupé de hautes fonctions étatiques embarque à bord du premier avion dès qu'il éprouve le besoin de se reposer. Direction : Paris où il dispose d'un pied-à-terre. "Lorsque j'y vais, je pars seul. Maintenant si une de mes épouses souhaite m'y rejoindre, libre à elle. Elle vient, fait ses courses le temps qu'elle veut et rentre. Voilà comment je vis, sans pression", sérine notre septuagénaire.
Notre troisième interlocuteur est aussi de cet âge-là. Depuis plus de quarante ans, la carrière de l'architecte Pierre Goudiaby Atepa rime avec célébrité et fortune. Au commencement était le siège de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'ouest (Bceao). Au début des années 70, presque trentenaire, il gagne en compagnie de Cheikh Ngom, un autre monstre sacré de l'architecture sénégalaise, la maquette du siège de cette prestigieuse institution monétaire devant de grands cabinets français. Peu de temps après ce succès, il fait cavalier seul.
Le banquier Abdoul Magib Ndao, boss de la BIAO lui fait confiance et lui prête trois millions de F Cfa. La saga se poursuit. Il gagne une dizaine de concours : Senelec, siège de la BHS (Banque de l'habitat du Sénégal) et imprime sa marque sur toutes les constructions de la Bceao en Afrique de l'ouest. Bien que reconnaissant être multimilliardaire, Pierre Goudiaby Atepa ne donne jamais le montant de sa fortune. Même pas un chiffre approximatif.
Les secrets de sa réussite ? "Le Président Senghor m'a certes aidé en me connectant à Sassou Nguesso, tout comme ses successeurs Diouf (il m'a recommandé à Mobutu) et Wade, mais je pense que dans la vie, il faut du talent, la confiance en soi, la rigueur, le maximum d'honnêteté et se dire qu'il y a forcément des hauts et des bas, confesse-t-il. Senghor m'a dit un jour, au tout début de ma carrière : Aide-toi et le Ciel t'aidera. Le coup de pouce seul ne suffit pas."
Atepa, montre en or au poignet (pour lui, c'est un placement), considère que l'argent c'est juste un moyen et non une fin en soi. "Ce ne sont pas les milliards qui sont importants. Si l'argent doit me permettre de régler mes problèmes et d'aider d'autres, cela veut dire que c'est extrêmement important d'en posséder."
Aux jeunes générations, l'un des premiers et rares Sénégalais à avoir eu un bureau sur les Champs Elysées à Paris, recommande d'avoir des principes, de faire des compromis mais de ne jamais verser dans les compromissions, de se remettre tout le temps en question, d'avoir de l'ambition, de la rigueur et le goût du travail bien fait.
En somme, ne jamais se presser pour arriver au sommet. Ombre au tableau, on ne connaît aucune dame aussi liquide que les Yérim Sow, Baba Diao, Babacar Ngom, Ameth Amar…