«NOUS AVONS UN POTENTIEL PLUS IMPORTANT QUE LE GAZ ET LE PETROLE, C’EST LE SPORT»
MATHIEU CHUPIN, MANAGER GENERAL DE DAKAR SACRE CŒUR
Champion de la Ligue 2 la saison dernière, Dakar Sacré Cœur évoluera cette saison dans l’élite du football sénégalais. Alliant rigueur, travail et discipline, Mathieu Chupin a su maintenir son club dans une constance ces dernières années. Une récompense méritée pour cet infatigable acteur du sport sénégalais. Dans cet entretien accordé à «L’AS», le manager de Dakar Sacré Coeur revient sur le parcours exceptionnel de son club. Le sacre, la montée en Ligue 1, les objectifs pour la nouvelle saison, l’équipe nationale, les infrastructures, le malaise du football local… Mathieu Chupin se livre.
QUEL BILAN TIREZ-VOUS DE LA SAISON PRECEDENTE ?
C’est plutôt un bilan satisfaisant. L’équipe première a validé son ticket pour la première division. Nous avons franchi un certain nombre d’étapes, avec l’organisation au niveau du club. Nous avons enregistré l’arrivée de ressources humaines comme celle de Bruno, l’entraîneur de l’équipe professionnelle et responsable de la réserve, mais également de Raphael. Ils étaient tous deux entraîneurs au Havre. Nous avons également recruté un personnel administratif de qualité pour consolider les acquis. C’est une saison marquée par cet enrichissement dans l’organisation qui a favorisé la montée en Ligue 1.
A PARTIR DE QUEL MOMENT AVEZ-VOUS SENTI QUE LE TITRE ETAIT JOUABLE ?
Je peux dire juste avant les cinq derniers matchs. A cinq journées de la fin du championnat, nous étions dans une situation où nous n’avions pas le choix. Il fallait engranger le maximum de points. A partir de ce moment, nous avions eu une communication très claire avec les joueurs, l’encadrement, toutes les composantes du club. Le mot d’ordre était de tout faire pour tirer le maximum de ces cinq derniers matchs et en finir avec une montée. C’est à partir de ce moment-là que je me suis dis qu’il y avait quelque chose à faire et que nous pouvions le faire.
QU’EST-CE QUI A ETE DETER- MINANT DANS CE PARCOURS ?
A Dakar Sacré Coeur, ce qui est déterminant, c’est un ensemble de choses. Derrière l’équipe, nous avons une grande organisation administrative. Il faut aussi souligner le professionnalisme immense de notre directeur sportif et de ses collaborateurs qu’il a fait venir. Ce sont des jeunes coachs sénégalais à qui il inculque des valeurs. Ce transfert de compétences est très important dans notre club. Je pense que c’est un élément déterminant qui nous permet aujourd’hui de glaner petit à petit des résultats.
UN TITRE, UNE MONTEE DANS L’ELITE. QU’EST-CE QUE CELA REPRESENTE POUR VOUS, MAIS EGALEMENT POUR CES JEUNES JOUEURS ?
Pour les jeunes, c’est un résultat concret. Au terme de la saison, nous avons transféré deux joueurs. Oussemou Ndiaye a signé un contrat professionnel de trois années à Lyon et Momo Mbaye a rejoint Cadix, un club espagnol. Donc, c’est une satisfaction individuelle pour ces jeunes-là, mais également une source de motivation pour leurs jeunes frères qui sont dans les centres de formation. C’est la continuité depuis quelques années. Ces dernières années, nous avions enchaîné les performances. Nous avons été demi-finaliste de la Coupe du Sénégal en trois ans, deux fois finaliste de la Coupe de la Ligue, demi-finaliste de la Coupe de la Ligue l’année dernière et champion en Ligue 2. Il y a une fierté qui est partagée par tous les joueurs. Il y a la joie de travailler dans de bonnes conditions, les infrastructures, les équipements, l’organisation. Cela donne un climat agréable.
DSC EVOLUERA CETTE SAISON EN LIGUE 1. QU’EST-CE QU’ON PEUT ATTENDRE DE VOTRE CLUB ?
Nous allons découvrir la première division et l’objectif majeur sera de se stabiliser. Nous venons pour apprendre et il faudra d’abord se stabiliser. Et comme j’aime à le dire, l’appétit vient en mangeant.
AU SENEGAL, ON A PARFOIS TENDANCE A DIRE QU’IL N’EXISTE PAS DE DIFFERENCE ENTRE LA L1 ET LA L2. PARTAGEZ-VOUS CET AVIS ?
Avec l’arrivée de la Sonacos et de Dakar Sacré Coeur qui vont rejoindre des équipes comme Diambars, Génération Foot, Jaraaf, Guédiawaye, la situation sera différente. Avec toutes ces équipes, nous allons de plus en plus avoir de championnat beaucoup plus attrayant au Sénégal. Nous avons des clubs qui investissent de plus en plus dans la formation. Moi je pense qu’il y a vraiment une différence entre la L1 et la L2. Nous avons des équipes avec une homogénéité presque similaire.
En Ligue 2, on peut avoir un écart plus important. En L1, on a plus de matchs dans les stades et c’est un élément important. Il y a quand même une différence de niveau. Il y a de plus en plus de joueurs qui restent au Sénégal. Tout cela contribue à avoir un championnat qui s’améliore chaque année.
CES DERNIERES ANNEES, NOUS AVONS ASSISTE A UNE NOUVELLE DONNE DANS L’ELITE, AVEC DES PROMUS QUI REMPORTENT LE CHAMPIONNAT (DOUANES, GOREE, GENERATION FOOT). PEUTON S’ATTENDRE A UN TEL SCENARIO AVEC DSC ?
Nous sommes tous des compétiteurs. Et chaque équipe pense au titre en démarrant la saison. Si nous avons cette possibilité, nous allons la saisir à fond. Mais je rappelle que l’objectif est de se stabiliser en Ligue 1.
LA STABILISATION DANS L’ELITE PASSE FORCEMENT PAR UN BON EFFECTIF. AVEZVOUS REUSSI A MAINTENIR LA MEME OSSATURE ?
Nous n’avons pas connu de départs majeurs. Les deux comeilleurs buteurs que sont Alassane Ndao et Meissa Bâ continuent de travailler avec nous. J’espère que la saison à venir sera une réussite pour eux, mais aussi pour le club en général. Nous avons un effectif acceptable, avec quelques renforts. Mais on prend le temps par rapport à ces renforts.
AVEZ-VOUS DEJA RETENU UN BUDGET POUR LA SAISON A VENIR ?
Vous me posez une question sur le budget, mais cela me donne l’occasion de parler des véritables problèmes d’aujourd’hui. Nous sommes dans la septième ou huitième année de la professionnalisation du football au Sénégal. Il y a quelques jours, j’ai participé à un séminaire sur cette thématique. Aujourd’hui, force est de constater que l’économie locale du football professionnel est véritablement au point mort. Notre sponsor principal nous a quitté et il n’accompagnera pas la Ligue de football professionnel. C’est regrettable. Je fais ce rapprochement entre les joueurs de l’équipe nationale d’Aliou Cissé et le championnat local. Le problème aujourd’hui c’est que pour construire un budget, il faut qu’on soit accompagné par l’Etat. Il faut absolument que l’Etat prenne conscience de l’importance de l’impact du football professionnel et du football en général. L’impact au niveau de la santé publique, au niveau du développement économique et social, au niveau de la notoriété du Sénégal au niveau international. Aujourd’hui, c’est à croire que nos dirigeants ne pensent pas que l’industrie du football professionnel peut se développer ici au Sénégal. C’est très regrettable. L’industrie du sport au Sénégal génère déjà plusieurs milliers d’emplois. Il est temps de comprendre cela.
MAIS A VOUS ENTENDRE, L’AVENIR DU FOOTBALL PROFESSIONNEL SEMBLE INCERTAIN ?
Je ne suis pas très optimiste dans l’immédiat. Nous avons eu de belles promesses, mais jusque-là, rien n’a été fait. Donc, ce sera très difficile cette année du point de vu budget. Au moment où je vous parle (NDL, l’entretien a été réalisé hier dans l’après midi), je cherche des solutions pour boucler un budget. Chaque club a ses réalités. Il y a certains qui ont des engagements financiers, des charges moindres qu’un club comme le nôtre. Il y a des clubs qui n’ont pas les mêmes recettes que Dakar Sacré Coeur, mais qui n’ont pas non plus les mêmes charges. Et aujourd’hui, nos charges sont colossales. Nous avons fait des choix forts et ces choix sont synonymes de dépenses importantes. Je commence vraiment à m’interroger. Les transferts de joueurs, autres ressources pour un club professionnel sont une véritable loterie, avec des clubs européens qui rechignent souvent à payer les indemnités, comme le prévoit la FIFA. C’est très compliqué. Donc, c’est difficile de trouver au Sénégal des entreprises qui s’engagent. Pour les droits télé, cela n’existe pas, recettes au stade, n’en parlons pas. Et la nouveauté, depuis la triste rencontre en Coupe de la Ligue entre US Ouakam et le Stade de Mbour, une poignée de supporters peut entrainer la mort de supporters, mais également la mort d’un club de football professionnel. Dans ce contexte, il est très difficile pour des présidents de clubs, de porter un projet. Vous vous rendez compte qu’aujourd’hui, on peut être sur 90 minutes radié et le club n’existe plus. C’est une nouvelle donne qui fragilise notre environnement.
QUEL ROLE OCCUPE LA FORMATION DANS VOS ACTIVITES QUOTIDIENNES ?
C’est l’essentiel. Dakar Sacré Coeur est un club professionnel, formateur. Comme son partenaire l’Olympique lyonnais, nous avons misé sur la formation. C’est notre projet majeur au sein du club. Nous voulons petit à petit construire un palmarès, grâce à la qualité de notre formation. Donc, je pense qu’elle est essentielle aujourd’hui. Nous avons des joueurs qui intègrent à partir de la catégorie U13. Ils sont encadrés et bénéficient pour la plupart logement, suivi médical, sportif, scolaire et d’autres activités. Nous essayons de faire en sorte que ces jeunes deviennent des hommes capables à se battre avec les bonnes armes dans la vie active. C’est notre ambition. Cette formation, elle est essentielle. C’est pourquoi il nous faut des moyens importants en place.
L’ARRIVEE DE PATRICK PAPIN SEMBLE CONFIRMER VOTRE VOLONTE DE TOUJOURS MISER SUR LA FORMATION ?
Nous avons enregistré l’arrivée de Patrick Papin qui vient de prendre sa retraite en tant que directeur du pôle espoir en Bretagne. Il a décidé de nous rejoindre pour nous apporter son savoir, son expertise au quotidien, en tant que responsable de la préformation. C’est une occasion de saluer cette chance extraordinaire de l’avoir, lui et les deux autres formateurs, ce qui fait de nous le seul club africain à avoir trois formateurs au sein de sa structure. C’est une immense fierté et je suis convaincu que ce choix fort de la formation va donner des résultats merveilleux dans les années à venir.
POURQUOI VOS JOUEURS QUI PARTENT A LYON PEINENT A S’INSERER, CONTRAIREMENT A CEUX DE GENERATION FOOT QUI INTEGRENT PRESQUE VITE LE GROUPE PRO DU FC METZ ?
Je ne veux pas du tout être méchant avec nos amis messins, mais on peut difficilement comparer l’Olympique lyonnais au FC Metz. Aujourd’hui, l’un des avantages du FC Metz, c’est la possibilité pour les joueurs issus de Génération Foot de s’entraîner et de jouer tout de suite avec le groupe professionnel. A Lyon, ce n’est pas du tout le même cheminement. On doit jouer avec l’équipe qui évolue en national, la réserve, avant de gravir les échelons. Avec nos partenaires de l’Olympique lyonnais, nous sommes en train de réfléchir sur ce cheminement et à l’idée de trouver une solution avec d’autres clubs partenaires. Cela permettrait à certains jeunes de gagner du temps de jeu en Ligue 2 par exemple, avant de regagner l’équipe première. Il faut aussi savoir que l’OL, c’est le deuxième centre de formation au monde. De ce fait, notre ambition, c’est d’avoir un à deux joueurs par promotion et qui pourront rejoindre L’Olympique lyonnais. C’est l’occasion de féliciter le travail de Génération Foot ou encore de Diambars qui sont nos aînés. Ce sont les pionniers quoi ont eu le mérite de s’engager dans ce lourd chantier de la formation.
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES DE DSC, NOTAMMENT COTE INFRASTRUCTURES ?
Nous avons des activités foot loisirs qui sont très importantes pour le club. Nous avons un gros chantier prévu dans quelques mois. C’est le remplacement du terrain synthétique qui commence à avoir fait son temps. Nous sommes dans ce chantier. Mais ma préoccupation actuelle, c’est d’arriver à trouver un budget , des partenaires, des gens qui désirent voir au Sénégal un club formateur fort, qui arrive petit à petit à s’en sortir. On doit d’aller beaucoup plus vite dans les réformes. Nous ne pouvons pas continuer à ce rythme-là. L’enjeu et le potentiel sont là. C’est un choix qui doit être fait au niveau de l’Etat. J’espère que des décisions fortes seront prises. J’aimerais bien que cette belle nouvelle à venir soit accompagnée d’une réforme très courageuse pour le bonheur du football local.
N’AVEZ-VOUS PAS DE CRAINTES PAR RAPPORT AU DEMARRAGE DU CHAMPIONNAT, SURTOUT AVEC LA FER- METURE DU STADE DEMBA DIOP ?
Sur notre page Facebook, nous avions affiché notre consternation, suite aux tragiques événements. Nous présentons les condoléances de Dakar Sacré Coeur à toutes ces personnes qui ont perdu la vie dans ce stade. C’est dramatique. Ce drame pose un problème pour les entrepreneurs qui souhaitent investir dans le football professionnel. Ils se posent des questions et se disent que leur investissement peut être anéanti sur un match. Ils vont donc réfléchir par rapport à ça. La deuxième problématique concerne nos enceintes sportives. Pour moi, l’Etat n’a plus les moyens d’entretenir et de gérer les infrastructures sportives comme le stade Demba Diop ou le stade Léopold Sédar Senghor. Aujourd’hui, soit on dit que c’est le cas et on ne fait rien. C’est une première possibilité. Mais malheureusement, cela ouvre la porte à d’autres drames demain. Encore une fois, Demba Diop et les autres stades ne répondent pas aux normes internationales. Il faut le dire haut et fort. Il y a des questions importantes qui engagent la responsabilité de l’Etat. Il doit s’engager vers une vraie réforme du sport au Sénégal pour bâtir un sport industriel ou alors laisser les choses, en se disant que les choses vont se développer petit à petit. Moi je n’y crois pas. Au Sénégal, il y a un potentiel beaucoup plus important que le gaz et le pétrole, c’est le sport. Récemment, je discutais avec un ami. Je lui disais que le pétrole et le gaz, on ne va pas les exploiter au Sénégal avec des bouts d’allumettes, des bouts de ficèles etc… Il y a tout un tas de travail qui est en train d’être fait par le chef de l’Etat pour organiser d’une manière professionnelle les choses. Mais pourquoi ne pas le faire pour le sport ? C’est la question que je me pose souvent.
QUELQUES ANNEES APRES SA REFECTION, LE STADE LEOPOLD SEDAR SENGHOR NE DONNERAIT PAS TOUTES LES GARANTIES. QU’EST-CE QUI EXPLIQUE CELA ?
Vous me donnez l’occasion de reparler de ce dossier tellement sensible. Je me souviens des mots du commissaire du match contre l’Egypte. Après notre reprise sur la pelouse du stade Léopold Sédar Senghor, il avait indiqué à l’époque que c’était l’une des plus belles pelouses d’Afrique. Je ne jette la pierre à personne, mais je demande juste d’honnêteté sur ce dossier. Quelque part, je pense que le principal problème, c’est de se demander si on peut aujourd’hui gérer le stade Léopold Sédar Senghor avec un budget de 80 millions Fcfa? La réponse est non. C’est tout à fait impossible. Ce n’est même pas le budget qu’il faut pour gérer normalement une pelouse internationale. Là encore, c’est toujours la même problématique.
L’ACTUALITE, C’EST LA QUALIFICATION POUR LE MONDIAL 2018. AVEZ-VOUS SUIVI LE PARCOURS DU SENEGAL ?
J’ai tellement de préoccupations au niveau du club, mais je fais partie des personnes qui ont soutenu Aliou Cissé depuis le début de la campagne. J’ai toujours souligné l’importance de le laisser travailler. Nous avons une équipe de grande qualité. Aujourd’hui, il y a surement des réglages. Mais ma préoccupation se trouve plutôt au niveau de l’accompagnement global autour de l’équipe nationale. La problématique de l’équipementier résume toutes les difficultés que nous avons jusqu’à présent, à mettre en adéquation avec le groupe de performance, avec des joueurs fabuleux. Il faut rappeler quand même que l’année dernière, le Sénégal était le pays africain N°1 du top five en Europe avec 27 joueurs. Nous avons la chance d’avoir ces grands joueurs, formés pour la plupart dans des clubs sénégalais.
Face à des joueurs qui sont habitués à être gérés comme des «formules 1» avec la logistique, le marketing qu’il faut, il va falloir qu’on en arrive là également, si on veut des résultats.
LE SENEGAL EST A QUELQUES JETS D’UNE QUALIFICATION. QU’EST-CE LA REPRESENTERAIT POUR LE FOOTBALL LOCAL ?
Si on se base sur ce qui s’était passé en 2002, je peux dire pas grand chose. On a tous peur d’assister à un mauvais remake. Mais concrètement, aujourd’hui c’est une manne financière extrêmement importante. Le groupe de Aliou Cissé compte au minimum 19 joueurs qui sont issus des clubs locaux. Ils ne peuvent pas rester insensibles face à la situation dramatique de notre football national. J’espère que pour le football local, cette manne financière qui pourrait tomber au niveau de la fédération sera utilisée à juste titre et judicieusement de manière à ce qu’on puisse avoir dans les années qui viennent, une fédération forte, autonome financièrement et qui ne dépendrait plus de financement ponctuel du ministère des Sports. Avec ce produit marketing, tous nos joueurs font rêver dans les clubs européens, on les a regroupés sous une même bannière. Avec cela, il faut impérativement que la Fédération en profite pour faire entrer de l’argent avec cette équipe nationale. Et pour cela, il faut des compétences, faire appel à des professionnels. Je pense que cette manne financière va donner cette opportunité-là.