«KOUN FA YAKOUN» ET LA FORCE DU VERBE
DES SPECIALISTES DE L’ORALITE SE PRONONCENT SUR
Il n’y a pas de chants sans parole. Le chant, c’est la parole chantée et c’est cette force de la parole qui vient pratiquement du «Koun fa Yakoun». Des spécialistes de l’oralité se sont penchés sur la définition de la parole, «Kaddu» en wolof pour nous démontrer le degré de la force du Verbe.
Dans la société wolof et dans le subconscient du Wolof, le verbe a une certaine force sur les choses. Le verbe ou «Kaddu» en wolof est, d’après Ousseynou Wade, professeur de lettres modernes au lycée moderne de Dakar, «une métaphore qui, dans la traduction orale, signifie le tonnerre». «C’est le premier sens du mot ‘kaddu’», soutient le Pr Ousseynou Wade, avant d’expliquer : «La force du tonnerre qui foudroie et qui écrase tout sur son passage, c’est cette force-là. C’est ce parallélisme qu’ils ont fait pour le verbe en lui donnant le nom ‘Kaddu’». Ce, précise- t-il, «pour dire que la parole peut détruire, la parole peut faire et défaire. Donc cette force de la parole est portée dans les chants, les injonctions qu’on voit dans les chants qui construisent un destin pour l’individu».
Parce que, remarque le Pr Ousseynou Wade, «dans la société orale, il n’y a pas de loi écrite, toutes les lois sont tacites et ces lois sont chantées, sont reliées : ‘Jigéen bala bax day…’, ‘Goor dafa wara...’ Les enfants qui grandissent, qui ont remémoré, intégré ces éléments, portent ces mots en eux comme des choses à respecter dans la société et c’est cette force de la parole qui va les guider, qui va forger pour eux un destin».
Le «Koun fa Yakoun» d’Allah
Remontant beaucoup plus loin, Amadou Woury Ba, professeur au département de Langue et civilisation germanique, de poser le débat du «Koun fa Yakoun» d’Allah. «Au début était le Mot, dans le Coran on a dit ‘Ikhra bismi rabikka’, c’est ce qu’on a appris au Prophète en premier lieu. Donc dire que ce Verbe-là est en même temps pouvoir, connaissance et englobe tout», dit-il.
Professeur de Lettres à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), spécialiste en littérature orale africaine, Lamane Mbaye de revenir sur la force du verbe, le «kaddu». «Dieu a créé le monde non pas par la force brute, mais par le Mot. Il a dit ‘Koun fa Yakoun’ (soit, et le monde fut) donc c’est la parole qui a créé le monde».
D’après le Pr Lamane Mbaye, la parole est tellement forte qu’Amadou Hampathé Bâ sépare deux paroles, celle avec un ‘P’ majuscule et la parole avec ‘p’ minuscule. La parole avec ‘P’ majuscule, explique-t-il, «c’est la Parole créatrice, fondatrice, le ‘Koun fa Yakoun’. La parole avec un petit ‘p’ c’est notre parole, c’est la parole qui nous appartient. Et cette parole-là est tellement forte que finalement, si on la perd, on perd tout».
Ainsi, se voulant plus clair sur cette force du verbe en bon littéraire, il cite Amadou Hampâthé Bâ qui dit dans son ouvrage «Aspects de la civilisation négro africaine», qu’il y a trois éléments qui déterminent la vie de l’Homme : son parler, son physique, son métier. «Il peut perdre les deux, il demeure toujours lui-même. Mais dès l’instant qu’il perd les trois, il se moule dans un autre schème. Parmi les trois, le plus important c’est la langue qui fait la beauté de l’Afrique», dit le Pr Lamane Mbaye en paraphrasant Amadou Hampâthé Bâ avant d’ajouter : «La parole est créatrice ».
Les types de parole
Toujours dans la même veine, Pr Lamane Mbaye de citer un des ouvrages de Dominique Zahan,
«La dialectique du verbe chez les bambaras». «Dans cet ouvrage, il dit que Dieu qui a créé le Mot, la Parole, est le premier à avoir peur de la parole. Parce que l’organe responsable de la parole qui est la langue est enfermé dans une chambre à trente-deux dents avec deux lèvres et les wolofs disent : Ne se tait que celui qui sait parler».
A ces mots, le Pr Mbaye de développer : «La parole est dangereuse, c’est pourquoi on sépare ‘wax bu rafet’, ‘wax bu ñagas’, ‘wax bu ñaaw’, wax bu baax’… Il y a une typologie de la parole et la parole a, à la fois, un côté positif et un côté négatif qui est la malédiction». Se justifiant sur la typologie de la parole, il dit : «Avec le mythe du Wagadou Bida, quand le serpent Bida a été tué, une tête est sortie et cette tête a été coupée et une autre est sortie jusqu’à ce que ça soit 7 têtes. C’est pourquoi on l’appelle le serpent à 7 têtes. Avant de mourir, le serpent dit que pendant sept ans, sept mois, sept jours vous serez dans la disette et la sécheresse. Et on dit que le Sahara date de cette période là. Donc, c’est une malédiction».
En sus de cela, fait savoir le Pr Lamane Mbaye, «il y a la parole du chaos, il y a la parole vindicative, la parole subversive, l’insulte l’injure, le jëw…».