ACTIVITE JADIS FLORISSANTE, MAIS EN CRISE AUJOURD’HUI
VENTE DE PIECES DETACHEES
Jadis très florissante avec d'énormes bénéfices, la vente de pièces détachées ne fait plus courir. En effet, à cause des nouveaux modèles de véhicules qui commencent à inonder le marché sénégalais, avec des pièces très onéreuses et rares, les vendeurs ne parviennent plus à tirer profit de leurs activités. Car ne détenant que des pièces des anciens modèles.
Les métiers du secteur informel en général sont nombreux et très variés au Sénégal. Et à chaque domaine d’activité, son lot de désagréments et de contraintes qui ne facilitent pas du tout la tâche à ceux qui évoluent dans ce milieu. Pour ce qui du marché des pièces détachées, il faut s’armer de patience et de courage pour pouvoir y tirer profit. Jadis secteur porteur avec de gros bénéfices, la vente des pièces détachées ne marche plus. Et les vendeurs trouvés au quartier Rail-Bi ne diront pas le contraire. «J’ai commencé à vendre des pièces depuis 2000. Et durant les sept premières années,
les activités marchaient à merveille et à 100%. J’avais beaucoup de bénéfices. On pouvait acheter une pièce à 500 francs et la revendre à 800 ou 900 francs et avoir un bénéfice de 300 francs pour chaque pièce», confie Moustapha Gaye, un vendeur de pièces détachées.
DEPUIS 2011, C’EST LA DECHE CHEZ LES VENDEURS DE PIECES DETACHEES
Trouvé dans son atelier, sis au quartier Rail-Bi, cet autre jeune mécanicien qui s’active dans le commerce de pièces détachés se souvient de la belle époque. «Dans le temps, par jour, on pouvait vendre des pièces et avoir jusqu’à 150 000 francs Cfa. Parce que les clients venaient en masse
pour acheter soit un phare, soit un injecteur, soit un amortisseur, soit un rétroviseur, soit un pneu, soit un autoradio, soit simplement un siège bébé», lâche-t-il, nostalgique de cette belle époque, sans manquer de confier, en haussant les épaules, : «Hélas, entre 2008 et 2010, les activités ont commencé à baisser. Et de 2011 à nos jours, le travail ne marche presque plus. De nos jours, on peut
rester deux jours sans vendre une seule pièce. Et si on arrive à vendre quelques pièces, c’est pour ne récolter que 15 000 francs Cfa ou même en deçà de cette somme». Croisé dans ce même lieu des Hlm Rail-Bi, avec des pièces de rechange à la main, les habits couverts d’huile moteur, Abdou manifeste sa douleur : «Les activités ne marchent plus comme avant à cause des nouveaux modèles de véhicules qui sont arrivés sur le marché. En effet, les pièces détachées des nouveaux modèles sont très chères et très rares et ne sont pas de bonne qualité».
DES PIECES A 20 OU 30 000 F POUR LES ANCIENS MODELES ET 200 OU 500 000 F POUR LES NOUVEAUX
Poursuivant, il confie : «Nous, en général, nous n’achetons et ne revendons que des pièces détachées des anciens modèles, mais actuellement les nouveaux modèles sont plus nombreux et les pièces sont très chères. Par exemple, 4 injecteurs des nouveaux modèles ne coûtent pas moins de 200 000 francs Cfa. Cela, alors même que pour les anciens modèles, ces 4 injecteurs ne dépassent que rarement les 20 000 francs Cfa. Il y a certains injecteurs de certains véhicules nouveaux modèles qui coûtent même jusqu’à 350 000 francs Cfa pour une seule pièce. Et si on dit qu’il faut en acheter 4, c’est un problème pour nous autres. Pour les amortisseurs des nouveaux véhicules aussi, c’est hors de notre portée. Car, ils coûtent 30 000 francs Cfa parfois et même moins s’il s’agit d’un véhicule ancien modèle. En revanche, s’il s’agit d’un nouveau modèle de véhicule comme ceux-là qu’on voit de plus en plus dans notre pays, mais ces mêmes amortisseurs peuvent coûter jusqu’à 500 000 francs Cfa».
Les vendeurs de pièces détachées font aussi parfois office de commercial en vendant des pièces de rechange ou accessoires auto. Aux particuliers, ils doivent leur expliquer comment remplacer ou monter des pièces courantes et indiquer les produits à utiliser. Cependant, avec les véhicules nouveau modèle, ces derniers n’ont plus que leurs yeux pour pleurer et leur bouche pour crier leurs désarrois. Car, disent-ils, ne voyant plus le fruit de leur travail. C’est le cas de El Hadji Saloum qui affirme que «la vente de pièces détachées ne marche plus comme avant où l'on avait beaucoup de bénéfices. Mais actuellement, c’est très difficile pour nous. Parce qu’il y a beaucoup de facteurs bloquants».
LES PIECES DES NOUVEAUX MODELES RARES ET INACCESSIBLES
Evoquant justement ces facteurs bloquants, ce jeune vendeur de pièces détachées explique: «Il y a d’abord le fait que les pièces des nouveaux modèles sont non seulement inaccessibles du fait de leurs coûts, mais elles sont presque introuvables, car très rares. Il y a également le fait que les taxes douanières sont très chères. Ce qui fait que les prix des pièces sont très élevés et les clients s'en plaignent. Il se trouve aussi qu’on peut rester des jours sans rien vendre. C’est d’ailleurs notre véritable souci. S’y ajoute que nous avons un problème de local. Nous ne sommes pas du tout stable.
A chaque fois qu’on s’installe quelque part dans le but de gagner notre vie, les autorités nous déguerpissent. On ne sait plus ou aller et quoi faire. Et cela ne nous facilite pas le travail».
Se basant sur l’adage qui dit qu’il n’y a pas de sots métiers, ces vendeurs de pièces détachées, malgré les conditions et les conjonctures difficiles, s’accrochent - comme un enfant sur le dos de sa mère - à leur travail. Et ils parviennent ainsi tant bien que mal à subvenir aux besoins de leurs familles.
LA CONCURRENCE DES NIGERIANS PERTURBE LE MARCHE
Malgré que c’est une activité de moins en moins rentable et qui ne marche plus comme avant, à cause des contraintes qui découlent des nouveaux modèles de véhicules, les vendeurs de pièces détachées exercent une activité dans laquelle ils font, depuis peu, face à une autre difficulté.
En effet, ils subissent une concurrence qu’ils qualifient de «déloyale» de la part de Nigérians qui sont entrés dans le milieu. «Si nos activités ne marchent plus comme avant, c’est à cause également des Nigérians. Ils sont en train de nous concurrencer gravement. Ils sont dans le lieu et ils vendent des pièces comme nous. Et vous connaissez les Nigérians, ils sont malhonnêtes et ils font des magouilles. Ils sont en train de salir notre milieu et c’est très dangereux pour l’avenir de cette activité dans notre pays», peste Bass Diouf. Très exacerbé par cette situation, il demande aux autorités de trouver une solution à ce problème qui constitue une grave menace pour l’économie nationale, compte tenu du nombre important de Sénégalais qui dépendent de cette activité. Surtout que, soutient-il, les Nigérians arnaquent les gens en vendant des pièces qui ne sont pas de bonne qualité et à des coûts moindres, comparativement aux prix réels. Pour lui, c’est surtout la qualité qui fait défaut chez eux.
Plus serein que Bass et bien que subissant cette concurrence, le vieux Bathie Samb confie que, «parfois, nous sommes confrontés à une concurrence déloyale certes des Nigérians. Mais nous l’acceptons parce que personne ne peut retenir la mer avec ses mains. On ne peut pas interdire aux Nigérians de vendre des pièces détachées au Sénégal, c’est impossible». Lui, ce qu’il recommande plutôt à ses collègues, c’est de redoubler d’efforts pour surmonter tous les obstacles en mettant l’accent sur la qualité du service offert. «C’est nous qui devons nous battre pour nous en sortir. Rien n’est facile dans la vie, il faut se battre et s’en sortir, même si le problème de la concurrence déloyale des Nigérians est là et bien réel», conclut-il.
LES PIECES VIENNENT DE DUBAÏ, DE LA FRANCE, DES USA, DE LA BELGIQUE…
Moteurs de voitures Renault, Peugeot, Toyota, Ford, etc, et autres organes comme les cardans, les amortisseurs, les freins, les boîtes de vitesse, les crémaillères… Telles sont les principales pièces détachées qui sont revendues sur le marché. Ces pièces détachées adaptées généralement aux marques françaises, japonaises et allemandes sont des venants. Et c’est par conteneurs qu’elles arrivent au Sénégal, en provenance de Dubaï, de la Belgique, de la France et des Etats-Unis principalement. «Les pièces nous viennent de partout, de Dubaï, de France, des Usa, de Belgique. Ce sont les conteneurs qui les amènent«, confirme Bass Diouf, spécialisé dans la vente de cardans, d’amortisseurs, de volants, de suspensions, et dont le magasin se situe sur l’avenue Blaise Diagne, à «Di foncier».
Cette artère de Dakar est, en effet, le haut lieu de vente des pièces détachées pour véhicules toutes marques. Les vendeurs de pièces y côtoient les mécaniciens, dans un décor très particulier ou l’huile noire de vidange des voitures a fini de rendre l’atmosphère lugubre.
«Les pièces détachées ne valent plus rien maintenant. Il faut aller voir derrière la petite décharge qu’on a, il n’y a que des ferrailles, on verse les pièces détachées là-bas. Parce que les pièces sont longtemps exposées dans les magasins et à la longue on ne peut plus les vendre. On est donc obligé de les jeter là-bas, dans les tas de ferrailles», se désole Bass Diouf, pour appuyer le déclin dans lequel, selon lui, le secteur d’activités se trouve. «Il y a également le fait que les voitures actuelles qui roulent dans Dakar sont des modèles nouveaux qui tombent très rarement en panne. Et généralement, quand elles sont en panne ce n’est pas une panne de pièces. C’est souvent des pannes électriques, des pannes techniques. Parce que ces véhicules bourrés de technologie embarquées qui se réparent parfois en les connectant simplement à un ordinateur. Ce qui fait que nos activités ne marchent plus comme avant», explique-t-il.
UN METIER QUI NOURRIT TOUJOURS SON HOMME
Trouvé dans son magasin plein de moteurs et autres organes, Bathie Samb, également vendeur de pièces détachées, abonde dans le même sens. «Les pièces détachées que nous vendons nous viennent généralement de l’Europe et un peu partout à travers le monde», dit-il avant de confier qu’il exerce ce métier «depuis maintenant 37 voire 38 ans. Depuis des années, je fais venir des conteneurs de pièces détachées que je mets sur le marché. Il y a des gens qui amènent, chaque mois, un conteneur ici. Mais, il y a aussi ceux qui amènent un conteneur une fois par an. Cela dépend de la façon dont les activités marchent», informe-t-il. «Je vends les moteurs des véhicules de marques Renault, Peugeot, Toyota et aussi les organes comme les cardans, les amortisseurs, les crémaillères, les boîtes, les freins, etc. Et toutes les pièces marchent bien. C’est comme quand vous dites la personne qui est un ensemble. La voiture également, c’est un ensemble. Et toutes les pièces sont indispensables et elles sont toutes prisées. Et les mécaniciens sont nos principaux clients», souligne Bathie Samb qui relève toutefois que l’activité est devenue moins reluisante qu’elle ne l’était. «Mais, même si les activités ne marchent plus comme avant, on arrive toujours à s’en sortir néanmoins», atténue-t-il en déclarant qu’en ce qui le concerne, «après une trentaine d’années de dure labeur, grâce à ce métier, j’ai pu construire des maisons, acquérir des voitures, des magasins. Vraiment, ce métier de vente de pièces détachées m’a tout donné. J’ai même fait arrêter les études de mon fils pour lui apprendre mon métier. Parce que, j’estime encore que c’est un travail bien rentable et on rend grâce à Dieu».