«IL FAUT AUDITER LA SODAV»
Palabres avec… Pape Amadou Fall du Groupe Pape et Cheikh
Contrairement à son acolyte, Cheikh Coulibaly, qui est d’un calme olympien, Pape du binôme Pape et Cheikh est devenu très présent au-devant de la scène médiatique. il s’est mué en militant pour mener un farouche combat contre la Sodav. il a bien voulu nous parler du sens qu’il donne à ce combat et de ses ambitions.
Que devient votre duo ?
Nous sommes toujours très actifs dans notre domaine. Et comme à notre habitude, nous préférons travailler dans le calme et la quiétude sans faire beaucoup de bruits.
Votre tube à succès « Yatal Guew » a vingt ans. N’est-ce pas une raison de le célébrer ?
Nous n’avons pas pour habitude de célébrer nos anniversaires. Bien que nous ayons été les premiers à aller jouer au Grand Théâtre. Mais je dois avouer que si après 20 ans le titre communément appelé aussi « Wengal Galgui » continue de susciter de l’intérêt, cela signifie que notre mission a été accomplie. Ce qui constitue quelque part une certaine source de fierté car nous avons su marquer les esprits de tout un pays.
Plus de 20 ans et vous surfez toujours sur la vague du succès ?
C’est vrai que nous sommes actifs depuis plus de vingt ans. C’est une occasion pour remercier chaleureusement ce public qui nous suit et nous soutient depuis tout ce temps là. C’est vraiment grâce à ce soutien de tous les instants que le groupe « Pape et Cheikh » continue de se déployer dans le champ musical. A la longue, il s’est opéré une belle alchimie entre le groupe et son public. Nous avons su comprendre et un peu anticipé sur les attentes de ce beau monde qui ne vit et ne respire que pour le groupe « Pape et Cheikh ». Grace à Dieu, notre public nous est resté fidèle et il est très fier de nous. Nous sommes devenus une très grande famille.
Quels sont vos rapports avec le Président Wade qui vous avait présenté au Président Macky Sall ?
Je commencerai par prier et remercier le Président Me Wade qui a été et reste un père pour nous. Mais j’ai bien compris le sens de votre question. Pour vous rassurer, nous n’avons aucun problème avec le Président Macky Sall. Il faut que cela soit très clair. Encore une fois, on ne va pas réécrire l’histoire et renier le passé. C’est bien lui qui nous a présentés au Président Wade et au niveau de nos relations humaines, il n y a aucun nuage. Avant d’être des hommes politiques, ces personnes sont avant tout des humains comme nous. Nous avons bien réussi à faire ce distinguo et c’est aussi valable pour tous les acteurs de la scène politique nationale.
N’empêche vos paroles restent très engagées. Un paradoxe ?
Non, pas du tout ! Il n y’a aucun paradoxe. Au contraire, cela constitue notre marque de fabrique. Nous attachons une grande importance au contenu de nos morceaux. Nous nous efforçons de toujours insister sur l’aspect éducatif. Nous faisons beaucoup d’efforts pour livrer des messages instructifs et qui peuvent servir au grand nombre et même à nous. Nous sommes également suivis par des personnes responsables qui ne sont pas souvent animées par le désir de danser. Ils viennent nous voir pour écouter de la bonne musique
On vous a beaucoup remarqués aux côtés de Mame Ngor Diazaka dans votre combat contre la Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (SODAV) …
Une précision. Je n’ai pas suivi Mame Ngor sur un coup de tête. C’est après avoir suivi son intervention au cours d’une émission qui passait sur une chaine de télévision de la place. A la fin de son passage, je l’ai appelé pour lui faire comprendre que nous menons le même combat. Il fallait donc réunir nos efforts pour mener ensemble cette lutte. Pourtant certains nous font remarquer que nous n’avons pas à nous plaindre, car nous ne faisons pas partie de ces artistes qui ne jouent pas. électivement, par la grâce de Dieu, nous vivons bien de notre art. Nous sommes animés par un fort sentiment de lutter contre une injustice flagrante. Ils serinaient partout qu’ils allaient faire mieux que le BSDA (Bureau Sénégalais du Droit d’Auteur). Ce qui est archi faux. Avec le BSDA, nous étions payés à plusieurs reprises. A titre d’exemple, je dirai qu’à l’époque, nous mangions trois fois par jour. Actuellement, nous peinons à assurer un repas. Je ne prêche pas pour ma chapelle. Je ne suis pas dans le besoin et je continue de jouer toutes les semaines. Il n’est pas question de mener une guerre contre des personnes. Nous voulons juste que les choses changent. C’est un combat de principes. Après notre sortie, certains membres de la Sodav ont voulu nous décrédibiliser. Mais ils n’ont pas réussi car la lutte continue. Les artistes vivent très difficilement et la Sodav ne nous est d’aucun secours. Je remercie le Président de la République qui a mis un milliard sur la table malgré les dénégations. Comme l’a remarqué le ministre de la Culture, ils vivent avec nos maigres moyens en utilisant 70% du budget pour leur fonctionnement. Ils usent de notre argent pour vivre comme des pachas en organisant des séminaires, des ateliers et des tournées avec la sueur de notre front. Je suis désolé de voir la légèreté et la malhonnête avec lesquelles ces gens vivent. Il faut remarquer qu’au moment de notre rencontre avec le ministre, il y a eu beaucoup de tension dans l’air. Certains ont même failli en venir aux mains. Il y a eu beaucoup de bruits pour rien. Comme Dieu est très juste, c’est après cette rencontre que le ministre s’est rendu compte de la manière dont la boîte est gérée. Des fonctionnaires du ministère de la Culture siègent à la Sodav à l’instar d’Aziz Dieng et d’autres. Il faut vraiment que cette mascarade s’arrête. Il se susurre et nous sommes au courant, que le Président a décidé de leur octroyer encore de l’argent. Nous lui demandons solennellement de ne pas le faire. Nous allons écrire à la Présidence et à l’OFNAC pour que la Sodav soit auditée. Il y a depuis plus de dix ans une caste de fonctionnaires au ministère de la Culture. Ces gens ne défendent que leurs intérêts. Ils manœuvrent tout le temps pour ne jamais quitter leurs postes. Ces rentiers qui se reconnaitront doivent dégager le plancher. Il faut que ces personnes assoiffées de prébendes sachent que la musique ne leur appartient pas. Elles ont fini par tuer la musique. Je suis Sénégalais et j’ai vécu l’âge d’or de la musique. Je suis de Kaolack et durant ma prime jeunesse, il y avait bien un orchestre sur place. Il en était de même à Thiès, Saint Louis et presque au niveau de toutes les grandes villes. Tous ces groupes ont disparu par la faute de ces sangsues. Rien ne marche.
Que comptez-vous faire?
On va poursuivre le combat. Ils ne peuvent pas nous museler. Nous allons continuer à communiquer par le canal des médias. On va aussi écrire une lettre au Président de la République de manière officielle. Nous en ferons de même pour le ministère de la Culture et pour l’OFNAC. C’est un combat qui doit se poursuivre. Comme nous sommes dans un pays de droit, nous allons saisir la justice. Il n’est point besoin de reculer. Et il faut bien noter que le c’est le ministre de la Culture qui a crevé l’abcès au cours de sa visite.
A vous entendre vous regrettez le BSDA….
Bien sûr ! La SODAV, c’est une calamité. Rien n’est clair et nous voulons que les choses bougent. La SODAV nous appartient et nous ne sommes pas seuls. Ils font tout pour nous discréditer. Ils n’ont que l’invective et la calomnie pour essayer de nous faire taire. Ils ne sont là que pour sucer le sang des artistes. Ils sont aptes à rendre des hommages posthumes en venant présenter des condoléances à tout va avec des enveloppes insignifiantes. Je vais entonner le même chant que notre défunt père Doudou Ndiaye Rose. Je n’ai pas besoin de ce genre d’hommages. Je l’ai déjà dit et je le répète, je ne veux pas de leur hommage à ma mort. Je n’ai pas besoin de cette forme de reconnaissance.
Pourquoi ne pas fumer le calumet de la paix
Je ne leur tends pas la main. Ce sont eux qui sont en possession de mon argent. Comme le dit si bien l’adage, on ne confie son avoir qu’à une personne à qui on fait confiance. Il n y a plus de musiciens au Sénégal. Tous les bons instrumentistes ont quitté ce pays et ont choisi le chemin de l’exil Figurez-vous, quelqu’un qui percevait ses droits trois fois l’an, et qui n’arrive plus à voir la couleur de cet argent durant plus de deux ans…
Pourtant les membres de la Sodav disent que la musique marche.
Ça ne marche que pour eux. Certains de leurs enfants sont embauchés à la Sodav. Depuis cinq ans que la Sodav est là, je n’ai plus perçu un seul centime de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). C’est scandaleux ! Je ne trouve même pas de mots pour les qualifier. Nous allons poursuivre le combat et personne ne pourra nous bâillonner.
il y a également le conflit qui vous oppose à la Direction du Grand Théâtre. Est–ce la raison qui vous empêche d’y jouer ?
Pas du tout nous ! Juste que nous ne jouerons plus au Grand Théâtre. Ce qui s’y passe constitue un scandale aussi grave qu’à la SODAV. Au Grand Théâtre, l’artiste est spolié car il débourse au moins trois à quatre millions pour louer la salle. Ensuite, il y a la Sodav et la Perception. La sono que tu loues sans oublier la sécurité et les sapeurs-pompiers qui sont tous payés. Ils vous confisquent cent quatre-vingt tickets. Et au beau milieu du spectacle, le Directeur ordonne de baisser les rideaux à 2h du matin. Ce qui est incompréhensible. Ce qui me pousse parfois à me poser des questions. Est-ce que la culture n’est pas un domaine maudit ? Pour se défendre, Keysi claironne qu’il va nous exiler à Sorano. C’est vraiment dommage comme si le grand Théâtre lui appartenait. C’est un don de Me Ablaye Wade et normalement les artistes ne devaient pas débourser un seul centime.
Pourquoi n’organisez-vous plus votre festival ?
C’est justement parce que la musique est en train de mourir. Au vu de tout ce qui précède, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les choses ne marchent plus. Folk Festival a connu deux éditions et le succès était indéniable. Pourtant il a bien fallu se rendre à l’évidence et baisser les bras. Il n y a plus de festivals dans ce pays. A part celui de Saint- Louis et de Podor de Baba Maal, il n y a plus rien du tout à ce niveau .C’est vraiment décourageant à la limite. Il y avait une belle diversité musicale dans ce pays et les rythmes étaient nombreux à séduire les mélomanes.
Que pensez – vous des relations souvent heurtées entre les jeunes artistes ?
Je trouve que cela n’en vaut pas la peine. Il peut bien y avoir concurrence, mais cela doit se faire de manière loyale. Il faut privilégier le travail et les recherches. Nos ainés ont balisé le chemin, ils se battaient respectueusement en privilégiant les performances et les belles prestations. Si j’ai un conseil à donner, c’est qu’il faut beaucoup travailler et savoir que le champ est assez vaste. Il ne sert à rien de privilégier la concurrence stérile et malsaine, déjà que la musique est en crise.
On ne peut pas parler de votre groupe sans évoquer vos fortes relations avec le regretté Ablaye Mbaye.
(Il pleure longuement) Excusez-moi, mais je préfère ne pas répondre à cette question. C’était mon jeune frère. Nous avons vécu de forts moments et je prie vraiment pour le repos de son âme. Jusqu’à présent, je ne peux me résoudre à faire son deuil. C’est toujours le même effet quand je pense à lui.
On vous voit souvent chanter en langue Sérère.
Ce n’est pas fortuit. Rien ne s‘est réalisé en un seul jour. Cela peut s’expliquer facilement car nous n’avons pas brulé les étapes .Nous avons pris le soin d’aller au Conservatoire. Nous avons pleinement baigné dans cette belle culture Sérère à nos débuts. Nous étions à Fimela et notre premier groupe comptait beaucoup de sérères. Nous avons longuement vécu dans cette belle ambiance. Pendant huit ans, nous avons écumé cette zone. Nous avons aussi joué dans les hôtels. C’est le célèbre comédien Ndiaye Doss, connu pour son rôle dans le film d’Ousmane Sembène, « Guéléwar » qui a été le premier à me tendre un micro. Je n’avais même pas quatorze ans. C’est par un morceau de Thione Seck que j’ai pour la première fois chanté. Il y a aussi le fait que nous nous sommes forgés une discipline de fer. Au sein de notre groupe, aucun musicien ne fume ou ne boit.