ARMES FRANÇAISES EN LIBYE, CE SOUTIEN QUE PARIS NE PEUT PLUS CACHER ?
La France a admis, mercredi, que des missiles découverts dans une base des forces du maréchal Haftar près de Tripoli lui appartenaient, tout en niant les lui avoir fournis
Depuis que le ministère des Armées a été contraint, par choix politique au plus haut niveau, de reconnaître que les missiles trouvés en Libye appartiennent à l'armée française, difficile désormais pour Emmanuel Macron de se poser en médiateur entre le chef du gouvernement Fayez el-Sarraj reconnu par les Nations unies et le maréchal rebelle Khalifa Haftar, qui essaye sans succès de conquérir Tripoli avec son Armée nationale libyenne (ANL), autoproclamée. Alors que la France est déjà accusée de soutenir l'officier rebelle, les dénégations françaises manquent cruellement aujourd'hui de crédibilité. Avec des conséquences diplomatiques et une perte de confiance dans ce dossier où la France était accusée de jouer un double jeu en parlant au Premier ministre de Tripoli tout en soutenant en catimini le maréchal rebelle.
Les relations franco-libyennes plus que jamais tendues
C'est dans leur base avancée de Gharian, à 80 kilomètres de Tripoli, perdue en juin par les miliciens de Haftar, que les forces progouvernementales ont découvert, au milieu d'un arsenal abandonné dans la précipitation, quatre missiles Javelin antichars de fabrication américaine. Des armes identifiées par des journalistes du New York Times grâce à leurs numéros de série. Plusieurs centaines de postes de tir et de missiles de ce type ont été achetées en 2010 aux États-Unis par la France pour équiper ses troupes en Afghanistan. Selon les accords entre les deux pays, la France n'est pas autorisée à rétrocéder à une autre puissance ce matériel. Pis : à une milice dans un pays, la Libye, placé sous embargo concernant l'armement par l'ONU, dont la France est de surcroît membre permanent du Conseil de sécurité. Du coup, si le ministère français des Armées est allé à Canossa, c'est évidemment sur ordre politique, pour tenter de désamorcer une nouvelle polémique impliquant l'action secrète de la France en Libye.
Les missiles Javelin trouvés à Gharian appartiennent effectivement aux armées françaises...
« Ces armes n'étaient pas concernées par les restrictions d'importation en Libye. Elles n'ont pas été transférées à des forces locales. Il n'a jamais été question de vendre, ni de céder, ni de prêter ces munitions à quiconque en Libye », explique le ministère des Armées, qui précise : « Endommagées et hors d'usage, ces munitions étaient temporairement stockées dans un local en vue de leur destruction. » Un démenti complété par une précision : « Ces armes étaient destinées à l'autoprotection d'un détachement français déployé à des fins de renseignement en matière de contre-terrorisme. » En fait, des commandos du Service de renseignement extérieur qui accompagnent les offensives successives du maréchal Haftar dans sa conquête du pays. Leur mission est officiellement de renseigner Paris sur la situation militaire sur le terrain. Mais pas seulement : leur mission est aussi de travailler sur les cellules djihadistes susceptibles de menacer la France, ses ressortissants et ses intérêts, en particulier en Afrique, mais aussi les groupes armés terroristes (GAT) qui, depuis leurs bases arrière libyennes, s'attaquent aux Français de l'opération Barkhane dans le Mali voisin.
... mais destinées à l'autoprotection d'un détachement français
Pour éliminer ces GAT, moins nombreux aujourd'hui, les agents français s'appuient sur les forces du maréchal Haftar. Des opérations dangereuses. Il y a trois ans, en juillet 2016, trois sous-officiers du service action de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, sont morts « en service commandé » dans un hélicoptère de l'armée rebelle abattu par des miliciens près de Benghazi. Entre le recueil de renseignements, le rôle de conseillers militaires sur la ligne de front, et la participation à des opérations avec les forces du maréchal Haftar, la mission des commandos d'exception français dans le conflit libyen peut varier suivant la situation opérationnelle du moment. Le dispositif français évolue en fonction des besoins. Les renseignements aériens sont particulièrement appréciés pour déceler l'ennemi dans cet immense pays désertique. Là aussi, l'aide française reste précieuse au maréchal Haftar. À l'automne 2016, un avion affrété par la DGSE s'écrase cependant en décollant de l'aéroport de Malte pour une mission de reconnaissance au-dessus de la Libye. Bilan : deux pilotes et trois agents périssent dans ce qui semble un accident. Les avions de la Direction du renseignement militaire, la DRM, sont aussi présents dans le ciel libyen en décollant d'Égypte, le premier soutien de Khalifa Haftar avec les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, partenaires stratégiques de la France au nom de la lutte antiterroriste, selon le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Un combat contre un ennemi commun qui s'accompagne de ventes d'armes, ce trio figurant parmi les premiers acheteurs de matériels militaires français.
La France peut-elle encore cacher son soutien à Haftar
En réalité, le soutien français à Haftar a commencé sous François Hollande avec son ministre à l'époque de la Défense Le Drian, et n'a depuis jamais cessé. Emmanuel Macron semble avoir été convaincu à la même cause, car, au-delà de Haftar, se profile la volonté des meilleurs clients de la France, qui souhaitent un soutien plus large que les contrats d'armement. L'« accompagnement » sur le terrain du maréchal Haftar fait partie de ce fameux partenariat stratégique revendiqué par le ministre français. Un partenariat aux contours assez flous, qui, mise à part la vente de matériels avec des contrats sans un minimum de conditions chiffrées publiques, renferme d'abord un principe où les avantages sécuritaires côté français sont difficiles à évaluer. Une position française figée, qui pourrait ressembler à une fuite en avant depuis l'échec depuis trois mois du vieux, mais bouillant maréchal, devant Tripoli. Il faut en effet maintenant sauver le soldat Haftar, mis en danger depuis la chute de la ville de Gharyan, d'où les officiers du maréchal conduisaient les opérations et acheminaient renforts et matériels. Avec la présence apparemment de commandos français et de missiles antichars hors d'état de fonctionner et qui n'ont pas été détruits, comme le veut l'usage. Capable de percer les meilleurs blindages à 2 000 mètres, le Javelin peut constituer une protection pour des militaires français qui, pris à partie par des chars progouvernementaux, auraient pu se dégager en les détruisant. À moins qu'ils n'aient employé ces missiles au combat en soutien des troupes du maréchal. Ou que ces armes aient été abandonnées dans la précipitation du départ des hommes de Haftar, qui ont fui leur quartier général en quelques minutes, laissant leurs casseroles encore chaudes. Surpris par le changement d'alliance des miliciens de la ville, qu'ils croyaient avec eux, les soldats du maréchal ont décroché, pris au piège. Les agents français qui pourraient avoir été présents n'ont eu, dans cette hypothèse, d'autre choix que de les suivre. Abandonnant des missiles « caducs » et emportant ceux en état de marche.