SAUVER L'ÉCOLE PUBLIQUE
L’audace des élèves qui déchirent des cahiers, brûlent des tables-bancs, agressent des surveillants relève de l’ignorance. Ce cancer de l’ignorance militante est infiniment beaucoup plus grave que le virus du Covid-19
«Quand on est ignorant on devient audacieux», nous disait souvent le Pr Amady Aly Dieng qui a consacré toute sa vie au savoir. D’ailleurs, il mériterait qu’une de nos futures universités porte son nom. L’audace des élèves qui déchirent des cahiers, brûlent des tables-bancs, agressent des surveillants relève de l’ignorance. Ce cancer de l’ignorance ronge nos écoles, nos universités, notre espace public. Ce cancer de l’ignorance militante est infiniment beaucoup plus grave que le virus du Covid-19. Dans quelques mois, on sortira du Covid-19 soit par la vaccination massive ou par la main invisible de la sélection naturelle, mais le cancer de l’ignorance qui gangrène notre pays, suite au sabotage de l’école publique, nous poursuivra sur plusieurs générations.
De notre génération, ceux qui étaient à l’école privée rasaient les murs, parce qu’elle était le réceptacle de ceux qui avaient échoué à l’école publique. Aujourd’hui, l’école publique est devenue le plan B de ceux qui n’ont pas le choix. Si la qualité de la ressource humaine est devenue l’avantage absolu du Sénégal devant les autres pays africains, nous le devons à l’école publique et à cette armée d’enseignants qui ont transmis à des générations d’élèves non seulement du savoir, mais aussi et surtout le savoir-être. Si aujourd’hui aussi nous avons cette si grande République qui avait aboli le hasard de la naissance pour le remplacer par le mérite, permettant ainsi à des ruraux comme Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall, Idrissa Seck et Moustapha Niasse de gouverner le Sénégal, nous le devons à l’école publique, l’école de la République.
Ceux qui ont pris l’ascenseur social de l’école publique pour atteindre le sommet de la République doivent penser à renvoyer l’ascenseur à l’école publique. Sans une école publique, le Sénégal deviendra à l’avenir une société d’ordres et de classes comme la Rome antique avec ses patriciens et ses plébéiens. Aujourd’hui, l’école est en train de devenir la ligne de fracture entre les patriciens qui ont les moyens d’envoyer leurs enfants dans les meilleures écoles privées, et la plèbe qui doit envoyer ses enfants dans vestiges de ce que fut l’école publique.
Une école publique moribonde est le moteur de la reproduction sociale qui est l’antithèse des valeurs de la République, dont la plus grande révolution a été l’abolition du hasard de la naissance et son remplacement par le mérite. L’école publique, quand elle était digne de ce nom, créait les conditions d’égalité des chances entre les élèves, et ensuite le mérite et l’effort personnel faisaient le reste. Aujourd’hui, nous avons de fait deux écoles, et demain nous aurons par conséquent deux Sénégal où la règle (des ruraux qui gouvernent) deviendra l’exception, parce que nous serions dans une société d’ordres et de classes. C’est pourquoi le combat pour sauver l’école publique de la mort lente ne doit pas seulement être celui des enseignants ou des parents d’élèves, mais de tout le monde, car de ce combat dépendent notre choix et projet de société.