DR MAURICE S. DIONE VOIT UN RISQUE SUR LE DIALOGUE NATIONAL
Reprise des manifestations d’Aar li ñu bokk, séries d’audiences de me Wade avec l’opposition radicale…
«Si la pression dirigée contre le régime est maintenue et amplifiée, il est très probable que la répression augmente, conformément au style du Président Sall», l’alerte est de l’Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Interpellé par Sud quotidien sur l’impact de la situation actuelle marquée par une reprise des manifestations de la plateforme Aar Li Nu Bokk qui demande la libération des activistes Guy Marie Sagna et Adama et la série de rencontres initiées par l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avec la frange de l’opposition qui a boycotté l’appel au dialogue du chef de l’Etat destiné à pacifier l’espace sociopolitique, Maurice Soudieck Dione, Dr en Science politique qui semble se démarquer des propos du journaliste Adama Gueye a toutefois tenu à préciser que cette situation pourrait bien profiter à l’ancien Président Me Abdoulaye Wade dont les manœuvres déployées pour organiser autour de lui l’opposition radicale peuvent impacter négativement sur le dialogue politique.
«Il faut dire que le dialogue national semble avoir atteint partiellement ses objectifs. Car il y a une bonne frange de l’opposition qui a répondu à l’appel. À preuve également que si le dialogue n’avait pas été lancé dans le contexte de l’éclatement de l’affaire Pétro-Tim réactivée après le reportage de la BBC, la situation aurait été encore plus difficile pour le régime en place. Mais comme on peut le constater, le dialogue national à part le volet politique n’a pas encore effectivement démarré. C’est dire qu’il s’agissait peut-être d’une manœuvre pour montrer que le dialogue dépasse le seul cadre politique, eu égard donc à la nécessité d’une concertation inclusive pour définir les règles de la compétition électorale, afin de sortir de l’impasse dans laquelle le régime du Président Sall a mis le processus électoral. En effet, il y a eu des modifications unilatérales des règles du jeu politique par les tenants du pouvoir, dans un contexte marqué par une rupture de confiance avec l’opposition, après les élections législatives très mal organisées du 30 juillet 2017, ensuite l’instauration du parrainage sans concertation et la neutralisation judiciaire d’adversaires politiques.
«LES MANŒUVRES DE ME WADE PEUVENT IMPACTER NEGATIVEMENT SUR LE DIALOGUE POLITIQUE»
Les manœuvres déployées par Me Wade pour organiser autour de lui l’opposition radicale peuvent impacter négativement sur le dialogue politique, mais en ce moment, on sortira difficilement de l’impasse par rapport à la définition de règles acceptables et acceptés par les acteurs de la compétition au pouvoir. Surtout dans un contexte marqué par les revendications relatives à la gestion transparente des ressources naturelles.
«LES MOBILISATIONS DE LA PLATEFORME AAR LI NU BOKK ONT CANTONNE LE REGIME DU PRESIDENT SALL A S’INSCRIRE DANS UNE POSTURE DEFENSIVE»
«Les mobilisations populaires et citoyennes de la Plateforme Aar Li Nu Bokk ont cantonné le régime du Président Sall à s’inscrire essentiellement dans une posture défensive, alors qu’il a toujours été à l’initiative et dans l’offensive, pour étouffer les contestations dans l’œuf, par la répression préventive et préemptive. Aujourd’hui, avec l’arrestation de Guy Marius Sagna et Adama Gaye, le régime comme à son habitude renoue avec cette logique attaquante. Concernant Guy Marius Sagna, il est une icône de la contestation dont les démêlés judiciaires peuvent être un moyen de le neutraliser pour un temps afin de calmer la situation, et de redéfinir à l’avantage du pouvoir les lignes de la confrontation. D’après les avocats de Guy Marius Sagna, ce dernier n’est pas l’auteur du post qui lui vaut ses déboires avec la justice. Or, la responsabilité pénale est une responsabilité individuelle ; les faits reprochés à l’inculpé doivent lui être directement imputés. Il y a également le cas Adama Gaye poursuivi pour offense au chef de l’État. Il convient de préciser tout d’abord que la liberté d’expression en démocratie, n’est pas liberté d’insulter, liberté de calomnier et liberté de salir la réputation ou de porter atteinte à l’honneur et à la considération d’autrui, encore moins de jeter le discrédit sur les institutions. La liberté d’expression trouve son fondement dans la régulation et la pacification de la compétition au pouvoir afin de substituer l’affrontement physique à l’affrontement symbolique. Car : « Ceux qui ont appris à échanger des mots sont moins enclins à échanger des coups ». La liberté d’expression est aussi un moyen essentiel qui permet l’implication des citoyens dans la gestion des affaires publiques. L’échange discursif qui permet et canalise la confrontation d’idées, de valeurs et d’intérêts, de rivaliser d’ardeur autour des projets et programmes politiques a donc un effet cathartique de sublimation de la violence. Socrate estimait qu’il fallait tamiser la parole trois fois avant de la sortir. Ce que je dis, est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est bien ? Est-ce que c’est utile ? Pour le délit d’offense au chef de l’État, il peut être rapproché du crime de lèse-majesté, et en ce sens, qu’il n’a pas sa raison d’être dans une démocratie. Il est vrai que les pouvoirs énormes conférés à un seul homme, le président de la République, autorisent qu’on puisse dans son propre intérêt le critiquer et lui rappeler qu’il est un humain, car le pouvoir est enivrant, mais cela doit se faire dans les limites de la décence et de l’élégance. Par ailleurs, l’- humour et la dérision peuvent être très efficaces, car même dans les royautés précoloniales sénégalaises, il y avait le fou du roi qui pouvait l’imiter et le caricaturer, pour le ramener à sa dimension humaine».
«L’ARTICLE 80 DU CODE PENAL, C’EST UNE SURVIVANCE DE L’AUTORITARISME…»
«Concernant le fameux article 80 du Code pénal, c’est une survivance de l’autoritarisme qui n’est plus en phase avec l’évolution de la démocratie sénégalaise. Car sur la base de cet article, n’importe quel citoyen peut être envoyé en prison pour des motifs les plus douteux, du moment où le parquet qui est hiérarchiquement subordonné au ministre de la Justice est actionné. Il urge de revoir le Code pénal et le Code de procédure pénale qui datent de 1965, c’est-à-dire au plus fort de l’autoritarisme de Senghor et qui sont en décalage et en déphasage avec le contexte démocratique actuel. Quoi qu’il en soit, des réformes sont nécessaires pour garantir aussi bien la liberté que de contenir les abus préjudiciables à la démocratie qu’elle peut engendrer».
«SI LA SITUATION N’EST PAS APAISEE, LE DIALOGUE POLITIQUE PEUT EN PATIR»
«En définitive, les réactions du pouvoir eu égard aux affaires Guy Marius Sagna et Adama Gaye révèlent une volonté de faire baisser la pression exercée sur le régime, qui cherche à affaiblir les mouvements sociopolitiques et citoyens déclenchés par l’affaire Pétro-Tim, en divisant et en multipliant les fronts. Si la pression dirigée contre le régime est maintenue et amplifiée, il est donc très probable que la répression augmente, conformément au style du Président Sall. Mais si la situation n’est pas apaisée, le dialogue politique qui est en train de se poursuivre peut en pâtir, car les acteurs vont naturellement transposer leur mésentente politique à ce niveau».