L’ABSENCE DE PREVENTION ET LA MAUVAISE PLANIFICATION DES VILLES, CAUSES DES INONDATIONS
Si le Programme décennal de gestion des inondations a été un échec malgré un investissement annoncé de 750 milliards de francs, c’est parce que le gouvernement a royalement ignoré la question de la prévention
Si le Programme décennal de gestion des inondations (Pgdi) a été un échec malgré un investissement annoncé de 750 milliards de francs, c’est parce que le Gouvernement a royalement ignoré la question de la prévention. Ce constat a été fait par un expert, fonctionnaire à la retraite du ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction. Djibril Diop, professeur à l’Université de Montréal, au Canada, estime quant à lui qu’il y a une mauvaise planification de nos villes ainsi qu’une occupation anarchique des espaces qui devaient faciliter l’écoulement des eaux de pluie…
Partout au Sénégal, on patauge dans des eaux souvent jaunâtres ou verdâtres. Le débat fait rage après le lièvre levé par Le témoin vendredi sur les 750 milliards de francs engloutis par le Plan décennal de gestion des inondations (2012-2022). Comme pour donner raison au « témoin », il a plus des cordes tout ce weekend. L’opinion publique et l’assemblée nationale, à la suite du président de la république, exigent des comptes dans ce qui apparait comme un nouveau scandale de l’ère Macky Sall. De l’avis d’un expert urbaniste interrogé par votre serviteur, la récurrence des inondations, nonobstant le Plan décennal de gestion des inondations, s’explique par la non prise en compte de l’importante question de la prévention dans les stratégies élaborées depuis 2012. « Il me semble que le fait de n’avoir pas pris en compte l’aspect prévention dans le Programme décennal 2012-2022 a été la cause de la situation actuelle. S’il est vrai, jusqu’à la mesure d’une certaine vérification, que 750 milliards de francs ont été dépensés dans la lutte contre les inondations, le gouvernement a échoué dans le fait qu’il n’a pas accompagné cet investissement financier par les aléas qui viennent perturber toute la stratégie mise en place » souligne l’ancien fonctionnaire du ministère de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction.
Notre interlocuteur, qui s’est exprimé sous l’anonymat, rappelle que « nos villes, surtout Dakar, ont été taillées sur mesure par le colonisateur français. Lequel avait repoussé les autochtones vers la Médina. Autant le colonisateur a mis en place des infrastructures d’évacuation des eaux pluviales et usées sur mesure pour la capitale, autant d’autres infrastructures sur mesure ont été aussi mises en place par ses soins pour les autochtones. Seulement voilà, toutes ces infrastructures avaient été faites en fonction de la taille des populations d’alors. Il s’agissait notamment du dimensionnement des égouts, des réseaux, des canaux d’évacuation. Figurez-vous que le système de drainage des eaux pluviales de Dakar était dimensionné par le colonisateur pour 600.000 habitants alors qu’aujourd’hui la capitale frôle les 6.000.000 d’habitants. Soit dix fois plus ! Ce qui était valable à cette époque est largement dépassé. La capacité du réseau de drainage est largement dépassée, elle n’est plus la même, ni le nombre d’habitants ».
Djibril Diop, professeur à l’université de Montréal au canada, estime qu’ « il y a une mauvaise planification de nos villes et aussi une occupation anarchique des espaces qui devaient faciliter l’écoulement des eaux de pluies. Il y a le déphasage entre le Coefficient d’occupation du sol (COS) et l’occupation réelle dans les maisons. Autrement dit, il y a plus de monde dans les maisons que ce qui est planifié ». Cela pourrait être une des causes des inondations récurrentes.
L’autre aspect développé par l’ancien fonctionnaire du ministère de l’urbanisme, c’est que la surface qui recevait les eaux autrefois était perméable. Elle ne l’est plus. « Maintenant, on a imperméabilisé nos surfaces. Les réseaux domestiques sont la cause de cette situation. En outre le curage n’est pas possible à cause du comportement des gens qui jettent n’importe quoi dans les réseaux existants. Certes l’Office national de l’assainissement (ONAS) a un rôle à jouer, mais l’assainissement des déchets solides souffre surtout de nos comportements qu’il faut revoir. L’eau qui tombe doit avoir un passage, mais quand elle est bloquée, c’est la catastrophe. Les lits des marigots, les talwegs qui sont les lignes formées par les points ayant la plus basse altitude, soit dans une vallée, soit dans le lit d’un cours d’eau sont occupés » explique l’expert urbaniste.
Sur ce point, Djibril Diop, chargé d’enseignement à l’’école d’urbanisme et d’architecture de paysage à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, ajoute qu’ « il y a le fait que nos villes sont construites au détriment des paysages naturels. Le tout béton et asphalte réduit les capacités d’infiltration d’une bonne quantité d’eau dans les nappes. Ce qui fait que le trop trop-plein n’a pas d’autres solutions que l’écoulement et la stagnation.
Dans la région de Dakar, une partie de la nappe est saturée depuis l’arrêt du pompage de la nappe de Thiaroye à cause de l’excès de nitrate. ce qui fait que, dans la banlieue, une grande partie des eaux qui devaient être absorbées par cette nappe ne s’infiltre plus puisque celle-ci est presque affleurant maintenant. il y a aussi que l’exutoire naturel que devait être la grande Niayes entre Pikine et Patte d’Oie est presque urbanisée empêchant une bonne quantité d’eau de s’écouler vers cette dépression naturelle. C’est le cas de la portion des Niayes pour les Maristes, du fait de l’urbanisme de secteur de la construction de l’autoroute à péage et de l’arène nationale ».
Refondre totalement et redimensionner les ouvrages
Il est possible cependant de faire face à la récurrence des inondations à partir d’un certain nombre d’approches. L’ancien haut fonctionnaire du ministère de l’urbanisme pense que la première stratégie, c’est de sensibiliser les populations pour un changement de comportements. « L’Etat, surtout les services du cadastre foncier, doit jouer un rôle fondamental pour éviter l’aménagement de tout site non aedificandi en habitations. Comme la communication mise en place dans le cadre du covid19, il faut que les pouvoirs publics puissent communiquer avec les populations sur leurs comportements surtout dans la gestion des déchets solides qui obstruent les canaux d’évacuation des eaux usées » souligne encore notre interlocuteur. Djibril Diop, chargé d’enseignement à l’école d’urbanisme et d’architecture de paysage à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, indique à ce niveau qu’ « il y a un défaut de réseau d’assainissement et/ou un sous dimensionnement par rapport aux volumes que les canalisations doivent évacuer et en relation avec le Cos notamment ».
Cet enseignant canadien d’origine sénégalaise pointe du doigt lui aussi les facteurs humains dans la survenue des inondations. « L’irresponsabilité des populations, le manque de citoyenneté puisqu’après tout, il n’y a pas de sanctions. On fait ce que l’on veut. On dépose ses ordures où l’on veut et même dans les canalisations. On enlève les bouches d’égouts que l’on va fondre pour récupérer l’acier. On laisse ainsi les canalisations se remplir de sable, ce qui empêche l’écoulement normal des eaux de ruissellement. Il n’y a pas de différence entre les canaux dédiés aux eaux de ruissellement et ceux destinés aux eaux usées ». « Il faut mettre les dimensions sur les réseaux globaux. L’approche de prendre les réseaux par sections ou quartiers n’est pas bonne. La bonne stratégie pour régler la question des inondations, c’est d’orienter le flux vers des bassins versants. Il s’agit de redimensionner les sections d’ouvrages d’assainissement à canaux à ciel ouvert et fermés à la dimension de nos villes et de leurs habitants. Ce qui est difficile à gérer, on ne sait pas de quoi demain sera fait. Il faut donc prendre les devants en faisant surtout des projections. Même si on se trompe, on aura réussi à faire quelque chose quand même » indique l’ancien fonctionnaire du ministère de l’urbanisme.
Le Pr Djibril Diop ne cache pas son pessimisme sur la question. « Malheureusement la situation risque de ne pas s’améliorer avec les conséquence du changement climatique qui risquent d’être plus catastrophiques. Car il faut penser aux pluies centenaires (des pluies qui ne surviennent que tous les 100 ans) et au retour des périodes pluvieuses de manière cyclique. Tous les hydrologues connaissent ça » conclut l’enseignant. Bref, pas de quoi optimistes et les inondations ont donc de beaux jours — si on peut dire — devant elles…