MULTIPLE PHOTOSSOCIAL CHANGE FACTORY, LE CENTRE AFRICAIN DE LEADERSHIP CITOYEN
EXCLUSIF SENEPLUS - Une usine de transformation sociale fondée sur la conviction que l’avenir de nos sociétés repose sur l’engagement de chacun à faire sa part
Il a fallu négocier ferme avec le chauffeur de taxi pour payer 1500 Fcfa au lieu des 2000 Fcfa réclamés pour le trajet entre Cité Kër Gorgui et « l’immeuble Crei ». Nous nous arrêtons sur l’avenue Cheikh Anta Diop, à quelques mètres de la porte principale de l’Université éponyme. Notre rendez-vous est fixé à 10 heures mais nous arrivons plus tôt, 30 minutes avant l'heure convenue. En bas de cette tour de verre, un agent de sécurité nous interpelle. « Vous allez où ? Votre pièce d’identité s’il-vous-plaît. » Tout est okay. Nous pouvons y aller. Nous traversons le grand hall du rez-de-chaussée et nous nous dirigeons vers l’ascenseur pour le 3ème, au siège de Social Change Factory.
Le portrait immense de Cheikh Anta Diop, qui orne l’entrée de l’entreprise sociale, annonce la couleur. La salle principale est décorée sobrement. Trois grandes tables et une natte jetée au sol se disputent l’espace de travail. De jeunes personnes sont déjà à la tâche. Mais ce n’est pas ce qui retient notre attention. Des citations gribouillées sur un tableau noir captent notre regard. Parmi celles-ci, il y en a une qui nous fait méditer un instant : « L’autre est un reflet, sans lui je ne suis pas. » Nous n’avons pas eu le temps de saisir le sens profond de ces mots que la voix de Sobel tonne dans la salle.
Yeewu, pour une jeunesse émancipée, autonome, épanouie et engagée
Les hommes qui veulent transformer la société et ouvrir le champ des possibles doivent toujours affronter la loi de l’inertie, avoir de l’empathie et un sens élevé de la solidarité. Car le problème des utopies et des grandes idées, c’est qu’elles se heurtent souvent à un réel, qui, lui, est presque toujours réfractaire à la liberté et au progrès et maintient les sociétés dans le statu quo. Que faire ? Cette vaste question, qui a travaillé les esprits les plus féconds du siècle dernier, n’a pas fini d’être épuisée. Dans un monde complexe et face aux bouleversements sociaux qui menacent l’équilibre des communautés humaines, relever le défi de l’éducation et de la participation citoyenne de la jeunesse est un impératif. Social Change Factory est « un centre de leadership citoyen qui œuvre au quotidien pour l’émancipation, l’autonomisation, l’épanouissement et l’engagement de la jeunesse du continent africain ». C’est une « usine de transformation sociale fondée sur la conviction que l’avenir de nos sociétés repose sur l’engagement de chacun à faire sa part ».
Sobel Aziz Ngom est le fondateur et directeur exécutif de cette organisation citoyenne, présidée par Aminata Niane, ex-directrice de l’Agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX). Depuis 3 ans ce self-made-man de 28 ans s’est fixé un objectif : sublimer les atouts incontestables d’une jeunesse africaine, laissée-pour-compte, et qui cherche sa voie dans un monde qui connaît des mutations profondes. Il a ainsi lancé quelques projets dont le plus connu est Voix des Jeunes. Ce projet, qui couvre aujourd’hui 7 pays (Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Burkina Faso, Tchad, Gambie et, France), veut susciter le sursaut obligatoire chez les étudiants africains et ainsi stimuler leur engagement citoyen.
Dans son bureau, où veille affectueusement Nelson Mandela, il exhibe un diplôme décerné par Barack Obama en 2014. À son âge, Sobel a déjà un air de commandant expérimenté. Il gère une équipe de 36 personnes, venant de 9 pays différents et dont la moyenne d‘âge culmine à 26 ans. Un exploit en Afrique, tant les jeunes sont marginalisés dans les hautes sphères de décision et doivent souvent se confronter à une gérontocratie trop pesante. S’il y a un programme qui lui tient à cœur, c’est Yeewu. Lancée en juin 2018, l’initiative vise l’amélioration des conditions d’éducation, de participation citoyenne et d’insertion socioprofessionnelle des jeunes en Afrique. Yeewu veut influencer les comportements, les valeurs, les connaissances et les attitudes des jeunes africains qui occuperont des postes de décision dans les années à venir. Rien que ça ! « C’est une université virtuelle et populaire nouvelle, qui veut donner aux jeunes, quel que soit leur background, la possibilité de s’en sortir dans leur vie avec des outils technologiques d’expression, des opportunités professionnelles, des opportunités de lancer des projets entrepreneurials », insiste-t-il, fièrement, le verbe lent et ciselé, comme pour nous convaincre que c’est le projet de sa vie.
Aminata Niane, dans son allocution, lors du lancement de Yeewu, le mercredi 20 juin 2018 au Radisson Blu à Dakar, a rappelé que « c’est en servant les autres, qu’on se sert mieux, et que c’est en s’engageant qu’on relève le défi économique, social et culturel. Et pour cela, il n’y a pas de petites ressources, ni de petites idées, encore moins de petites personnes, dans la mesure où chaque citoyen, par son comportement, son action, son implication peut apporter une valeur ajoutée à son pays ». Pour cela, elle insiste sur l’importance de faire confiance et de soutenir la jeunesse, qui, pour elle, est la force vitale du continent. « Quand la cause est noble, s’engager devient une nécessité », a-t-elle souligné.
Le programme Yeewu, qui veut dire éveillé ou réveillé en wolof, s’adresse aux enfants, aux adolescents et aux jeunes âgés de 09 à 29 ans. Il comprend 6 composantes :
- Yaa Ma Gëna Xam (YMGX) qui est un jeu éducatif distribué aux enfants dans les écoles primaires et secondaires pour développer leurs connaissances et aptitudes culturelles, comportementales et citoyennes ;.
- U-Xchange qui permet un accompagnement et un mentorat scolaire massif bénévole entre élèves d’excellent niveau et de faible niveau, organisé en fonction de leur classe et de leur discipline ;
- U-Report, une plateforme qui veut permettre aux jeunes d’accéder à des informations fiables et utiles, de s’exprimer sur des sujets importants, de se faire entendre et de bénéficier de conseils ;.
- Voix des Jeunes, un concours citoyen et entrepreneurial télévisé dédié à la recherche, la promotion et la mise en œuvre de solutions communautaires par des jeunes composés d’étudiants et de jeunes actifs ruraux ;
- U-Club dont la vocation est d’être un espace d’apprentissage d’innovation, d’entreprenariat et de participation citoyenne installé dans les collèges, lycées, universités et ouvert à tous les jeunes ;
- U-Start qui est une plateforme intelligente de matching professionnel entre étudiants diplômés sans emploi et startup ou PME en besoin de ressources humaines junior à potentiel.
Dans la logique de faire germer une génération de colibris, Social Change Factory réalise chaque année le projet solidaire « Objectif Bac ». Le taux d’échec effrayant à cet examen est la principale raison de la création de ce projet. Chaque année, près de 100 étudiants sont mobilisés dans les lycées de 7 régions du Sénégal pendant 15 jours pour aider les élèves dans la préparation de l’examen du Bac. Depuis deux ans, Objectif Bac est également mis en œuvre au Mali. C’est donc un vaste projet d’insertion de la jeunesse dans l’espace citoyen et dans l’en-commun qui est mis en branle par les équipes de Social Change Factory. 500 000 jeunes sont déjà impactés par les programmes lancés par le centre de leadership citoyen. Tout cela est une aubaine pour la jeunesse du continent, qui attend avec impatience que les pouvoirs se décident à réformer en profondeur les systèmes éducatifs défaillants.
Social Change Factory a mobilisé des personnes inspirantes pour parrainer ces différents programmes. Il s’agit de Yacine Barro, directrice générale Microsoft West Africa, Fary Ndao, ingénieur géologue et écrivain, Dr Serigne Gueye Diop, ministre-conseiller et maire très dynamique de Sandiara, Khadim Diop, président du Conseil national de la jeunesse, Selly Raby Kane, artiste fashion designer et, Coumba Touré, coordinatrice du mouvement Africans Rising. Pour dérouler le programme Yeewu, l’entreprise sociale mise sur un budget de deux millions de dollars et a mobilisé la moitié grâce au soutien de l’Unicef, de Mastercard Foundation, d’Oxfam, du Groupe COFINA ainsi que des gouvernements du Sénégal, de la France et des États-Unis.
L’idée de canaliser les énergies de la jeunesse africaine passera par des projets ambitieux, qui mettent l’accent sur la responsabilité et le sens de l'intérêt général chez les jeunes du continent, en attendant que les gouvernements se réveillent et fassent leur immense part.