CES ANGLES MORTS JAMAIS DEBATTUS DU SECTEUR DE LA SANTE !
Manque de maintenance du matériel, budgets insuffisants, mauvaises conditions du personnel paramédical…
Au Sénégal, la santé a des mots qui ont pour noms slogans, gratuité et programmes et des maux qui ont pour noms cherté, inaccessibilité, mauvaise gestion, négligence, situation de déficit chronique. Autant d’« angles morts » ou de problèmes négligés sur lesquels il faut réellement débattre. « Le Témoin » fait le diagnostic des calamités du secteur !
Des praticiens de la santé sont unanimes là-dessus. Depuis 2012, date de l’accession du président Macky Sall à la magistrature suprême, beaucoup d’argent a été investi dans la santé, notamment à l’hôpital Aristide Le Dantec et à l’hôpital Dalal Jamm pour l’acquisition d’équipements de dernière génération notamment des accélérateurs de particules, des systèmes de télé-radiologie et des télé-scanners. Surtout beaucoup d’efforts ont été faits pour doter nos hôpitaux de matériels médicaux performants. Par exemple 10 milliards francs ont été investis dans l’amélioration de l’imagerie médicale avec des matériels dernier cri. Ce qui a fait dire à Dr Oumar Bâ du Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames) ainsi qu’au chef de service de radiologie de l’hôpital Le Dantec, Pr El Hadj Niang que le plateau technique de nos hôpitaux n’est pas aussi malade qu’on le pense. Mieux, les spécialistes restent convaincus que le pays regorge de « bons médecins » qui officient dans des structures bien équipées. Le potentiel humain est donc là, de même que les équipements techniques. Malgré tout, le secteur de la santé demeure paradoxalement malade. Et c’est là où se situe le problème. Au Sénégal le rêve de la « santé pour tous » est loin d’être une réalité.
Le professeur Abdoul Kane le soutient dans son livre « L’Ethique, le soignant et la société », Harmattan Sénégal, en 2016. « Jadis sanctuaire au service des plus démunis, il (Ndlr : l’hôpital) est mué, en particulier dans les pays pauvres, en entreprise où la gabegie le dispute souvent au mercantilisme : entreprise où le patient est de plus en plus vu comme un client dont la fortune et l’entregent détermineraient la qualité des soins à lui prodiguer. Bien entendu, ce sont les pauvres qui, les premiers, expient les errements de cette nouvelle gouvernance ». Surtout avec les nouvelles menaces aggravées par les effets de la mondialisation qui empêchent une distribution juste et équitable des ressources nécessaires à la santé de la population. Si d’énormes progrès ont été faits par rapport surtout au relèvement du plateau technique, à la gratuité des soins des enfants de moins de cinq ans et de la césarienne avec la Couverture maladie universelle (Cmu) — entre autres ambitieux programmes conçus avec d’amateurisme —, et même si la chirurgie offre de nouvelles innovations, d’énormes obstacles restent à franchir. Ces progrès indéniables sont en effet assombris par des crises spectaculaires. Parmi les principaux maux de notre système de santé, il y a l’accès inégal aux technologies de pointe entre les régions, la mauvaise qualité de l’accueil dans les structures de santé, la mauvaise — pour ne pas dire l’absence de — maintenance du matériel faute de pièces de rechange et manque notoire d’ingénieurs. Le bon fonctionnement du secteur est aussi handicapé par l’endettement des hôpitaux avec la mise en œuvre de la Couverture médicale universelle avec surtout les retards dans le remboursement, entres autres…
Quand les « cerveaux » sont malades et paralysent le corps
A l’état culturel, on a beau doter les structures de santé de nouveaux matériels, d’équipements de pointe et de construire des équipements flambant neufs, mais le secteur de la santé ne fonctionne pas seulement avec de « beaux habits ». On peut se parer de ses plus beaux habits tout en trainant une maladie maligne ou bénigne. Tout comme le corps humain, le secteur de la santé est un « corps » avec différents organes, tissus, cellules et molécules reliés les uns aux autres! Il a des membres supérieurs comme inférieurs, un tronc, et une tête. Le tout conditionné par un cerveau. Toutes les activités du « corps » sont régulées à travers ce cerveau qui joue un rôle primordial dans le fonctionnement du « corps ». Que ce soit dans le médical ou le paramédical !Le cerveau du « corps » pour ne pas dire l’agent de santé est l’élément essentiel dans le « corps » pour écouter, entendre, examiner, sentir et soigner, et surtout informer. Ils sont en effet des ophtalmologues, des dentistes, des dermatologues, des pédologues, des cardiologues, des cancérologues, des urgentistes pour le corps médical et des infirmiers, sages-femmes et autres contractuels pour le paramédical qui constituent le cerveau du système de santé. Ils forment le chef d’orchestre du « corps » pour une « bonne santé » des usagers.
Par conséquent, dès que le cerveau qui traite toutes les informations du « corps » et du « système » est assombri ou « ne soigne plus », c’est tout le système qui est en lambeau. Quand on tombe malade, la douleur vient ainsi briser « le silence des organes » ! Car selon la célèbre formule du chirurgien René Leriche qui date de 1936, « la santé c’est la vie dans le silence des organes » ! Ce même si le silence des organes n’exclut pas la présence d’une maladie, d’après le diagnostic des spécialistes de la santé. Aujourd’hui, le cerveau du corps, affecté par le syndrome des promesses non tenues, ne fonctionne plus normalement affectant ainsi tout le « corps » ! Une situation décriée par les usagers qui ne réclament que des soins. Au moment où la tutelle, en lieu et place de négociations sérieuses avec le cerveau, choisit de brandir des menaces jusqu’à effectuer des ponctions sur les salaires d’agents grévistes. C’est ce qui s’est passé cette année avec les contractuels du plan Cobra et du programme Jica affiliés à l’Alliance And Gueusseum. Laquelle coalition de syndicats de santé ne serait guère ébranlée par les menaces et intimidations. « Personne ne peut nous intimider » !
Telle était la devise des amis à Mballo Dia Thiam et Sidya Ndiaye qui ont déroulé 17 plans d’action de grève avec surtout la rétention de l’information sanitaire occasionnant un manque de visibilité du pays au niveau international. Durant toute la période de la grève du « cerveau », la tutelle ne recevait presque plus d’informations sanitaires. « Il faut dire que la grève de l’Alliance And Gueusseum a créé d’énormes dégâts. Le ministère, pendante la durée de la grève ne recevait même pas 4 % de l’information », soutenaient les syndicalistes. La même situation, le gouvernement l’avait vécue quelques mois plus tôt avec le Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames). Des médecins qui s’étaient même radicalisés avant que le gouvernement ne décide de revaloriser leur situation indemnitaire avec une augmentation de 200 000 francs.
L’argent, source de tous les maux !
L’argent, justement, constituant souvent et toujours le point nodal dans les revendications syndicales, les usagers, eux, pensent que les vrais problèmes sont négligés et ne sont vraiment jamais débattus. Donc jamais mis sur la table des négociations. Le système, apparemment n’assure pas une prise en charge correcte pour tous les citoyens. L’avocat droit-de-l’hommiste Demba Ciré Bathily, dans un commentaire suite à l’affaire de la petite Aïcha qui serait décédée par négligence médicale à l’hôpital de Pikine, demandait qu’on exige « un véritable système de santé public plutôt que de nous complaire dans des slogans politiques creux qui ne correspondent à aucune réalité. Le sort réservé à l’hôpital public n’est qu’une des facettes du laisser pourcompte dont sont victimes les pauvres et les démunis dans tous les domaines dans notre pays : la santé, l’éducation, le logement… On peut toujours occulter cette réalité en transformant le personnel de nos hôpitaux en mur de lamentations alors qu’il s’agit avant tout d’engager la responsabilité des politiques au lieu de chercher des boucs émissaires ».
L’Organisation mondiale de la Santé (Oms) définit la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social. Elle ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Malheureusement, il n’y pas plus de bien-être dans le système. L’anesthésiste réanimateur, Mamadou Mansour Diouf charge les « régimes successifs » qui, dit-il, ont savamment orchestré la confusion entre « politique de santé » et « politique avec la santé ». « La dette de l’Etat qui augmente d’année en année contribue grandement au dysfonctionnement des hôpitaux avec à la clé une atteinte grave à la qualité des soins », a-t-il argué tout en soulignant que « les remboursements après prestations constituent une très mauvaise politique qui asphyxie les hôpitaux. Car, il est de notoriété publique que l’Etat est le pire payeur qui soit. Encore que les financements, dit-il, « sont généralement très insuffisants et les dépenses générées par la prise en charge des patients par rapport à certaines gratuités sont largement au-dessus des montant reçus parles hôpitaux. Ce qui génère des situations de déficit chronique. A cela, s’ajoute l’épineux problème du financement viable et durable du système de santé ». Ce sont là, entre autres, les maux et mots qui freinent l’accès à la santé ainsi que la bonne qualité de l’offre de soins sur toute la chaine du… secteur.