«LES SOIGNANTS ONT BESOIN D’UN SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE»
Même si des praticiens essayent tant bien que mal de s’adapter à cette situation, il y en a qui sont profondément touchés. D’où le plaidoyer du Dr Loucar pour un accompagnement psychologique des soignants.
Cinq mois après l’introduction du coronavirus dans ses frontières, le Sénégal compte quotidiennement ses cas positifs, ses cas graves et ses décès avec souvent des changements de stratégies dans la gestion de l’épidémie au niveau national. Aujourd’hui que les centres de traitement — où on n’hospitalise plus que des positifs — sont saturés, dans certaines structures sanitaires des salles sont aménagées pour l’isolement des cas, le temps de leur trouver des places dans des centres dédiés. En plus de ce fardeau de recherche de places, des décès sont testés positifs post mortem dans les structures de santé. Même si des praticiens essayent tant bien que mal de s’adapter à cette situation, il y en a qui sont profondément touchés. D’où le plaidoyer du Dr Loucar pour un accompagnement psychologique des soignants.
Les accompagnants désespérés font le tour des hôpitaux la nuit avec leurs malades agonisants. il arrive parfois qu’ils gens trimbalent des patients d’une structure à une autre pendant des heures, faute de places. Du coup, quand ils tombent sur un préposé à l’accueil ou à l’orientation qui demande de respecter le protocole, ils ont bien souvent envie de lui donner un coup de poing là où cela fait très mal. C’est que les parents de malades oublient souvent que la gestion des arrivées est du ressort de l’administration, pour ne pas dire de l’accueil et de l’orientation, des services qui n’ont rien à voir avec le personnel soignant. Justement, ne devrait-on pas s’arrêter un moment et s’intéresser au rythme auquel les personnels de santé bataillent pour sauver des vies ? Notamment en ce temps de covid où les centres de traitement affichent le plein.
Les professionnels de la santé, les plus exposés
« Etre un professionnel de la santé dans notre pays, c’est faire face, en permanence, à des insuffisances et des frustrations, la demande étant plus forte que l’offre », a d’emblée expliqué Dr Mame Fatou Sy qui dit avoir vu des médecins travailler dans des conditions horribles, des conditions surhumaines pour sauver des vies. A l’en croire, des personnels se cotisent et négocient, pour ne pas dire supplient les techniciens, afin d’obtenir un bilan pour leurs patients. L’état de certains de nos hôpitaux, selon cette praticienne de la santé, laisse pantois. Ils sont confrontés à des problèmes dans les services d’urgences chirurgicales avec des plateaux techniques, des lits et un personnel en nombre limité, parfois un seul bloc opératoire dans des services où, la nuit, la priorité est donnée aux urgences obstétricales. La radiographie et le scanner ne sont pas toujours fonctionnels alors que plus 90 % des motifs de consultation sont constitués par des traumatismes (accidents, bagarres, agressions…) sans compter qu’il arrive que les pharmacies manquent de produits « d’urgence ». Une liste des insuffisances bien loin d’être exhaustive. En effet les défaillances dans les hôpitaux sont à la fois techniques, administratives, managériales… Des hôpitaux où, aujourd’hui, la réalité dépasse la fiction.
Les structures dédiées à la Covid sont saturées !
certains médecins sont désarmés et complètement perdus. Et ne trouvent pas toujours quelqu’un pour leur remonter le moral. il s’agit de personnels soignants testés positifs et de collègues qui étaient en contact avec eux. Dr sy nous en parle. « Je ne suis pas directement affectée psychologiquement mais un collègue testé positif a été affecté par le fait qu’il soit le premier à être contaminé du service. On a également un infirmier qui était en contact avec nos deux premiers cas testés positifs. Lorsqu’on l’a informé, il a eu un malaise. On lui avait suggéré de rester chez lui un moment », explique-t-elle tout en plaidant pour la mise en place d’équipes psychologiques pour donner aux personnels l’occasion de s’exprimer par rapport à leur ressentiment suite à un contact avec un ou des positifs. Et de faire une révélation de taille. Dans les hôpitaux, des patients hospitalisés pour d’autres maladies meurent du…coronavirus. « C’est très fréquent. Beaucoup de cas graves qui se présentent à l’hôpital sont des sujets à risques qui viennent avec les mêmes symptômes ; beaucoup de cas de décès, qui après des tests post mortem s’avèrent positifs au covid-19. Ils avaient des insuffisances respiratoires. En dehors de l’âge, c’est les comorbidités qui présentent les mêmes symptômes », a-t-elle révélé tout en invitant les patients atteints de maladies chroniques à venir se faire consulter tôt pour s’éviter toutes complications liées à ce facteur aggravant qu’est le coronavirus. « Les centres de traitement ne reçoivent plus que des cas positifs. Dans nos structures, il y a des services aménagés pour les cas suspects mais avec un nombre insuffisant de lits pour l’isolement. Avec la saturation au niveau des Cte, on est parfois obligé d’aménager une autre salle d’isolement en attendant de trouver une place dans un centre dédié ». En plus de cette situation, notre interlocutrice attire l’attention sur un autre point et pas des moindres. « Parfois, ton équipement de protection n’est pas au top, tu n’as jamais tout au même moment. Dr Bousso affirme que les personnels soignants qui sont au niveau des Cte sont très bien équipés et qu’ils ne sont jamais contaminés. Un discours discriminatoire qui a créé une frustration chez des collègues ». sur ce, dira Dr Souleymane Loucar, psychiatre à l’hôpital de Louga, « les personnels soignants ont besoin d’un bon soutien psychologique, ils doivent être bien entourés, bien écoutés et bien accompagnés. Parce qu’ils en ont besoin ».
Tout faire pour soutenir les professionnels de la santé
Dr Souleymane Loucar, c’est tout à fait épuisant émotionnellement et physiquement de se confronter à ces difficultés et à ces cas graves, ce nombre de malades qui augmentent et ces décès qui ont pris l’ascenseur, les problèmes de lits et d’hébergement, la gestion des comorbidités. « Il faut tout faire pour soutenir le personnel de santé psychologiquement. Je pense que, dans les centres de traitement, on a mis en place ces équipes de soutien psychologique. Seulement voilà, il ne faut pas qu’on oublie les personnels de santé. La population compte sur le système de santé. Quand les gens ont des difficultés de santé ou des problèmes médicaux, ils se dirigent vers eux. Donc si le système devient faible, on a affaire à une population désemparée, angoissée et il peut y avoir beaucoup de cas de décompensation psychologique, ce qui est à éviter. On ne le souhaite pas. On souhaite que ce système puisse s’organiser de telle sorte que ces personnels de santé arrivent à assister la population. Je pense qu’on trouvera des mécanismes, des moyens pour absorber les malades, gérer à la fois les cas simples et les cas graves à divers niveaux. C’est très important de rassurer la population pour l’amener à faire confiance à ce système de santé avec surtout une bonne communication », a-t-il indiqué.